La faillite du système éducatif tunisien | Comment en sortir ?
Dans les années 1960-1980, la Tunisie était un phare éducatif en Afrique, mais cet héritage est aujourd’hui en partie perdu. Notre pays ne peut se permettre de perdre une génération entière. La privatisation rampante de l’éducation et l’abandon de l’école publique creusent les inégalités et hypothèquent l’avenir du pays. Chaque jour de retard aggrave la situation et pousse davantage de jeunes vers l’exil ou le désespoir. Agir maintenant, avec vision et responsabilité, c’est investir dans l’avenir du pays et dans la réussite de tous ses citoyens.
Hedi Dardour

Sous Bourguiba, l’éducation était un pilier central de la nation. Il a construit des écoles et des universités qui ont permis aux Tunisiens et aux Tunisiennes de rayonner dans le monde entier. Les universités tunisiennes attiraient des étudiants de toute l’Afrique, témoignant de l’excellence et du prestige du savoir tunisiens.
Pourtant, aujourd’hui, ce système est en déliquescence. Les établissements publics souffrent d’un manque criant de ressources, d’une bureaucratie pesante et d’une gouvernance défaillante. Pire encore, on assiste à une désertification totale de l’école publique au profit des établissements privés, qui croissent à une vitesse exponentielle. Cette dynamique aggrave la fracture sociale entre les familles qui ont les moyens d’offrir à leurs enfants une éducation d’excellence et celles qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers un enseignement public en déclin.
La dégringolade des écoles et universités tunisiennes dans les classements mondiaux, comme celui de Shanghai, est le symbole du recul du prestige académique du pays.
Un système à l’agonie : causes et conséquences
1. L’effondrement de l’école publique et l’explosion du privé :
Depuis une décennie, les familles tunisiennes qui en ont les moyens se tournent massivement vers le secteur privé, perçu comme offrant une meilleure qualité d’enseignement et de meilleures perspectives d’avenir. Résultat : les écoles publiques se vident, concentrant les élèves issus de milieux défavorisés, tandis que les établissements privés – souvent chers et inaccessibles à la majorité – deviennent le symbole d’une éducation à deux vitesses.
Conséquence : une fracture sociale éducative sans précédent, où l’accès au savoir et aux opportunités dépend désormais du pouvoir d’achat des parents.
2. Instabilité politique et manque de continuité :
Les changements fréquents de gouvernements et l’absence de vision à long terme ont empêché toute réforme durable. Les priorités éducatives sont constamment repoussées au profit de crises immédiates, laissant le système sans direction claire.
3. Crise économique et désinvestissement :
Le budget alloué à l’éducation ne cesse de diminuer. En 2024, seulement 6 % du PIB y était consacré, contre 7-8 % au Maroc, un pays qui a su transformer son système éducatif en un levier de développement.
Les enseignants, confrontés à des conditions précaires, se mobilisent régulièrement pour réclamer de meilleures conditions, tandis que les infrastructures scolaires se dégradent faute d’entretien.
4. Fuite des cerveaux et perte d’attractivité :
Les universités tunisiennes, autrefois prisées, voient leurs effectifs d’étudiants étrangers diminuer. Le Maroc, lui, a su attirer des étudiants africains et arabes grâce à des investissements ciblés et des partenariats internationaux. Pendant ce temps, de nombreux jeunes Tunisiens choisissent de poursuivre leurs études à l’étranger, faute de perspectives locales.
5. Absence de vision stratégique :
Les réformes annoncées (révision des programmes, lutte contre la corruption, développement de l’enseignement professionnel) peinent à se concrétiser. Le système reste centralisé, rigide et incapable de s’adapter aux besoins du marché du travail et aux standards internationaux. Le Maroc, un modèle de réussite ? La comparaison avec le Maroc est édifiante. Grâce à une stabilité institutionnelle, à des investissements massifs dans l’éducation et à une volonté politique affirmée, le Maroc a su moderniser son système éducatif. Des universités comme Mohammed VI Polytechnique (UM6P) sont devenues des références en Afrique, attirant des étudiants et des chercheurs du monde entier.

Appel urgent à la responsabilité politique
Il est temps que les responsables politiques tunisiens fassent de l’excellence éducative une priorité absolue. Une nation ne peut prospérer sans une jeunesse formée aux standards internationaux, capable d’innover et de porter le pays vers l’avenir.
Pour éviter une catastrophe sociale et économique, il est urgent de :
· Sauver l’école publique : redonner aux établissements publics les moyens humains, matériels et pédagogiques pour rivaliser avec le privé. Cela passe par une revalorisation des enseignants, une modernisation des infrastructures et une lutte contre la corruption dans la gestion des ressources.
· Réguler le secteur privé : encadrer les frais de scolarité et imposer des standards de qualité pour éviter que l’éducation ne devienne un luxe réservé à une élite.
· Réformer la gouvernance : décentraliser la gestion des établissements et associer les acteurs locaux (enseignants, parents, entreprises) aux décisions.
· Adapter les programmes aux besoins du marché : développer des filières professionnelles courtes et utiles (numérique, énergies renouvelables, tourisme) pour répondre aux défis économiques actuels.
· Garantir l’égalité des chances : mettre en place des bourses et des mécanismes de discrimination positive pour permettre aux élèves défavorisés d’accéder à une éducation de qualité.
Agir maintenant, pour sauver l’avenir
La Tunisie ne peut se permettre de perdre une génération entière. La privatisation rampante de l’éducation et l’abandon de l’école publique creusent les inégalités et hypothèquent l’avenir du pays. Chaque jour de retard aggrave la situation et pousse davantage de jeunes vers l’exil ou le désespoir. Agir maintenant, avec vision et responsabilité, c’est investir dans l’avenir du pays et dans la réussite de tous ses citoyens.
Le système éducatif tunisien a besoin d’une refonte ambitieuse, portée par une volonté politique forte et une mobilisation collective. L’heure n’est plus aux promesses, mais à l’action. La Tunisie mérite de retrouver sa place de leader éducatif en Afrique – une place où chaque enfant, quel que soit son milieu social, a sa chance. À ses dirigeants de relever ce défi.
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