Sur la côte éloignée du Cap Bon, là où la mer parle en syllabes phéniciennes et où les pierres gardent le secret des siècles, un souffle ancien reprend vie. Il s’appelle « La Dame de Kerkoine ». Elle débarque le 28 juillet au Festival international de Hammamet.
La Presse — Née d’une rencontre entre l’art et l’archéologie, entre la rigueur scientifique et l’élan poétique, cette œuvre théâtrale musicale invite le spectateur à se perdre dans le labyrinthe de la mémoire. Plus qu’un spectacle, c’est une cérémonie, un passage entre deux mondes: celui des vivants et celui des ancêtres.
A Kerkouane, nécropole figée dans le sel et le vent, les vestiges punico-phéniciens ne sont pas que des ruines. Ils murmurent. Ils se souviennent. Et dans ce souvenir, une figure se détache : une femme sculptée dans le bois de cyprès, trouvée un jour de juillet 1970, endormie dans une tombe de la nécropole d’Arg-el-Ghazouani. Elle n’avait pas de nom, alors on l’a appelée La Dame de Kerkoine.
De cette icône muette, Houssem Sehli, comédien habité par la mémoire de sa terre, tisse un récit entre mythe et Histoire. Il ne s’agit pas de reconstruire, mais de réenchanter. De convoquer 256 av. J.-C., lorsque les troupes romaines encerclent les cités carthaginoises, et de faire de cette guerre lointaine une fresque où le féminin, l’oublié, le sacré reprennent leur place.
Avec la complicité de scientifiques dont les recherches ont servi de référence au projet Dr Khawla Bennour, Dr Chadia Troudi, Amine Khammasi, la scène devient alors un chantier vivant : on y entend la langue phénicienne, cette langue-mère qui a porté le premier alphabet, ancêtre du grec et du latin. Les costumes ne sont pas déguisements, mais incarnations. Chaque étoffe, chaque bijou reconstitue un monde éteint. La musique, elle, épouse le rythme de la mer, le froissement des étoffes, les silences lourds des disparus.
Le projet, porté par une double signature — Wajdi Gaidi, scénographe visionnaire, et Houssem Sehli, homme de scène et de mémoire —, s’entoure d’une constellation d’artistes. Plus de trente comédiens, dont Mariem Laraidh, Montassar Bezzaz, Nour Awinette, Moez Ben Taleb, et bien d’autres encore, viennent incarner cette cité oubliée. Ils sont les protagonistes d’une histoire imaginée d’un amour éternel, conté à travers les temps, à travers ombres et voix.
Houssem Sehli, connu pour ses pièces incisives (Flash Back, Innocence, Alice) et ses rôles dans des séries qui ont marqué la scène audiovisuelle (Fallouja, Taj El Hadhra, Le Zaïm), choisit ici de ralentir le temps, d’écouter le silence, d’interroger l’Histoire à hauteur d’homme.
La Dame de Kerkoine n’est pas une reconstitution. C’est une évocation.
Une tentative de réparer l’oubli, de rendre chair à une figure qui fut peut-être prêtresse, mère, reine ou simple gardienne du seuil.
Et si elle revient, ce n’est pas pour raconter la gloire d’un empire. C’est pour rappeler que nous venons de loin, que sous nos pas, il y a des mondes entiers qui attendent qu’on les entende à nouveau. C’est une offrande faite à la mémoire, à la terre, au féminin ancestral.
Un cri doux venu du fond des âges. Un théâtre qui, pour une fois, ne joue pas seulement. Il se souvient.