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Le crépuscule des vieux

04. November 2025 um 10:18

Ils sont environ deux millions en Tunisie, soit près d’une personne sur cinq, à avoir soixante ans ou plus. A la marginalisation socio-économique, la baisse du pouvoir d’achat, l’absence d’espace d’expression et de valorisation sociale, s’ajoute une solitude affective de plus en plus pesante, aggravée par le conflit des générations, le départ des enfants ou la mort de plusieurs amis d’enfance et de connaissances. Mais c’est l’horloge du temps qui passe qui les tient souvent éveillés, à se mémoriser leurs souvenirs, à se demander quand sera leur tour et leur gâcher le peu de temps qu’il leur reste encore à vivre. Un texte écrit sur les vieux par un vieux, à lire non seulement par les vieux mais aussi par les adultes et les jeunes qui seront un jour vieux eux aussi et bien plus vite qu’ils ne le pensent.

Dr. Sadok Zerelli *

Beaucoup trouvent que le terme «vieux» est péjoratif et préfèrent parler de «séniors» ou de «personnes du troisième âge», un point de vue que je ne partage, car l’étant moi-même (j’ai 76 ans), je revendique le privilège et la chance que j’ai de vivre cette phase ultime de la vie, que beaucoup n’ont pas eu ou n’auront pas la chance de vivre. Ainsi, je n’ai pas hésité à m’inspirer pour le titre de cet article de la célèbre symphonie « Le Crépuscule des Dieux » de Wagner, que tous les mélomanes connaissent, et qui me fait vibrer personnellement à chaque fois que je l’écoute, parce qu’elle exprime en langage musical le tragique destin de l’Homme que les philosophes appellent «la finitude».

Dans le même chapitre des préjugés sociaux, j’ai relevé que dans notre société arabo-musulmane, il existe beaucoup de sujets tabous, dont la sexualité et la mort, qui sont pourtant au cœur même de la vie, puisque sans rapports sexuels il n’y a pas de vie et sans vie il n’y a pas de mort. 

Autant dire que je suis conscient que parler du crépuscule de la vie et de la mort qui s’en suivra inéluctablement, et encore plus écrire un article sur un tel sujet métaphysique, qui est très loin de ma spécialité (économiste) et se situe sur la frontière entre la sociologie, la philosophie et la religion, comporte le risque de choquer certain(e)s lecteur(ice)s qui ne partageront pas mes pensées et ont leurs propres réponses à cette question existentielle, qui relève de l’intime de chacun(e).

C’est pour cela que j’insiste dès l’introduction qu’il faudrait lire cet article comme une réflexion libre et personnelle, que je ne demande à personne de partager.

Combien sont-ils ?

Selon le Recensement général de la population organisé en 2024 par l’INS, la population tunisienne totale s’élève à 11 972 169 habitants, contre 10 952 744 en 2014, soit un accroissement de 11,3% en dix ans, ce qui correspond à un taux d’accroissement annuel géométrique de 1,08%.

Selon les résultats comparés de ces deux recensements, la Tunisie connaît un vieillissement accéléré de sa population, conséquence de la baisse de la natalité et de l’amélioration de l’espérance de vie : l’âge moyen est passé de 34,2 ans en 2014 à 36,8 ans en 2024, et la part des personnes âgées de soixante et plus est passée de 11,4% en 2014 à 16,68% en 2024, soit actuellement environ 2 millions de personnes ou un(e) Tunisien(ne) sur cinq.

Toujours selon l’INS, seulement 12,6 % des personnes âgées continuent en 2024 à exercer une activité professionnelle et seulement 42,1% bénéficient d’une couverture sociale et sanitaire, contre 76,1% pour l’ensemble de la population. Autant dire que sur le plan économique et social, les personnes âgées constituent une population non négligeable mais vulnérable.

La place des vieux dans la société tunisienne 

Dans la société tunisienne, les personnes âgées sont à la fois respectées sur le plan symbolique et fragilisées dans la réalité sociale contemporaine.

Leur place dans la société s’inscrit dans une longue tradition de solidarité familiale et d’attachement aux anciens, tout en étant mise à l’épreuve par les mutations économiques, démographiques et culturelles de plus en plus rapides que connait le pays.

Ainsi, les dernières décennies ont vu une détérioration des conditions de vie des vieux, en raison de l’urbanisation rapide et de la modernisation économique, qui font que les jeunes générations s’installent en ville, quand ce n’est pas à l’étranger, loin de leurs villages natals et de leurs parents, dans des logements souvent exigus, ce qui réduit la cohabitation intergénérationnelle traditionnelle.

Résultat : de plus en plus de personnes âgées vivent seules et se retrouvent dépendantes d’un système de protection sociale défaillant.

Si le discours officiel, familial ou politique, continue d’exalter le respect dû aux aînés, la réalité socio-économique est plus nuancée : les pensions de retraites sont insuffisantes et rognées par l’inflation rampante (comme tous les ménages, les retraités ont subi une baisse du pouvoir d’achat de 30,7% durant les trois dernières années et de 48,6%, soit presque de la moitié, depuis l’arrivée au pouvoir de Kais Saïed en 2019 (voir mon dernier article publié dans Kapitalis intitulé : «Embellie de l’économie de la Tunisie : Le vrai du faux»),  les systèmes de santé sont non adaptés aux maladies chroniques du vieillissement, pas ou peu de maisons de retraite et d’espaces d’accueil pour les vieux, marginalisation économique et sociale, solitude croissante particulièrement en milieu urbain, etc.

Autant dire que sur le plan économique et social, les vieux sont les oubliés de notre société et leur sort n’est pas à envier.

Le «conflit de générations»

Il y a, sans doute, aujourd’hui, en Tunisie, une tension pour ne pas dire un conflit, entre la génération Z (et non pas Zuuut, comme disait notre Président !) qui est plus exigeante, plus mobile et plus connectée, que la génération à laquelle j’appartiens, que j’appellerais génération B, par référence à «Baby-boomers», c’est-à-dire ceux et celles qui sont né(e)s autour des années 1950.

Le déficit de communicationentre ces deux générations affaiblit la transmission des valeurs sociales et augmente le sentiment d’isolement chez les vieux, qui ne se sentent pas compris par les jeunes, quand ils ne se sentent pas ridiculisés ou même moquées par certains d’entre eux.

Ce phénomène est aggravé par la rupture de repèreschez les jeunes qui, avec leur connexion continuelle sur TikTok, Instagram, etc., l’accélération des changements technologiques, culturels et économiques, se sentent souvent confrontés à des attentes héritées (famille, travail, statut social) qu’ils ne jugent plus adaptées à leur réalité constituée de chômage élevé, d’incertitude, de mondialisation et de migration.

Dans ce domaine, la révolution de 2011 a marqué un point de bascule : elle a mis en lumière l’aspiration des jeunes à plus de liberté, à plus de rôle actif dans la société, mais elle a aussi fait apparaître une défiance envers les générations antérieures que les  jeunes accusent, non sans juste raison, d’être responsables de l’impasse dans laquelle se trouve le pays tant sur le plan économique, que politique et environnemental, qui ne leur laisse pas d’autres choix que d’émigrer et quitter le pays de leurs ancêtres.

En tout état de cause, il y a incontestablement un glissement entre des valeurs plus collectives/familiales de la génération B vers des valeurs plus individualistes, tournées vers l’avenir et l’autonomie, de la génération Z., qui renforce chez les vieux le sentiment d’incompréhension, voire de rejet, très douloureux à vivre, surtout quand il vient de la part de leurs propres enfants qu’ils ont sacrifié leur vie pour élever.

Les vieux face à l’horloge du temps

C’est la principale source d’anxiété chez les vieux, car que notre heure H soit proche ou lointaine, il est un fait que chaque jour ou anniversaire supplémentaire que nous vivons nous rapproche de cette date fatidique qui est inscrite quelque part et que seul Dieu connait.

Certain(e)s ont la chance d’être capables d’oublier cette vérité basique de l’existence humaine sur terre et vivre à 100Km/heure jusqu’à leur dernier jour, d’autres moins chanceux, comme moi-même, ne peuvent s’empêcher d’y penser continuellement et de gâcher ainsi par ces pensées négatives le peu d’années qui leur restent à vivre.

En effet, il arrive un moment dans la vie où le temps ne s’étire plus mais se rétrécit. Les journées deviennent plus longues, mais les années plus courtes. Le corps ralentit, les gestes tremblent, les visages se fanent. Et dans le silence des appartements ou des maisons vides, les vieux écoutent battre l’horloge, comme on écoute son propre cœur battre en sursis.

Le crépuscule des vieux n’est pas qu’une période de la vie : c’est un territoire inconnu, un continent d’ombres où la solitude est reine. Ce n’est plus la même solitude que celle des jeunes — choisie, fière, pleine de projets —, mais une solitude subie, peuplée d’absences : les amis sont partis ou morts un à un, les enfants ont grandi et se sont éloignés, pris dans la tourmente de leurs propres vies, les voix se sont tues, les rires ont fui, et il ne reste que l’écho des souvenirs.

Le vieux s’habitue à parler tout seul, à répondre à la télévision, à se raconter sa journée pour tromper le vide. Il s’invente une présence, une raison de se lever le matin, même si ce n’est que pour nourrir un chat, arroser une plante ou regarder la lumière glisser sur les murs. Il se souvient d’un passé plein, dense, bruyant, de l’époque où il faisait partie du monde. Aujourd’hui, il l’observe de loin, comme on regarde un train qui passe et qu’on ne peut plus prendre.

Mais plus que la solitude, c’est la conscience aiguë du temps qui passe qui le ronge. Le vieux ne vit plus dans la promesse de demain, mais dans la nostalgie d’hier. Chaque nouvelle douleur, chaque oubli, chaque perte d’équilibre devient un avertissement. Le corps devient un territoire étranger, parfois hostile. On y habite encore, mais on n’y règne plus. Et derrière chaque malaise, chaque vertige, se cache l’idée obsédante : et si c’était le début de la fin?

La mort, longtemps une idée abstraite, prend un visage. Elle n’est plus un concept philosophique, ni une lointaine éventualité. Elle devient voisine, discrète, presque familière. On la sent rôder autour de soi, sans savoir quand elle frappera. Certains l’attendent avec résignation, d’autres avec peur, d’autres encore avec une étrange curiosité. Mais tous savent qu’elle approche, inévitable, patiente.

Le soir, quand la lumière décline, beaucoup de vieux se sentent glisser dans une sorte de mélancolie douce et amère. Ils se demandent à quoi tout cela a servi — tant d’années de labeur, de rêves, de luttes, de sacrifices.

Certains trouvent du réconfort dans la foi, d’autres dans l’écriture comme moi-même, ou le simple fait d’exister encore. Car tant que je pense, tant que j’écris un tel article ou d’autres, j’ai le sentiment de résister à la disparition.

Le crépuscule des vieux, c’est cela : une lutte silencieuse contre l’effacement. Une dignité fragile, une résistance quotidienne au vide et à l’oubli. Ce n’est pas un âge de résignation, mais un âge de vérité. Les vieux, dans leur solitude, détiennent une forme rare de sagesse : celle de savoir que tout passe, mais que chaque instant compte encore.

Alors, parfois, au détour d’un rayon de soleil, d’un rire d’enfant ou d’un souvenir qui revient comme une caresse, ils se disent qu’ils ne sont pas encore morts. Qu’il leur reste peut-être un mot à dire, un article ou un poème à écrire, l’odeur d’une fleur à sentir, le sourire d’un enfant ou petit-enfant à recevoir, un dernier paysage à contempler.

Et dans ce crépuscule lent et inéluctable, il y a encore une lueur : celle de la vie, obstinée, tremblante, vacillante, mais toujours là.

En guise de conclusion à cet article qui relève de l’intime, j’ai rédigé le poème suivant qui exprime plus fidèlement les pensées qui me traversent souvent au crépuscule de de ma vie et que je dédie à tous les vieux, mais aussi aux adultes et jeunes qui le seront un jour, bien plus vite qu’ils ne le pensent :  

Qu’ai-je fait de ma vie ?

C’est l’heure où le jour hésite à mourir.

L’heure où le temps s’étire comme un souffle.

Les vieux vivent dans cette heure-là

Suspendus entre ce qui fut et ce qui ne sera plus.

Ils marchent lentement, non parce que leurs jambes faiblissent,

Mais parce qu’ils savent qu’il n’y a plus d’urgence à courir.

La solitude les enveloppe doucement,

Alors ils parlent aux murs, à leur ombre, à la pendule.

* * *

Pour les vieux, la mort n’est plus une étrangère.

Elle rôde, douce parfois, presque jolie.

Elle frôle la peau, effleure le souffle et attend son heure.

Alors les vieux apprennent à lui parler.

Ils lui demandent un peu de répit,

Juste assez pour écrire une phrase de plus,

Admirer un nouveau coucher de soleil

Ecouter encore une fois le chant d’un oiseau

* * *

Le crépuscule des vieux n’est pas la fin.

C’est l’instant où l’être se retourne vers lui-même

Et murmure : qu’ai-je fait de ma vie ?

L’article Le crépuscule des vieux est apparu en premier sur Kapitalis.

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