‘‘Le Poignard d’Algérie’’| Retour d’une mémoire refoulée
Dans le dernier numéro de ‘‘La Revue Dessinée’’ (n°48, juin 2025), la journaliste Florence Beaugé et le dessinateur Aurel reviennent sur une affaire que la France officielle aurait préféré laisser dormir dans l’ombre : la présence de Jean-Marie Le Pen, jeune officier parachutiste, dans une opération de «maintien de l’ordre» en mars 1957 à Alger, et la trace matérielle qu’il y a laissée — un poignard cérémoniel nazi gravé de son nom.
Djamal Guettala
‘‘Le Poignard d’Algérie’’ n’est pas une simple bande dessinée historique. C’est une reconstitution rigoureuse, fondée sur des témoignages, des archives, et surtout, sur un objet : une arme abandonnée sur les lieux d’un interrogatoire fatal, celui d’un militant nationaliste présumé, Ahmed Moulay, mort sous la torture dans la Casbah d’Alger.
Retrouvé par son fils, conservé en silence par la famille pendant plus de quarante ans, ce poignard est devenu la pièce centrale d’un procès en diffamation intenté par Le Pen contre Le Monde et Florence Beaugé en 2003. Un procès qu’il a perdu. Ce que les mots n’avaient pu prouver, une lame gravée l’a imposé.
L’ouvrage met en lumière une vérité dérangeante : des pans entiers de la mémoire coloniale française reposent sur des non-dits, des documents absents ou censurés, et des objets oubliés. Dans ce cas précis, un poignard nazi devient plus éloquent que tous les récits officiels. Il ancre dans le réel ce que beaucoup ont tenté de réduire à une polémique idéologique.
Ambivalence mémorielle partagée
Mais au-delà du symbole, l’affaire révèle une peur persistante, notamment du côté algérien. Mohamed Moulay, le fils du supplicié, a longtemps hésité à remettre l’arme à Florence Beaugé. Par crainte des représailles, du vol, ou du soupçon de trahison. Cette méfiance, explique la journaliste, dit beaucoup sur la manière dont la France est encore perçue : comme une puissance arrogante, capable de nier ou d’écraser toute vérité qui dérange.
Aujourd’hui, le poignard repose dans un coffre du Musée national du Moudjahid à Alger, sans être exposé. Ce choix en dit long. Il traduit non seulement la prudence des autorités algériennes, mais aussi une ambivalence mémorielle partagée : entre désir de reconnaissance et peur de raviver des blessures profondes.
En exposant cette histoire sous une forme accessible mais rigoureuse, Florence Beaugé et Aurel signent un travail salutaire. ‘‘Le Poignard d’Algérie’’ ne réécrit pas l’Histoire. Il oblige simplement à l’assumer. Et il rappelle que parfois, les objets parlent plus fort que les discours.


Références :
– ‘‘Le Poignard d’Algérie’’, Florence Beaugé (texte), Aurel (dessin), ‘‘La Revue Dessinée’’, n°48, juin 2025.
– ‘‘Algérie, une guerre sans gloire’’, Florence Beaugé, Le Passager clandestin, 2025.
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