Cactus power ou la revanche d’un fruit sous-estimé
Longtemps marginalisée, la figue de barbarie tunisienne est aujourd’hui au cœur d’une success story agro-industrielle. En une décennie, la filière est passée de 5 à 73 entreprises, avec plus de 1 400 nouveaux emplois créés. Au moment où la gamme de produits issus du cactus ne cesse de se diversifier, la Tunisie se positionne désormais parmi les leaders mondiaux en exportation d’huile de pépins de figues de barbarie. Ainsi, le chiffre d’affaires consolidé des entreprises opérant dans la transformation du cactus a augmenté de 140 % depuis 2020.
Soutenue par le projet PAMPAT (ONUDI/SECO) depuis 2013, cette transformation remarquable fait aujourd’hui l’objet d’une nouvelle publication. Laquelle retrace les étapes clés du développement de la filière et met en lumière les enseignements tirés.
Alors que l’été s’installe et que les premières figues de barbarie commencent à mûrir, la Tunisie s’apprête à entamer une nouvelle campagne de récolte. Ce fruit typiquement tunisien, autrefois banalisé, s’est aujourd’hui imposé comme un symbole de montée en gamme industrielle et d’innovation dans les régions de l´intérieur.
Derrière ce fruit emblématique se cache désormais un cas de succès marquant du développement agro-industriel dans le milieu rural. La Tunisie est aujourd’hui devenue l’un des leaders mondiaux dans la production d’huile de pépins de figue de barbarie certifiée biologique. Un élixir anti-âge qui a su s’imposer sur les marchés d’exportations cosmétiques.
73 entreprises et 1 400 emplois créés
En une décennie, le pays est passé de 5 sociétés de transformation de cactus à 73 entreprises spécialisées dont la moitié sont dirigées par des femmes. Soit cinq fois plus que la moyenne tunisienne dans d’autres secteurs.
Par ailleurs et confirmant l’essor récent de la filière, 38 nouvelles sociétés se sont établies au cours des cinq dernières années. Cette dynamique entrepreneuriale a permis de créer plus de 1 400 emplois permanents et saisonniers, avec une forte implication des femmes rurales. Le chiffre d’affaires consolidé des entreprises opérant dans la transformation du cactus a augmenté de 140 % entre 2020 et 2024.
Depuis 2013, la filière figue de barbarie a reçu l’appui du Projet d’Accès aux Marchés des Produits Agroalimentaires et de terroir (PAMPAT) financé par le Secrétariat d’État à l’Économie de la Confédération Suisse (SECO) et mis en œuvre par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), en collaboration avec les ministères de l’Agriculture (DGPA, DGAB), de l’Industrie (DGIA) et du Commerce (CEPEX).
Pour retracer les différentes étapes parcourues par la filière et faire bénéficier des initiatives similaires, une nouvelle publication de l’ONUDI intitulée : « Le développement d’une nouvelle filière agro-industrielle en Tunisie – Le cas de la figue de barbarie biologique en Tunisie » vient de paraître.
Ce document accorde une attention particulière à la région de Kasserine, qui incarne de manière exemplaire les résultats atteints à l’échelle territoriale. Le gouvernorat représente aujourd’hui 37 % du chiffre d’affaires national de la filière figue de barbarie et 30 % des investissements réalisés depuis 2013.
À Kasserine, la figue de barbarie est devenue un véritable levier du développement local. L’introduction progressive de bonnes pratiques agricoles, l’application des techniques de production biologique et la professionnalisation des activités de post-récolte ont profondément marqué le secteur local. A l’heure actuelle, la superficie cultivée certifiée bio a été multipliée par cinq, positionnant la région comme un pôle de référence pour la production durable.
Par ailleurs, en l’espace de dix ans, les producteurs locaux ont vu le prix de vente du fruit plus que tripler, renforçant ainsi leurs revenus. En parallèle, la rémunération journalière des ouvrières agricoles à Kasserine a augmenté de 120 %. Cette dynamique a permis de créer de nouvelles perspectives économiques dans l’un des territoires les plus défavorisés du pays.
L’huile de pépins de figue de barbarie conquiert le marché mondial
Au-delà de l’impact local, la Tunisie s’est imposée à l’international. En effet, exportée aujourd’hui sur les cinq continents, l’huile de pépins de figue de barbarie est devenue le fer de lance de la nouvelle cosmétique tunisienne. 55 entreprises, dont la majorité dirigée par des femmes, commercialisent leurs produits à l’étranger. En 2021, la Tunisie est devenue le premier pays au monde à publier une norme technique pour cette huile, marquant une étape majeure dans la démarche qualité engagée par le secteur.
Ce succès à l’international, porté par l’huile de pépins de figue de barbarie, s’inscrit dans une dynamique bien plus large. En parallèle à l’essor des exportations de cet ingrédient cosmétique, la filière a connu une diversification accélérée de ses produits.
400 nouvelles références
À l’horizon 2024, près de 400 nouvelles références ont vu le jour, allant des produits agroalimentaires aux formulations cosmétiques élaborées, en passant par la gamme parapharmaceutique, issus du cactus. Cette évolution reflète la montée en compétence des entreprises locales et une meilleure valorisation de l’ensemble du fruit, dans une optique d’économie circulaire.
L’un des facteurs décisifs dans l’essor de la filière figue de barbarie a été l’instauration d’une véritable culture de collaboration entre les différents acteurs. Au fil des années, des liens solides se sont tissés entre les producteurs et les entreprises de transformation tunisiennes. Assurant ainsi une meilleure fluidité entre l’amont et l’aval et créant un environnement propice à l’investissement et à l’innovation.
Cette dynamique collaborative s’est notamment traduite par la mise en œuvre d’un programme de promotion sectoriel public-privé ambitieux autour du logo « Organic Cactus Seed Oil – Origin Tunisia », destiné à positionner l’huile de pépins de figue de barbarie tunisienne sur les marchés.
Tous unis pour le cactus…
C’est dans ce contexte qu’a été créée en 2018 l’Association nationale de développement du cactus (ANADEC), qui fédère aujourd’hui les principaux opérateurs de la filière. Elle joue un rôle central dans la représentation du secteur, la coordination des actions de promotion et le dialogue avec le secteur public.
En effet, les institutions publiques tunisiennes jouent elles aussi un rôle de plus en plus actif dans le renforcement de la compétitivité de la filière. Ainsi, depuis quelques années le Centre de promotion des exportations (CEPEX) organise régulièrement des activités de promotion et de matchmaking à l´international, l’Agence de vulgarisation et de formation agricole (AVFA) va bientôt lancer un programme de formation continue dédié au figuier de barbarie. Tandis que le Groupement interprofessionnel des fruits (GIFRUITS) vient d’annoncer l’organisation du « Cactus Innov », le premier concours de l’innovation pour la filière figue de barbarie.
De son côté l’Office national de l’artisanat a clôturé la première édition du concours ARTITERROIR pour mettre en avant des créations artisanales autour du thème artistique du cactus.
D’un autre côté, le ministère du Tourisme est engagé dans la promotion d´expériences immersives touristiques autour de la figue de barbarie à Nabeul et Kairouan.
Quid des défis ?
Ce parcours impressionnant ne doit cependant pas occulter les défis actuels. Depuis 2021, la filière est confrontée à une menace majeure : la cochenille, un insecte ravageur qui menace les plantations. Pour y faire face, une stratégie nationale de lutte intégrée a été mise en place par le ministère de l’Agriculture en collaboration avec le secteur privé. Ainsi, des prédateurs naturels de la cochenille ont été relâchés dans les zones de production afin de favoriser une lutte biologique durable.
Parallèlement, des variétés de cactus résistantes ont été identifiées pour avancer dans la replantation. Ces efforts traduisent une approche structurée, qui permettra à la filière agroindustrielle du cactus de continuer à avancer tout en renforçant sa résilience.
La figue de barbarie tunisienne incarne aujourd’hui un modèle de développement agro-industriel durable, fondé sur la valorisation des ressources locales, la collaboration, l’esprit d’entrepreneuriat et l’innovation. La nouvelle publication de l’ONUDI documente ce parcours et propose un ensemble de repères concrets pour d’autres filières en quête de compétitivité. Elle démontre que même les filières perçues à faible potentiel peuvent devenir des moteurs de croissance lorsqu’elles s’appuient sur une vision collective, un engagement coordonné et la volonté d’aller de l’avant ensemble.
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