‘‘Dames de fraises, doigts de fée’’ | Quand la BD donne voix aux invisibles
La bande dessinée d’Annelise Verdier, ‘‘Dames de fraises, doigts de fée’’, adaptée de l’enquête de Chadia Arab, ne se contente pas de retracer un parcours migratoire saisonnier : elle ouvre une fenêtre sur un monde souvent ignoré.
Djamal Guettala
Farida, Nadia et Najet ne sont pas des héroïnes au sens classique du terme; ce sont des femmes ordinaires confrontées à l’extrême précarité, au travail harassant et aux humiliations quotidiennes dans les serres de Huelva, en Espagne. Chaque saison, elles quittent le Maroc, laissant derrière elles enfants, maisons et souvenirs, pour s’exposer à une réalité où la nécessité prime sur le choix.
Le récit visuel restitue avec force et sensibilité la douleur physique et psychologique de ces journées interminables, accroupies sous la chaleur, les mains dans la terre et les pesticides. Mais il montre aussi la solidarité et l’entraide qui naissent dans l’adversité. Solidarité, sororité, entraide : c’est dans ces gestes simples mais essentiels que réside leur résistance. Chaque planche, chaque expression traduit à la fois l’épuisement et la dignité, la vulnérabilité et la force, offrant au lecteur une immersion profonde dans un quotidien souvent invisible.
Verdier transforme des statistiques et des constats abstraits en visages et en histoires concrètes. Les «dames de fraises» deviennent des figures humaines, tangibles, avec leurs rêves, leurs absences et leurs sacrifices. Son travail graphique restitue la complexité d’une exploitation profondément ancrée dans des systèmes économiques mondialisés, tout en donnant vie à une sororité qui se tisse dans la lutte et la survie.

La préface de Chadia Arab souligne que ces récits s’ancrent dans une recherche rigoureuse, offrant à la bande dessinée un double niveau de lecture : documentaire et artistique. Le choix de la BD n’est pas anodin : par le dessin, la narration et la couleur, Verdier restitue la réalité des femmes avec une immédiateté et une sensibilité que le texte seul ne pourrait atteindre.
L’ouvrage ‘‘Dames de fraises, doigts de fée’’, de la géographe marocaine et chercheuse au CNRS Chadia Arab, est ainsi passé de pages en planches (122 pages en couleurs). Publiée le 22 août en France, la bande dessinée, actuellement en librairies, reverra le jour au Maroc.
Au-delà de son aspect documentaire, ce graphic novel est une leçon de regard et d’humanité. Il rappelle que derrière chaque main agile et chaque geste précis se cache une histoire de sacrifices, d’absences et de résilience. Il interroge notre rapport au travail invisible, à l’exploitation et à ces voix que le monde globalisé préfère étouffer. Dames de fraises, doigts de fée est une œuvre engagée, sensible et nécessaire, qui redonne dignité à celles que l’on ne voit jamais.
Djamal Porté par les maisons d’édition française Alifbata et marocaine En toutes lettres, dans le cadre du programme “Livres des deux rives’’ initié par l’Institut français, ce projet a été réalisé par la graphiste française Annelise Verdier.
L’article ‘‘Dames de fraises, doigts de fée’’ | Quand la BD donne voix aux invisibles est apparu en premier sur Kapitalis.