En 2023, et selon les statistiques, 78 % des voyageurs internationaux ont recherché des hébergements durables et 64 % étaient prêts à débourser des montants plus élevés (+25 %) pour vivre une expérience respectueuse de l’environnement. Pourtant, en Tunisie, seuls quelques établissements disposent d’une certification de tourisme durable.
Alors que la concurrence s’intensifie en Méditerranée en matière de tourisme durable, la Tunisie peut saisir cette opportunité pour renforcer son attractivité sur le segment du luxe responsable. Alexandra Pelka, consultante en durabilité et ESG (Environnement, Social et Gouvernance), spécialisée dans le Tourisme et la Transparence de la « Supply Chain », nous livre les secrets pour la réussite de cette branche d’avenir pour le tourisme tunisien.
« Dans un domaine niché au cœur de la Toscane, un hôtel attire une clientèle fortunée en quête d’authenticité et de durabilité. Une approche où chaque détail, de l’énergie solaire aux circuits courts, est pensé pour réduire son impact environnemental. Un modèle qui pourrait inspirer la Tunisie, où le tourisme peine encore à intégrer pleinement les exigences de durabilité », nous confie la consultante.
Elle déclare également, « mon objectif est de parler du secteur touristique de luxe. C’est un domaine dans lequel je travaille étroitement avec Daniele Nannetti, directeur de l’hôtel de luxe situé en Toscane, en Italie. L’établissement s’est imposé comme un modèle d’hôtellerie durable tout en maintenant une image de raffinement et de luxe ».
Défis majeurs
Et de poursuivre : «J’ai identifié plusieurs défis majeurs dans le secteur touristique tunisien : l’idée erronée que le luxe et la durabilité sont incompatibles, les contraintes financières pour les investissements initiaux, le manque d’expertise technique, l’absence d’un cadre national cohérent, et le faible taux d’adoption des certifications internationales. Je recommande une approche authentique et progressive, en commençant par valoriser ce qui est déjà authentiquement tunisien plutôt que d’importer des concepts étrangers ».
Alexandra Pelka assure que son succès repose sur l’intégration organique de la durabilité dans une expérience de luxe authentique, créant un modèle unique de bien-être responsable et d’immersion totale dans un cadre typique. La Tunisie, avec son riche patrimoine culturel, artistique et environnemental, pourrait adopter cette approche en valorisant ses traditions culturelles, ses produits agricoles, son artisanat et son architecture dans une perspective contemporaine et durable.
« L’authenticité est la clé : plutôt que d’importer des concepts étrangers, il s’agit de réinterpréter l’identité tunisienne à travers le prisme de la durabilité », explique Pelka. Elle fait savoir que les clients sont prêts à payer davantage pour des expériences qui racontent une histoire cohérente et engagée. Du moins, c’est ce qu’elle observe le plus souvent dans ses missions de conseil.
« Pour résoudre le problème de l’idée erronée que le luxe et la durabilité sont incompatibles, je recommande de créer un récit cohérent autour des initiatives durables. Les clients sont prêts à payer plus cher pour des expériences qui racontent une histoire engageante. Je conseille également de cibler des marchés moins saisonniers pour créer une activité plus stable tout au long de l’année et de développer des projets pilotes exemplaires qui peuvent servir de modèles pour l’ensemble du secteur », note la consultante.
Elle nous informe que les certifications telles que l’ISO21401 (dédiée au tourisme durable), les critères du « Global Sustainable Tourism Council » (GSTC) qui établit et gère des normes mondiales pour les voyages et le tourisme durables, ou encore le référentiel innovant de certification de durabilité (Equiplanet) sont devenues essentielles pour attirer une clientèle haut de gamme sensible aux enjeux environnementaux et sociaux. Selon elle, « Equiplanet », en particulier, s’est imposé comme une norme de référence garantissant un reporting ESG rigoureux et transparent. Pelka évoque par la suite le fait que la Tunisie doit renforcer l’adoption de ces normes et que cela nécessite une stratégie nationale incluant la formation, des incitations fiscales et un soutien technique aux établissements touristiques et para-touristiques.
Des partenariats stratégiques
« Ces certifications ouvrent l’accès à des marchés plus rentables et moins saisonniers, tout en attirant des investisseurs de plus en plus attentifs aux critères de durabilité. La durabilité consiste également à trouver un équilibre entre les aspects environnementaux et sociaux, ainsi que la durabilité économique qui est cruciale pour maintenir la rentabilité des entreprises », mentionne Pelka.
Pour répondre au problème du faible taux d’adoption des certifications internationales, une solution consiste à mettre en place un système d’incitations fiscales pour les investissements dans les pratiques durables. « Je conseille de privilégier les certifications stratégiques comme « Equiplanet » qui offrent le meilleur rapport entre l’effort pour les obtenir et l’impact sur l’attractivité pour les clients et les investisseurs. Développer des programmes de formation spécialisés et un soutien adapté aux besoins des établissements est également essentiel. L’importance du soutien par des experts se voit dans la comparaison de la performance financière entre les entreprises qui choisissent des projets au hasard et celles qui mettent en œuvre des projets bien réfléchis, intégrés et financièrement rentables qui font partie des processus d’affaires », déclare-t-elle.
Elle ajoute que la Tunisie, qui est une destination déjà prisée par les touristes, pourrait parfaitement devenir un hub méditerranéen pour le tourisme durable. Nouer des collaborations avec des structures internationales telles que les Nations Unies apporte une crédibilité internationale et un accès à des réseaux précieux. La clé consiste à identifier quelques projets pilotes exemplaires qui pourraient servir de vitrines et de centres de formation pour l’ensemble du secteur touristique tunisien. Ces partenariats permettraient également d’attirer l’attention sur les initiatives innovantes locales et de catalyser leur développement à plus grande échelle.
Pour une meilleure crédibilité internationale
L’absence d’un cadre réglementaire cohérent constitue un problème majeur pour le développement du tourisme durable en Tunisie. La solution serait d’établir des partenariats internationaux stratégiques comme le Un Hub for Fashion, Lifestyle and Tourism, qui apporteraient une crédibilité internationale et un accès à des réseaux précieux.
Les opportunités sont considérables : l’adoption de normes telles qu’Equiplanet ouvre l’accès à de nouveaux marchés et à des investisseurs spécialisés dans les projets à impact positif comme la réduction de l’empreinte carbone, la conservation de l’eau, la préservation de la biodiversité locale et la création d’emplois équitables qui bénéficient directement aux communautés environnantes. La demande croissante pour des expériences authentiques et responsables représente une opportunité unique de mieux positionner l’offre touristique tunisienne sur des segments moins concurrentiels et plus rentables. Selon les études, en 2023, près de 78 % des voyageurs internationaux recherchaient activement des options d’hébergement durables, et 64 % se disaient prêts à payer en moyenne 25 % de plus pour vivre ce type d’expérience.
Par exemple, un établissement haut de gamme ayant mis en place un programme d’approvisionnement local et une gestion certifiée des déchets a enregistré une hausse de 32 % de ses réservations, attirant ainsi une clientèle nord-européenne à fort pouvoir d’achat, même en basse saison. Les premiers acteurs à adopter cette approche bénéficieront d’un avantage concurrentiel significatif sur un marché méditerranéen très disputé.
« Pour surmonter les contraintes financières, il peut être judicieux d’adopter une démarche progressive, en se concentrant d’abord sur des actions faciles à mettre en œuvre, comme l’optimisation de la consommation d’eau, avant d’investir progressivement dans des projets plus ambitieux, tels que l’installation de panneaux solaires couvrant une grande partie des besoins énergétiques. Cette stratégie par étapes permet souvent de dégager un retour sur investissement rapide, parfois en quelques années seulement. Le renforcement des collaborations avec les producteurs et artisans locaux contribue par ailleurs à réduire l’empreinte carbone (jusqu’à 40 % dans certains cas), tout en créant des expériences gastronomiques et culturelles distinctives qui génèrent des retombées significatives pour les économies locales. La Tunisie dispose ainsi de tous les atouts nécessaires pour s’imposer comme un véritable hub méditerranéen du tourisme durable haut de gamme », conclut Alexandra Pelka.