La Tunisie face à la nouvelle donne économique: Quelles options stratégiques à l’heure de l’IA?
L’intitulé en dit long sur l’importance du sujet qui a été débattu lors de la 26ème édition du Forum de l’Economiste Maghrébin. Qui mieux que Hédi Mechri, directeur de la publication et rédacteur en chef de l’Economiste Magrébin, pour l’introduire en réaffirmant tout l’intérêt pour nous d’échanger et de débattre d’un sujet au premier rang des pré- occupations mondiales, européennes en premier, étant entendu que si l’UE a la toux, ici on a la grippe.
Voici son allocution…
Dans le nouveau contexte mondial marqué par de rapides évolutions géopolitiques, nous sommes une
fois de plus face à notre propre destinée, confrontés à d’énormes défis. C’est ce qui justifie l’intitulé de notre Forum dans son édition 2025 : « La Tunisie face à la nouvelle donne économique mondiale », tout en cherchant à préciser les options stratégiques à mettre en œuvre à l’heure de l’IA. Et c’est précisément cette question qui sera au cœur de notre réflexion et de notre débat. En vérité, la question du changement, voire du basculement géopolitique, n’est pas nouvelle.
Nous en avons débattu ici-même, à plusieurs reprises. Sauf que l’attaque tous azimuts lancée par le président américain Donald Trump, dès son investiture, contre le multilatéralisme a accéléré le processus et amplifié son échelle de gravité.
La guerre des tarifs douaniers, dont il n’a exclu aucun pays, a mis le monde en ébullition. Et provoqué un choc terrible et des réponses plus ou moins mesurées. En voulant rendre sa puissance à l’Amérique, qui n’a jamais été aussi puissante, le président américain s’en est pris à ses alliés au même titre qu’il a déclaré la guerre à la Chine, l’ennemi stratégique.
Il a de ce fait plongé, l’espace d’un moment, le monde dans le chaos. Les nouveaux tarifs douaniers, s’ils venaient à être appliqués, vont freiner les échanges commerciaux sans garantir pour autant le réarmement industriel américain. La guerre des tarifs va déclencher un climat d’incertitude et un affaissement de la croissance mondiale. L’Amérique de Trump n’en sortira pas victorieuse. Il n’a pas mis longtemps pour s’en convaincre. Le président Trump a fini par reculer et renoncer momentanément à la mise en application des nouveaux tarifs déjà largement revus à la baisse. Ses alliés, traités sans ménagement, avaient à choisir entre la soumission et la riposte, fût-ce avec prudence et raison. Ils ont au final choisi de laver l’affront pour ne pas avoir à subir la guerre et le déshonneur à la fois. La Chine, le plus grand ennemi stratégique, mais chef de file du Sud global et de son émanation les BRICS, n’a pas hésité à renchérir et à relever le défi, assurée qu’elle est de sa puissance économique et technologique. Et de son influence dans le monde.
Au final, l’hégémonie tout autant que l’unilatéralisme américains ont révélé leurs propres limites face à la riposte mondiale. Le principe de réalité économique – voire stratégique – a fini par l’emporter. L’Amérique de Trump rentre dans les rangs moyennant quelques ajustements des tarifs douaniers,
loin de faire écrouler toute l’architecture de l’économie mondiale.
Il n’empêche ! L’alerte aura agi comme un véritable détonateur, un accélérateur et un amplificateur des évolutions géo- politiques qui ne sont pas sans conséquence pour notre économie. Ce basculement géopolitique aux effets diffus et aux conséquences incertaines ne saurait ni ne devrait remettre
totalement en question nos anciens repères géostratégiques, et moins encore notre ancrage dans l’espace euro-méditerranéen, fondé à la fois sur des considérations historiques, géographiques et culturelles. L’UE, dont nous sommes partie prenante de sa politique de voisinage, a beau s’élargir d’est en ouest, elle est et restera notre principal partenaire économique, commercial et financier.
L’Accord d’association signé en 1995, en dépit de ses insuffisances et de ses zones d’ombre, en est l’illustration. Sauf qu’il ne répond plus aujourd’hui, trente ans après, aux aspirations et aux besoins de l’économie tunisienne. Il relève plus d’un accord de libre-échange aux effets largement asymétriques
qu’il ne met en place un véritable partenariat fondé sur une communauté d’intérêt de chaque instant et de destin partagé. La Tunisie est aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire. Elle a la richesse de ses talents et de la résilience et de la vitalité de son tissu économique. Aujourd’hui, même au plus fort de la crise politico-économique, elle a la prétention et l’ambition de se positionner sur la scène internationale à travers le redéploiement mondial des chaînes de valeur. Seul bémol : pour pouvoir peser, voire compter dans le monde, il faut y être. L’ennui, c’est qu’on est beaucoup moins catégorique à cet égard. Les difficultés des transitions, politique et économique, sont passées par là.
Quelles options stratégiques à l’heure de l’IA devrons-nous mettre en perspective et avec quels moyens et quels supports technologiques ? À ce stade de l’analyse, le rôle de l’IA paraît central. Elle n’est plus une promesse ou une option, mais déjà une réalité, une nécessité. On sait qu’elle va transformer de manière radicale notre système de pensée, notre mode de produire, de consommer, de soigner et de nous déplacer.
Dans ce contexte mondial marqué par des bouleversements géopolitiques, des transitions économiques et des défis technologiques, l’IA nous permet, nous dit-on, d’accélérer la modernisation de notre économie. Elle nous offre l’opportunité de construire une croissance forte, durable et souveraine. C’est pourquoi, elle doit être au cœur d’un partenariat tuniso-européen rénové, tourné vers l’innovation et la responsabilité, qui nous permet de renforcer nos capacités à innover, à décider plus vite et à mieux anticiper. L’objectif étant de préserver et de consolider notre avantage compétitif, ne serait-ce qu’au niveau des chaînes de valeur qui dominent aujourd’hui le paysage industriel tunisien.
J’entends par là, au-delà de l’industrie textile, les filières notamment des composants automobiles et aéronautiques, de l’industrie pharmaceutique et des services financiers. C’est d’ailleurs à dessein que les trois dernières filières font l’objet de trois panels conçus et programmés à l’effet de nous éclairer sur la manière dont l’IA peut en améliorer l’efficacité, le développement et la pérennité. Un outil décisif, qui s’ajoute à l’effet nearshoring ou friendshoring.
Je suis sûr que nos conférenciers et nos panélistes, que je ne remercierai jamais assez, nous diront comment et à quel point l’IA pourrait être à cet égard un levier stratégique. Et comment l’innovation technologique participe à la résilience, la compétitivité et la souveraineté, dans un contexte marqué par l’évolution géopolitique dont on mesure mal les conséquences.
La guerre des tarifs douaniers s’achève avant même de commencer. La fièvre est tombée, mais l’incertitude demeure. Quelle direction prendre ? Quelles options stratégiques choisir ? Et avec quels partenaires ? L’émergence du Sud global, menée par la Chine, a changé la donne. La Route de la soie est jalonnée d’offres de partenariat stratégique à la fois crédibles et opportunes. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : il faut accompagner cette transformation par une volonté d’agir et avec détermination En redon- nant l’envie d’investir aux chefs d’entreprise, en stimulant la créativité des startups, candidates au départ dès la première levée de capitaux. Et en créant des conditions de vie et de travail dignes et décentes pour freiner l’exode de nos compétences, jeunes et moins jeunes.
Un mot pour conclure : pour donner corps et chair aux options stratégiques à l’heure de l’IA, il faut
de l’audace, de la solidarité. Il faut construire la confiance en injectant de la sérénité et de l’apaise- ment sous toutes ses formes. Pour faire face aux défis des évolutions géopolitiques, il n’y a pas mieux que de proclamer l’union sacrée. Le temps nous est compté pour ouvrir un nouveau chapitre dans notre parcours industriel. Un chapitre porté par l’innovation et la responsabilité.
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