Le poème du dimanche | ‘ ‘Plongeur’’ de Jean-Pierre Chambon
Jean-Pierre Chambon né en 1953, vit à Grenoble, au creux des montagnes. Il a fait paraître une trentaine de livres, poésie et récits mêlés, chez divers éditeurs.
Il collabore avec des peintres et des photographes et co-anime depuis plus de trente ans la revue de poésie Voix d’encre. Son œuvre, traduite dans différentes langues est couronnée de distinctions littéraires. Dernières publications : Étant donné, avec des aquarelles de Philippe Cognée (éd. Al Manar), Le Visage inconnu, avec des peintures de Béatrice Englert (Les Lieux Dits éditions), La Remontée des eaux (L’Étoile des limites).
Tahar Bekri
Le sourd ronflement que diffuse,
sous la membrane de la mer,
le frottement des galets roulés par les vagues
ressuscite les lentes syllabes étirées
d’une langue forgée dans les âges obscurs,
au fond des crépuscules marins,
par des créatures inachevées,
impotentes, ventriloques, encore
tout embarrassées de goitres et d’écailles.
Entre ses jambes, sous le ventre du nageur,
luisent de petits poissons
effilés comme des lames de couteau.
À mesure qu’il s’enfonce,
pendu au collier de bulles,
franchissant un à un
les anneaux du froid,
l’entrave d’une étreinte
opprime par degrés sa poitrine,
ses gestes s’amollissent, son esprit se dilate.
De ses yeux glacés il distingue alors
dans le couloir des eaux l’abîme transparent,
il entend bourdonner sous le casque
l’onde de la voix caverneuse qui implore,
qui enjôle et fascine, là,
émise de toutes parts, intime,
persuasive, derrière la mince cloison
du paradis. Il demeure un instant
indécis, flottant, mais au moment de s’abandonner
à la béatitude, de céder à la détresse,
un coup de reins le déleste de tout le poids de l’ombre
et les yeux rougis encore de l’étrange lueur
il remonte suffoquant vers le nimbe du soleil.
Nuée de corbeaux dans la bibliothèque (éd. L’Amourier)
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