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Cannes 2025 – « Woman and Child », le grand absent du palmarès

27. Mai 2025 um 17:01

Pour la deuxième fois, Saeed Roustaee quitte le Festival de Cannes sans figurer au palmarès officiel, et cela demeure difficilement compréhensible. En 2022, son remarquable Leila et ses frères avait certes remporté le Prix FIPRESCI, mais n’avait reçu aucune récompense du jury officiel. Cette année, avec Woman and Child, le cinéaste iranien livre pourtant un nouveau film puissant, parfaitement maîtrisé, qui aurait largement mérité une reconnaissance à la hauteur de son audace et de sa profondeur.

Présenté en sélection officielle au 78ème Festival de Cannes, Woman and Child (Zan o Bacheh, en version originale) a immédiatement marqué les esprits lors de sa première au Grand Théâtre Lumière. Accueilli par une longue standing ovation, ce film bouleversant illustre avec force les tensions sociales et intimes qui agitent l’Iran d’aujourd’hui.

Saeed Roustaee, réalisateur iranien né en 1989 à Téhéran, s’est imposé comme l’un des cinéastes les plus pertinents de sa génération. Diplômé de l’Université Soore de Téhéran, il est connu pour ses œuvres incisives telles que Life and a Day (2016) et La Loi de Téhéran (2019), qui explorent les fractures sociales et les violences au sein de la société iranienne. Saeed Roustaee est aussi un artiste dont la liberté d’expression a été mise à rude épreuve. Son film Leila et ses frères (2022), présenté à Cannes sans l’aval des autorités iraniennes, lui a valu des démêlés judiciaires importants, avec une condamnation à six mois de prison avec sursis pour « propagande contre le régime ».

Woman and Child se concentre sur le parcours de Mahnaz, interprétée avec une intensité remarquable par Parinaz Izadyar, une infirmière veuve qui élève seule ses enfants dans le Téhéran contemporain, avec l’aide de sa mère chez laquelle elle vit. Alors qu’elle s’apprête à refaire sa vie avec Hamid, son fiancé joué par Payman Maadi, un drame familial survient : le fils de Mahnaz est renvoyé de l’école, et bientôt, un accident tragique vient bouleverser le fragile équilibre familial. Ce choc intime devient le révélateur de tensions plus larges, sociales et politiques, qui traversent la société iranienne.

Le synopsis pourrait sembler classique à première vue, mais c’est dans la manière dont Saeed Roustaee construit cette histoire qu’émerge toute la force du film. La narration est subtile, entre suspense et émotion brute, et jamais le réalisateur ne cède à la facilité. Le film déroute par ses nombreux retournements narratifs, ces twists qui bousculent notre compréhension des personnages et de leur réalité, tout en maintenant une tension dramatique jusqu’à la dernière minute. Cette construction complexe, digne d’un thriller psychologique, épouse brillamment la montée d’une tension sociale palpable dans l’Iran d’aujourd’hui.

L’une des grandes forces du film réside dans son portrait d’une femme iranienne contemporaine, confrontée à une société patriarcale et répressive. Mahnaz est une figure d’indépendance et de résistance, qui lutte pour sa liberté et celle de ses enfants. Mais son combat est aussi celui de toutes les femmes iraniennes, enfermées dans un système rigide où le poids des traditions misogynes, des lois et des normes religieuses, pèse lourdement. À travers elle, Saeed Roustaee donne une voix à une population qui souffre en silence, un cri étouffé mais vibrant. Ce portrait social est d’autant plus fort qu’il est porté par l’interprétation intense et juste de Parinaz Izadyar, saluée à l’unanimité par la critique. Beaucoup ont estimé qu’elle méritait haut la main le Prix de la meilleure interprétation féminine à Cannes, tant son jeu mêle vulnérabilité et force, douleur et rage contenue.

 

Cannes 2025 – Montée des marches pour l’équipe du film « Woman and child »

 

Mais cette œuvre sociale majeure n’a pas échappé à la polémique. Woman and Child a suscité une controverse avant même sa présentation à Cannes. L’Association des cinéastes iraniens indépendants (IIFMA) a accusé Saeed Roustaee de faire de la « propagande » pro-régime, en raison notamment de l’obtention d’un permis de tournage — perçu comme une marque de compromission — et de la représentation de femmes voilées, y compris dans des scènes se déroulant dans la sphère domestique. Selon l’IIFMA, cela constituerait une trahison du mouvement « Femme, Vie, Liberté », né après la mort de Mahsa Amini et qui a profondément bouleversé la société iranienne.

Roustaee a répliqué publiquement en expliquant que l’autorisation officielle n’était qu’une formalité administrative indispensable pour mener à bien le film féministe qu’il avait en tête. Il a revendiqué son œuvre comme relevant d’un « cinéma de résistance », affirmant que le film devait justement parler de l’émancipation féminine depuis l’intérieur du système, afin de pouvoir atteindre le public iranien.

Lors de la conférence de presse qui a suivi la projection, Roustaee a été interrogé sur la question de l’autocensure, notamment à la lumière de l’interdiction en Iran de son troisième film, Leila et ses frères. Il a répondu qu’il ne savait pas exactement si, dans son inconscient, il s’autocensurait. Âgé de 35 ans et vivant en Iran, il connaît bien son cinéma, qui s’inscrit dans la continuité du cinéma social iranien des 45 dernières années. Il ne sait pas jusqu’où il s’autocensure, si c’est le cas, mais il fait des films pour être vus par le public iranien dans les salles du pays. Il admet donc qu’il fait sûrement attention à certains aspects pour que cela soit possible.

D’autres critiques ont rejoint ce débat, cette fois au sein même de la diaspora iranienne. Certains reprochent à Roustaee de ne pas montrer des femmes assez libres ou assez émancipées à l’écran, estimant qu’il reste trop prudent dans sa manière de les représenter. Alors que, dans la réalité iranienne, un nombre croissant de femmes choisissent de ne pas porter le voile dans la sphère publique, certains lui reprochent de montrer des personnages féminins voilés à la maison, ce qui pourrait être interprété comme une forme d’acceptation ou de normalisation d’une norme imposée. D’autres réalisateurs iraniens ont, ces dernières années, cherché à ne pas respecter cette règle : par exemple Mohammad Rasoulof a choisi, dans son film Le Diable n’existe pas (2020), de montrer des femmes non voilées dans la sphère privée ; ou plus récemment encore Jafar Panahi, dont on voit une femme non voilée y compris dans la rue dans son film Un simple accident. Roustaee, par son travail, navigue avec subtilité dans ces eaux troubles, ce qui ne peut que susciter débats et questionnements.

 

Cannes 2025 – Le réalisateur Saeed Roustaee, les acteurs Payman Maadi, Parinaz Izadyar et l’enfant Arshida Dorostkar

 

Sur le plan de la direction d’acteurs, le film brille aussi par la complicité entre Saeed Roustaee et Payman Maadi, acteur qu’il considère comme son « acteur fétiche ». Leur collaboration remonte à Life and a Day, et depuis, Maadi incarne souvent des personnages complexes, révélateurs des contradictions de la société iranienne. Dans Woman and Child, son interprétation de Hamid ajoute une couche supplémentaire à la tension dramatique, entre soutien et conflit familial.

L’écriture du film mérite également une mention spéciale. Le scénario, solidement construit, explore de manière subtile mais incisive les thèmes du deuil, de la justice, et de la condition des femmes. Ce qui fait la force du récit, c’est sa capacité à mêler un drame intime et une critique sociale profonde. La tension narrative est savamment orchestrée, chaque scène apportant son lot de révélations et de retournements, ce qui rend la progression du film captivante et parfois déconcertante. Selon moi, Woman and Child aurait mérité un prix du meilleur scénario à Cannes, tant ce travail d’écriture épouse parfaitement la complexité psychologique des personnages tout en reflétant la réalité sociale iranienne.

Le film est donc une œuvre qui témoigne d’un esprit rebelle profond, d’une volonté farouche de faire entendre une voix féminine dans un contexte où celle-ci est souvent réduite au silence. Woman and Child n’est pas seulement le portrait d’une femme isolée : c’est aussi un miroir de la société iranienne contemporaine, où traditions, religion, pouvoir patriarcal et aspirations individuelles s’entrechoquent douloureusement.

Mais au-delà de son sujet immédiat, Woman and Child interroge aussi, en filigrane, la notion même de responsabilité dans une société où les lignes d’autorité sont brouillées. Où commence l’autorité d’un parent ? Jusqu’où s’étend celle de l’État, de la tradition, ou même de la famille élargie ? En abordant la question de la justice et de la garde des enfants, Saeed Roustaee ouvre la voie à une réflexion plus large sur la manière dont les sociétés patriarcales organisent — ou désorganisent — les liens familiaux et sociaux. Dans un pays où la tutelle légale des enfants est encore majoritairement confiée aux hommes, qu’advient-il des femmes lorsqu’elles réclament, non pas un statut, mais un droit à la voix, à la colère, et à l’auto-détermination ?

Par ailleurs, Woman and Child pose en creux une question plus vaste : que peut encore le cinéma face à la censure, à l’oppression, ou à l’indifférence des institutions ? Jusqu’où un cinéaste peut-il résister tout en restant audible ? Jusqu’où peut-il aller pour défendre sa liberté d’expression et de création ? Faut-il aller jusqu’à quitter son pays, comme l’a fait Mohammad Rasoulof ? Faut-il braver la justice, comme l’a fait Jafar Panahi ? Ces interrogations, laissées en suspens, prolongent la portée du film bien au-delà de l’écran — et convoquent, pour les spectateurs comme pour les programmateurs, une réflexion urgente sur le rôle politique et symbolique de l’art.

Neïla Driss

 

 
 
 

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Cannes 2025 – « Un simple accident », un film de colère et d’humanité

20. Mai 2025 um 22:21

Présenté en compétition officielle au 78e Festival de Cannes, « Un simple accident » a bouleversé la Croisette. La projection s’est achevée sous une standing ovation longue et chaleureuse, l’une des plus émouvantes de cette édition. Ce film puissant, tendu, traversé par une rage sourde et une humanité bouleversante, pourrait bien figurer parmi les favoris pour la Palme d’Or.

Son auteur, Jafar Panahi, n’est pas un inconnu sur la scène cannoise. Réalisateur majeur du cinéma iranien, il y a remporté la Caméra d’or en 1995 pour Le Ballon blanc (Quinzaine des réalisateurs), le prix du Jury Un Certain regard pour Sang et Or en 2003, et son film Trois visages y a décroché le prix du scénario en 2018. Mais depuis plus de dix ans, son nom est aussi synonyme de résistance. Résistance à un régime qui a tenté de le réduire au silence, en lui interdisant de filmer, de voyager, ou de s’exprimer publiquement. Cela ne l’a jamais empêché de continuer à faire du cinéma, souvent en cachette, souvent avec des moyens de fortune, mais toujours avec cette nécessité vitale d’interroger son époque, sa société, et les souffrances de son peuple.

Un simple accident, comme nombre de ses précédents films, a été réalisé sans autorisation de tournage délivrée par la République islamique et les actrices du film ne portent pas toutes le hidjab, une transgression passible de lourdes peines en Iran.

Jafar Panahi a payé cher son insoumission : arrestations, assignation à résidence, interdiction de travail, et plusieurs peines de prison. Il est sorti récemment d’une incarcération de sept mois, mais lors de la présentation cannoise, il a tenu à rappeler que nombre de ses confrères et consœurs, en particulier les actrices, sont toujours emprisonnés ou réduits au silence, uniquement pour avoir défendu la liberté, la justice, ou simplement la vérité.

Sur scène, le cinéaste a dédié la projection de son film aux cinéastes iraniens, et plus particulièrement aux actrices « qui ne peuvent plus travailler parce qu’elles ont participé au mouvement de libération des femmes et contre le port obligatoire du voile ». Visiblement ému, il a évoqué sa propre détention, l’impossibilité de travailler librement en Iran, et la douleur de voir ses camarades dispersés dans le monde, souvent en exil, arrachés à leurs terres, mais continuant malgré tout à faire des films. Il a conclu avec cet espoir tenace : « Un jour, nous pourrons rentrer chez nous et filmer à nouveau dans notre pays. »

 

 

Dans Un simple accident, tout part d’un fait banal, presque anodin. Un père, sa fille, et une mère enceinte sont en voiture, la nuit. Soudain, ils heurtent et blessent un chien. La fillette reproche à son père de ne pas avoir freiné. Il se défend, dit que l’animal s’est jeté sous la voiture et que la route n’était pas éclairée. Une scène d’apparence ordinaire, mais qui contient déjà tous les éléments qui vont faire basculer le film dans un drame psychologique intense.

La voiture tombe en panne peu après. Est-ce à cause du choc ? On ne le saura jamais vraiment. Un homme tente de les aider, un autre les observe et commence à suivre la famille, discrètement. Le lendemain, cet homme enlève le père. Il s’apprête à le tuer, mais hésite. Est-il sûr de son identité ? Est-ce bien lui, cet ancien geôlier, cet homme qui l’a torturé en prison ? La question le hante. Il décide de le garder captif le temps de vérifier. Il fait alors appel à d’autres anciens prisonniers, eux aussi victimes du même bourreau, pour essayer de le reconnaitre.

Chacun apporte son témoignage. Il y a celui qui veut oublier, tourner la page, recommencer sa vie, celui qui réclame vengeance immédiate, celle qui ne parvient pas à surmonter les séquelles physiques et psychologiques de la torture… Le film avance par couches successives, chaque voix apportant une nuance, une douleur différente. Jusqu’à un face-à-face final entre le prisonnier et son ravisseur. La vérité éclatera-t-elle ? Ou est-ce simplement une autre projection de la mémoire brisée de ces hommes et femmes broyés par l’appareil répressif d’un État qui nie les libertés les plus fondamentales ?

Un simple accident n’est pas un film à suspense au sens classique du terme, même s’il en emprunte certains ressorts. C’est avant tout une réflexion sur la mémoire, la justice, la vengeance, et la possibilité (ou l’impossibilité) de la réconciliation. Jafar Panahi y tisse une métaphore lucide de la société iranienne, traumatisée par des décennies de répression. À travers les figures de ses personnages — l’enfant innocente, le père embarrassé, la mère silencieuse, les anciens prisonniers tiraillés entre oubli et revanche —, il déploie un tissu de récits individuels qui, mis bout à bout, forment une fresque collective de la douleur iranienne.

 

 

La mise en scène, sobre et tendue, accentue ce sentiment d’étouffement. Les plans serrés, les jeux d’ombre et de lumière, les silences, les cris, tout concourt à créer une atmosphère de doute permanent. Est-ce lui ? Est-ce le bon ? Peut-on croire sa mémoire ? Peut-on faire justice avec si peu de certitudes ? A-t-on le droit de se faire justice soi-même ? Et si on tue, ne devient-on pas comme ce bourreau?  Ce n’est pas la réponse qui importe, mais le chemin que chacun emprunte. Et au fil du film, les divers personnages évoluent.

Le film interroge aussi ce que signifie être un être humain face à la machine de l’État. Il oppose, de manière presque documentaire, les survivants et les bourreaux, les victimes et les complices, les résistants et les zélateurs. Il n’y a pas de manichéisme dans Un simple accident, mais une complexité morale vertigineuse. Chacun est confronté à ses choix, à ses douleurs, à son passé. Chacun essaie de comprendre ce qui lui est arrivé, et ce qu’il doit faire à présent.

Avec ce film, Jafar Panahi confirme qu’il est l’un des grands cinéastes du présent. Malgré les interdictions, les arrestations, les exils forcés, il continue à faire entendre la voix de ceux qu’on empêche de parler. Un simple accident est peut-être son œuvre la plus politique, et paradoxalement la plus humaine. Il nous rappelle que derrière les slogans, les lois et les censures, il y a des vies. Des existences abîmées, mais debout. Des hommes et des femmes qui, envers et contre tout, continuent à croire à la dignité.

À Cannes, ce cri a trouvé un écho. Le public du Grand Théâtre Lumière, debout, a longuement applaudi ce retour en grâce. Une Palme d’Or serait une reconnaissance éclatante, mais le film a déjà accompli bien davantage : il a touché les consciences. Avec une bouleversante simplicité.

Neïla Driss

 

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