Le dossier judiciaire visant des responsables de l’association « Tunisie, terre d’asile », poursuivis pour blanchiment d’argent en lien avec l’aide apportée à des migrants subsahariens, entre dans une phase d’attente. La juridiction a choisi de différer son verdict après avoir entendu les parties.
La Chambre criminelle près le Tribunal de première instance de Tunis a décidé de mettre en délibéré le dossier relatif à l’association « Tunisie, terre d’asile », à l’issue d’une audience consacrée à l’examen des demandes de remise en liberté et à l’organisation de la suite de la procédure. La décision finale est désormais attendue lors d’une prochaine séance dont la date reste à fixer.
Des responsables associatifs et un ancien élu concernés
Lors de l’audience tenue aujourd’hui devant la Chambre criminelle, les débats ont porté principalement sur les demandes de remise en liberté présentées par la défense ainsi que sur les aspects procéduraux liés à la poursuite de l’instruction judiciaire. À l’issue des échanges, la Cour a décidé de mettre l’affaire en délibéré, sans se prononcer immédiatement sur les requêtes soumises.
La date de la prochaine audience, au cours de laquelle la juridiction pourrait rendre sa décision ou poursuivre l’examen du fond, n’a pas encore été annoncée.
L’affaire concerne l’ancienne présidente de l’association « Tunisie, terre d’asile » Sherifa Riahi, l’actuel président, Yadh Bousselmi, plusieurs de ses membres, ainsi qu’un ancien maire de la ville de Sousse. Une partie des accusés est actuellement détenue, tandis que d’autres comparaissent en état de liberté, selon les éléments du dossier.
Les poursuites s’inscrivent dans le cadre d’une enquête portant sur les activités de l’association et ses liens avec la prise en charge de migrants subsahariens en Tunisie.
Des accusations de blanchiment d’argent
Les prévenus sont inculpés pour des faits présumés de blanchiment d’argent, que l’accusation relie aux opérations de soutien, d’hébergement et d’installation de migrants subsahariens sur le territoire tunisien.
Les intéressés contestent les charges retenues contre eux, selon leurs avocats, qui dénoncent une interprétation pénale d’activités à caractère associatif et humanitaire.
Accusés d’avoir facilité le séjour de migrants en situation irrégulière, des acteurs humanitaires et municipaux comparaissent devant la justice tunisienne.
La justice ouvre un procès très attendu visant d’anciens responsables de l’ONG Terre d’Asile et des élus municipaux de Sousse, poursuivis pour leur rôle dans l’aide humanitaire apportée à des migrants subsahariens. Au cœur de l’affaire, Sherifa Riahi, ex-directrice de Terre d’Asile Tunisie. La société civile et des ONG internationales réclament la libération des détenus.
Des acteurs humanitaires et municipaux devant la justice
Sherifa Riahi comparaît aux côtés de Yadh Bousselmi, directeur actuel de Terre d’Asile Tunisie, du directeur financier Mohamed Joo, ainsi que de l’ancien maire de Sousse Mohamed Ikbal Khaled et de son adjointe Imen Ouardani. Les faits reprochés s’inscrivent dans un partenariat conclu en 2022 entre la municipalité de Sousse et l’ONG.
Les prévenus sont poursuivis pour hébergement de personnes entrées illégalement sur le territoire, et pour facilitation de l’entrée, de la circulation ou du séjour irrégulier d’étrangers. Des accusations rejetées en bloc par la défense, qui affirme que les actions menées relevaient strictement de l’assistance humanitaire.
Pour Me Seiffallah Ben Meftah, avocat de Sherifa Riahi, « le dossier est vide sur le fond », a-t-il déclaré à rfi. Il affirme que «Terre d’Asile a déjà été blanchie dans cette affaire et juge incohérente la poursuite de ses salariés. Selon lui, l’issue judiciaire reste incertaine, même s’il se dit convaincu de l’innocence des accusés.
Un précédent récent alimente l’espoir des proches : deux cadres humanitaires travaillant sur la migration ont été libérés après deux ans de détention, décision perçue comme un signal positif.
Mobilisation de la société civile
Le procès intervient dans un contexte de mobilisation accrue de la société civile. Amnesty International qualifie la procédure de « procès fallacieux » et exige la libération de personnes détenues depuis un an et huit mois.
Selon l’ONG, les accusés sont poursuivis uniquement pour avoir fourni une aide et une protection vitales à des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en situation de grande vulnérabilité.
Comme tous les Tunisiens, je me suis réjoui de la libération de Sonia Dahmani, une femme qui n’aurait dû jamais mettre les pieds en prison pour ses opinions, ainsi que de neuf autres prisonniers politiques. Espérons que ces libérations, bien que conditionnelles, soient le signe que le régime desserre son étau sur les libertés publiques et que d’autres libérations suivront, qui concerneraient en particulier celles et ceux qui sont détenu(e)s pour leurs engagements humanitaires, une catégorie de prisonniers qui me touche particulièrement.(Ph. Nawaat).
Sadok Zerelli *
En effet, aujourd’hui, en Tunisie, des femmes et des hommes demeurent emprisonnés pour avoir fait ce que dicte notre humanité la plus fondamentale et notre religion même : protéger une vie en danger, héberger un être humain laissé dehors, offrir une bouteille d’eau, un mot de réconfort, une dignité minimale à des personnes errantes, rejetées ou invisibles.
Durant toute ma longue vie, je me suis toujours défini comme un homme ni de gauche, ni de droite, ni islamiste ni laïc, mais un humaniste, et en tant que tel, j’étais disposé à soutenir tout régime, même une dictature, s’il permet de réduire la misère et améliorer le niveau de vie de la population qu’il gouverne, ce qui doit être l’objectif ultime de toute action politique et de tout homme politique intègre.
Aider son prochain en détresse n’est pas un crime
Dans ce sens, la détention de cette catégorie particulière de prisonniers politiques me dérange et m’interpelle au plus profond de mon être, parce que j’aurais pu être parmi eux si j’avais eu assez de courage et si les turbulences de ma vie me l’avaient permis.
Ce sont des hommes et des femmes qui se sont retrouvés en prison pour avoir tendu la main à leur prochain, peu importe la couleur de sa peau, sa nationalité ou son origine.
Ces humanitaires que j’admire pour leur courage et leur amour du prochain n’ont ni volé, ni tué, ni fraudé.
Ils n’ont détourné aucune richesse, ni abusé d’aucun pouvoir.
Ils ne représentent aucune menace pour la sécurité intérieure ou extérieure du pays ; ni pour l’ordre public ni pour le régime en place.
Leur seul «crime», c’est d’avoir secouru leurs semblables et donné ainsi un sens aux préceptes de notre Coran et aux recommandations de notre Prophète, qui nous commandent d’aider notre prochain, pas seulement notre voisin ou parent ou ami, mais tout être humain d’où qu’il vienne et quelque que soit la couleur de sa peau et son origine.
Être musulman ce n’est pas seulement faire ses cinq prières par jour et jeûner pendant Ramadan, mais c’est aussi aider autrui et faire du bien.
Ces prisonniers ne sont pas des criminels : ce sont Mustapha Djemali, Abderrazek Krimi (libérés le 24 novembre 2025 après avoir purgé l’essentiel de leur peine, Ndlr), Sherifa Riahi, Saâdia Mosbah, Yadh Bousselmi, Mohamed Jomoa, Salwa Grissa, et d’autres encore, qui ont consacré leurs vies à la défense des plus vulnérables.
Ils ont choisi d’agir là où l’indifférence domine, là où la peur divise, là où l’État recule.
Les arrêter, c’est criminaliser la compassion.
Les juger, c’est condamner la solidarité.
Les emprisonner, c’est envoyer un message glaçant : secourir un humain devient un délit.
Ce choix politique n’honore ni notre pays, ni notre histoire, ni notre conscience collective.
Les véritables menaces pour la Tunisie
La Tunisie, terre d’accueil depuis mille ans, terre de migrations, terre de brassage, se renie lorsqu’elle punit celles et ceux qui défendent la dignité humaine.
La Constitution élaborée par Kaïs Saïed lui-même proclame les droits fondamentaux, la liberté d’association, la protection des personnes vulnérables.
Notre religion l’Islam nous dicte d’aimer notre prochain et le secourir sans distinction de race ou de couleur.
Comment justifier alors que des militants soient privés de liberté pour avoir simplement appliqué ces principes ?
Les véritables menaces pour la Tunisie ne sont pas les quelques milliers d’immigrés que la faim et la misère ont chassé de leurs pays ni les humanitaires qui les secourent.
Elles sont dans la pauvreté qui s’étend à Gafsa, Kasserine, Jendouba et même dans la banlieue de notre capitale, le chômage qui provoque la misère et le désespoir, l’économie qui s’essouffle, le pouvoir d’achat qui s’érode, la corruption qui ronge, l’exode de nos jeunes, la désertification de nos territoires…
Les humanitaires, eux, soutiennent, soulagent, accompagnent, protègent.
Ils sont des remparts, pas des dangers.
La grandeur d’une nation ne se mesure pas à la puissance de son armée ou de sa police, mais à la manière dont elle traite les plus faibles et les plus vulnérables
Parce qu’aucun pays ne s’élève en mettant sous les verrous ceux qui défendent la vie.
Parce que la solidarité n’est pas un délit – c’est un devoir.
Pour la Tunisie, pour l’État de droit, pour l’humanité en chacun de nous : «Libérez-les. Maintenant.»
* Economiste universitaire et consultant international.