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‘‘Ragouj, le spectacle’’ à Dougga | Réel brut, satire douce et tendresse tragique

10. Juli 2025 um 12:35

Ce soir-là, dans les ruines de Dougga, il ne s’agissait pas d’un simple spectacle. Ce n’était pas un divertissement. C’était une veillée sacrée. ‘‘Ragouj, le spectacle’’ est une remontée collective dans les couches profondes de la mémoire tunisienne. Et ce qui m’a le plus touchée, ce n’est pas seulement la scène. C’est ce qui se passait hors scène : dans les gradins, sur les visages, dans les cœurs. (Photos : Festival de Dougga).

Manel Albouchi  

Mis en scène par Abdelhamid Bouchnak, ‘‘Ragouj, le spectacle’’, est plus qu’une adaptation scénique de la série culte. C’est une alchimie théâtrale : un croisement entre vidéo, danse, musique live, art populaire, geste chorégraphique et cri social. Une écriture scénique neuve, qui emprunte au rituel plus qu’au récit classique. 

Sur scène, 20 danseurs, un orchestre de 40 musiciens dirigés par Hamza Bouchnak, des images projetées, une mémoire en boucle. Et des comédiens devenus icônes : Fatma Ben Saïdane, Walid Ayadi, Bahri Rahali, Aziz Jebali, Fatma Sfar, Yasmine Dimassi, et bien d’autres. 

Et cette réinterprétation du morceau culte de Hédi Guella « يا هل ترى قداش من فرططو », par Khawla Tawes et qui m’a marqué, composent une fresque en mouvement. 

Une esthétique «ragougienne» 

Le mot s’impose. Le style aussi.  

On pourrait dire qu’il s’agit ici de théâtre social. Mais c’est bien plus… c’est bien  organique… c’est le style ragougien né dans la série télévisée et transposé ici avec finesse. 

Qu’est-ce que le style ragougien ? 

Un mélange d’absurde, de réel brut, de satire douce, de lucidité politique et de tendresse tragique. 

Un théâtre qui pleure en riant, qui critique sans se détourner de l’amour, qui expose la violence tout en la transcendant. Une mémoire populaire. 

Ce que j’ai vu 

Les chants de Kafon, les images d’archives, les gestes répétitifs dans la chorégraphie d’Oumaïma Manaï ont transformé les corps en langues muettes : Tout devient symbole, tout nous raconte un pays en état de survie poétique. 

Ragouj incarne ce que Jung appelle le Trickster : le fou sacré, l’idiot divin, celui qui bouleverse l’ordre établi pour révéler l’inconscient collectif. 

Mais ce soir-là, une autre figure a émergé : celle de l’Anima blessée, ces femmes mortes dans les accidents de transport agricole. 

Leur souvenir, leur absence hurlante, était partout : dans les vidéos, dans les chants, dans les foulards colorés qui flottaient sur scène et dans la salle. 

Le fil rouge  

Ce foulard. Je l’ai vu sur les têtes des danseuses. Dans les vidéos d’archives. Dans le look de certaines spectatrices mordues de la série, qui avaient adopté le style «ragougien». 

Mais pour moi, c’était surtout le foulard de ma grand-mère. Et de mon arrière-grand-mère. Un tissu simple, modeste, mais chargé d’une mémoire transgénérationnelle. 

Ce soir-là, à Dougga, sur la terre de mes mères, le foulard était un drapeau. 

Le public : peuple fidèle du silence et du sacrifice 

Ce public-là n’a rien de mondain. Il est affamé de sens, habité par un besoin de beauté, même dans la fatigue. 

Après le spectacle révolutionnaire, on a repris la route vers la capitale administrative, épuisés, le cœur plein. Nous étions un peuple ému, silencieux, fidèle. Et je me suis dit : ce pays mérite mieux. 

Une fête réussie, mais sans lendemain. Quel gâchis, quand on pense à ce que cela aurait pu générer pour la région. 

Car malgré ce succès populaire, aucune infrastructure, aucun hébergement, aucune stratégie. On aurait pu ouvrir les maisons de Dougga, faire travailler les artisans, inventer une économie culturelle vivante. Mais on préfère laisser le miracle mourir avec l’aube.  

Une prêtresse nommée Fatma Ben Saïdane

Sur scène Fatma Ben Saïdane est une prêtresse. Elle ne joue pas. Elle transperce. 

Elle est la parole qui ne tremble pas. 

Elle porte en elle toutes les mères, toutes les blessures, tous les contes qu’on n’a jamais racontés. 

Sa voix est une corde tendue entre les morts et les vivants. 

Ce que ma fille m’a dit 

Ma fille ne parle pas couramment le tunisien. Elle n’a pas regardé la série. Et pourtant, à la fin, elle m’a dit : «Maman, je suis ragougienne. J’ai tout compris. Je veux revenir. Si c’est comme ça le théâtre je veux voir encore des spectacles.» 

Et j’ai su que l’essentiel avait été transmis.  Car un théâtre qui touche même ceux qui ne comprennent pas tout le sens des mots, est un théâtre qui parle à l’âme. Que même les corps dansaient la vérité. 

Et même pour les spectateurs qui n’ont pas vu la série – souvent parce qu’ils ont déserté les médias fatigués par leur médiocrité, ou à cause de la censure sourde – le fil narratif semble peu obscur. Car ce que le théâtre perd en continuité, il le gagne en ouverture. 

Et ce qui importe ici, ce n’est pas la logique du récit, mais la vérité émotionnelle. Et surtout, la scène n’est pas figée : elle vit, respire, évolue. Contrairement à l’écran, elle nous regarde. 

Le Trésor : une offrande 

Ce spectacle est une offrande à ceux qu’on a oubliés. Un théâtre qui gratte, qui murmure, qui réveille, qui déplace, qui bouscule, qui transforme. Un théâtre d’ombres, de lumière, de larmes et de feu. 

Et ce soir-là, à Dougga, malgré le manque de confort, malgré l’absence de vision étatique, malgré la fatigue et le froid… 

La Tunisie est vivante et elle continue de croire au miracle. 

Un magicien de la scène appelé Abdelhamid Bouchnak.

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