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Sra Ouertane | Veillons à ce que le sel de la terre ne devienne un poison !

27. Juli 2025 um 09:49

Dans les entrailles de la Tunisie, là où la roche sédimente des millénaires de mémoire, le Kef abrite le gisement de Sra Ouertane : une promesse de richesse mais aussi possible répétition d’un traumatisme collectif. Alors que le projet d’exploitation du phosphate dans cette région du nord-ouest tunisien a refait surface, il convient d’ouvrir les yeux… et les archives. 

Manel Albouchi

Le vice-président de la société chinoise Asia-Potash International Investment Guangzhou, Zheng Youye, en visite à Sra Ouertane le 27 juin 2025, a exprimé la volonté de son groupe d’accélérer les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires au lancement du projet d’exploitation du gisement de phosphate de Sra Ouertane, au sud du gouvernorat du Kef.

Les Chinois, tout comme les Tunisiens, n’étant pas particulièrement regardants sur les impacts environnementaux de leurs activités industrielles, on pourrait avoir du souci à se faire à propos de ce projet. Et pour cause…     

Pendant des décennies, le Sud a été exploité, au prix de troubles sociaux, psychiques et environnementaux (Gafsa en porte encore les cicatrices), tandis que le Nord restait dans une dissociation silencieuse. Un oubli structurel, presque volontaire. 

Découvert dans les années 1970, le gisement de Sra Ouertane contiendrait 1 milliard de tonnes de réserves estimées, avec 12 % de teneur en P2O5, soit l’un des plus importants gisements encore inexploités du pays. Pourtant, plus de 50 ans après sa découverte, son activation reste en suspens, balançant entre rêve de développement et cauchemar environnemental. 

Les derniers rapports évoquent une relance du projet, avec à la clé un investissement initial chinois estimé à 800 millions de dinars, une capacité de transformation annuelle d’un million de tonnes de phosphate dès sa première phase de mise en œuvre, et à terme, plus de 1500 emplois directs. Mais à quel prix ? 

L’ombre de Gafsa plane encore 

Les habitants du Kef observent Gafsa comme on regarde un miroir brisé. Dans cette région minière, le phosphate a laissé des stigmates profonds : maladies respiratoires, cancers, infertilité, anxiété chronique, stress post-traumatique. La dépression s’y est propagée comme un nuage de poussière. Les chiffres parlent : selon une étude de l’Institut national de la statistique (INS) en 2016, 1 habitant sur 3 dans le bassin minier souffre de troubles anxieux ou dépressifs. 

Le phosphate n’épuise pas que les sols. Il érode les corps, rompt les liens sociaux, fragilise les structures psychiques. Les enfants nés dans ces zones portent, souvent à leur insu, une mémoire traumatique transgénérationnelle. 

Des responsables de la société chinoise Asia-Potash International Investment Guangzhou en visite à Sra Ouertane.

Ce que le corps retient 

Nous sommes en présence d’un projet probablement rentable sur le plan économique mais stratégiquement risqué : car tout développement qui nie le symbolique et le lien au vivant court à sa propre destruction. Le mauvais exemple de Gabès meurtri par les impacts catastrophiques des industries chimiques en est une autre preuve. Et la République ne peut pas fonder sa modernité sur l’extractivisme, l’oubli et la dissociation collective. 

En effet, le corps qui il soit individuel ou social est une archive vivante. Il se souvient de l’injustice, de l’humiliation, de la dépossession. A Sra Ouertane, le corps social est pris en tenaille entre promesse d’emploi et menace d’effondrement.  

Dans cette perspective, ignorer les effets psychosomatiques d’un tel projet est une forme de violence symbolique.  

Ce que le projet oublie 

Le projet Sra Ouertane est riche en promesses… mais pauvre en études d’impact indépendantes. Les risques hydriques (le phosphate étant très consommateur en eau), les pollutions de l’air et du sol, les risques pour la santé mentale et physique, ainsi que les mouvements migratoires induits n’ont pas été suffisamment étudiés. 

Aucune enquête psychosociale sérieuse n’a été menée auprès des populations locales. Il n’y a pas eu de dialogue éthique ni de protocole de suivi psychologique anticipé. On a oublié que l’aménagement du territoire ne peut se faire sans soin du territoire psychique. 

Une République du soin ou de l’oubli ? 

On vient de célébrer, avant-hier, 25 juillet 2025, la fête de la République, osons poser la question fondamentale : quelle souveraineté exercera-t-on si l’on sacrifie une partie de sa population sur l’autel de la rentabilité ? Le développement ne peut être fondé sur le déni. Une véritable stratégie républicaine impliquerait : 

– des études d’impact pluridisciplinaires; 

– un accompagnement psychologique des populations concernées; 

– des mécanismes de réparation pour les victimes des erreurs passées (comme à Gafsa); 

– et un débat citoyen, éthique et transparent, car la Tunisie mérite une écologie de la justice. 

Le sel de la terre 

Le phosphate est le sel de la terre. Il peut fertiliser… ou brûler. À nous de choisir si nous voulons en faire une graine ou une cendre. Mais souvenons-nous que le sol parle, que le corps parle, et que la République n’est pas qu’un régime politique. Elle est aussi une promesse : celle de la dignité pour tous les citoyens, de la justice, de l’écoute et de la reconnaissance. Un État qui creuse la terre doit d’abord sonder les âmes. Car la terre, elle, hurle déjà en silence. 

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