Désinformation : une menace transnationale pour les démocraties
L’ambassade de Pologne à Tunis a organisé un débat réunissant experts et diplomates autour du thème de l’impact de la désinformation dans les sphères sociale et politique. Les intervenants ont alerté sur la banalisation de ce phénomène, désormais structurel dans nos espaces publics et instrumentalisé par des acteurs étatiques comme par des mouvements populistes. La manipulation de l’information y a été décrite comme une menace stratégique nécessitant des réponses innovantes.
L’ambassadrice de Pologne, Justyna Porazińska, a ouvert les débats en insistant sur le caractère global de la menace. Elle a souligné que les activités nuisibles de la désinformation s’étaient particulièrement renforcées après l’invasion de l’Ukraine, affectant désormais toutes les nations, y compris le continent africain. Si la nature de ces activités varie selon les régions, leurs effets restent malheureusement similaires.
La diplomate a identifié les objectifs invariables de ces actions hostiles : diviser, désorienter, discréditer, détruire et démoraliser les sociétés cibles.
Zina Mekouar, représentante du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), a présenté une analyse détaillée de la manipulation et de l’ingérence informationnelles étrangères. Elle qualifie ce phénomène de risque sécuritaire majeur pour les démocraties, soulignant qu’il est devenu un instrument à part entière de la politique étrangère de certains États.
Elle rappelé que le SEAE a développé depuis 2015 une méthodologie qui cible les comportements manipulateurs plutôt que les simples contenus faux. Cette approche vise les causes plutôt que les symptômes de la désinformation.
La boîte à outils de l’Union européenne face à la désinformation
La réponse européenne s’articule autour de trois piliers essentiels : la veille informationnelle par la cartographie du paysage médiatique et la création de réseaux d’analystes, le renforcement de la résilience sociétale via des formations et le soutien aux médias indépendants, et l’engagement réglementaire avec le secteur privé, notamment sur les questions d’intelligence artificielle. Cette stratégie globale entend traiter le phénomène à sa source plutôt que de simplement réagir à ses manifestations visibles.
Le mandat politique du SEAE le conduit à concentrer ses priorités sur les activités menées par la Russie et la Chine. Des campagnes spécifiques ont été citées, comme False Facade (ou fausse façade, en français), un réseau de plus de 200 sites « impersonnant » des médias européens, et Doppelgänger, une opération de copie d’interfaces médiatiques dans 35 langues.
En Afrique du Nord, cette influence passe notamment par la diplomatie culturelle et des accords de coopération signés entre l’agence Sputnik et des médias locaux en Tunisie et en Algérie, par exemple.
La désinformation comme nouvelle norme structurelle
Karim Bouzouita, enseignant et expert en communication politique, a présenté une analyse plus fondamentale du phénomène. Selon lui, la désinformation n’est plus l’exception mais la norme, structurant désormais nos espaces publics et médiatiques. Cette transformation correspond à la fin de l’époque où les médias traditionnels créaient un imaginaire commun. Nous serions entrés dans l’ère des populismes conspirationnistes, où les acteurs n’adhèrent pas nécessairement aux théories qu’ils propagent, mais les utilisent à des fins politiques ou économiques.
Plusieurs facteurs expliquent l’efficacité de la désinformation selon l’expert. Le modèle économique actuel fait de la populisme un capital plus valorisé que la compétence, encourageant l’adoption d’idées extrémistes comme chemin rapide vers la notoriété. La concentration médiatique, tant dans les médias traditionnels que sociaux, facilite la diffusion de ces contenus.
Enfin, le cerveau humain serait naturellement enclin à accepter les mensonges qui confortent ses croyances, une faiblesse exploitée par des équipes de neuroscientifiques travaillant à maximiser l’attention sur les plateformes numériques.
L’expert a rappelé que les campagnes de désinformation ont des conséquences bien réelles, citant l’exemple de l’affaire du pétrole en Tunisie en 2016 où des élites politiques et médiatiques avaient diffusé de fausses données.
Les attaques terroristes d’extrême droite constituent une autre manifestation de cette contamination des discours conspirationnistes dans la sphère publique, y compris dans les pays du Sud où s’exportent les rhétoriques suprémacistes européennes.
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