Le Maire de New-York, Zohran Mamdani, et la figure du musulman d’Occident
L’élection de Zohran Mamdani à la tête de New-York a eu une onde de choc mondiale qui continue de produire ses effets. Face aux profonds clivages qui traversent une société américaine éclatée, son discours a su conjuguer et incarner multiculturalisme et progrès social. Son dynamisme a eu raison, le temps d’une élection, d’une oligarchie financière, médiatique et politique qui a fait bloc face à sa candidature. Un front animé par une islamophobie occidentale ciblant la figure d’un ennemi de l’intérieur et de l’extérieur.
Musulman et occidental
En Occident, la problématique de l’immigration et la montée d’un néonationalisme visent en particulier les nationaux de culture ou de confession musulmane, dont l’identité complexe contribue à un sentiment d’insécurité identitaire.
Pourtant, contrairement aux thèses culturalistes encore en vogue, il y a nulle incompatibilité entre le fait d’être musulman et l’adhésion au « modèle républicain » à la française ou à l’American way life ; des concepts structurels mais non figés.
Comme en Europe, l’islam est en effet devenu aux États-Unis une question de politique intérieure. La présence arabe et plus largement musulmane est perçue comme une menace sécuritaire et identitaire. Dans ce contexte, les citoyens « Arabes d’Occident » ou « Araboccidentaux » se trouvent piégés dans une sorte de chaîne de de soupçons : Arabes/musulmans, musulmans/islamistes, islamistes/terroristes. D’où vient une telle construction ?
La construction d’une représentation
Si la Bible mentionne l’existence des Arabes, qu’elle identifie comme les descendants d’Ismaël (premier fils du prophète Abraham), leur représentation se forge à partir de l’expansion de l’Empire islamique (jusque dans le sud de l’Europe), à travers les récits des conquêtes islamiques et des reconquêtes européennes (espagnole et française).
Renforcée par les chroniques des Croisades, la figure de l’Arabo-musulman domine au-delà des origines ethniques, entre Sarrasins et Maures par exemple ; dépeint sous les traits de l’ennemi envahisseur et de l’infidèle violent, il est néanmoins doté d’un esprit noble et animé par des valeurs chevaleresques qui faisaient encore défaut aux guerriers Francs.
Mieux, la figure du « transmetteur » s’impose dans l’Europe du Moyen-âge et de la Renaissance, lorsque celle-ci redécouvre la pensée grecque grâce aux traductions de l’arabe vers le latin des œuvres d’Aristote.
Les Arabes sont progressivement éclipsés par les Ottomans, dont la domination a signifié le monopole dans la représentation du monde musulman par les Européens (Ali Kazancigil). Le développement des relations diplomatiques entre le royaume de François Ier et la Sublime Porte de Suleyman Le Magnifique, au début du XVIe siècle, annonce l’ère de l’orientalisme scientifique et artistique.
Les Vénitiens forgent le concept de « despotisme oriental », despotisme absolu qui fait office de repoussoir pour les philosophes des Lumières (pour Montesquieu notamment).
Malgré sa richesse et son apport (y compris à la culture arabe), l’orientalisme esthétique est aussi à l’origine de la diffusion de stéréotypes sur un Orient fantasmé et décadent.
Le monde arabe moderne est encore prisonnier de ces images et archétypes construits au début du XIXe siècle, où l’Autre est relégué dans un exotisme anhistorique résumé à cette image : en son palais exotique orné d’or, le despote oriental est flanqué de son harem, de ses esclaves et de ses cavaliers enturbannés. Les Arabes n’apparaissant que « sous l’angle du voyage pittoresque ou d’un vague mysticisme teinté d’initiatique » (Jacques Berque).
La figure d’un ennemi
Des Croisades à la (dé)colonisation, la figure de la menace musulmane s’est cristallisée dans la représentation occidentale. Depuis la fin de la guerre froide, la montée de l’intégrisme islamique a coïncidé avec la recherche d’un nouvel ennemi stratégique et symbolique en Occident.
Partant, la critique de l’islam (isme) a pris la place du communisme.Une lecture culturaliste et essentialiste vient figer la représentation des musulmans dans l’image d’une masse archaïque, rétive à la modernité, à la fois soumise et incontrôlable (si ce n’est par la force). Cette perception a justifié le soutien des régimes occidentaux à des régimes arabes autoritaires, qui avaient le mérite de maintenir l’ordre et la stabilité…
Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, la figure de l’Arabo-musulman incarne définitivement cet ennemi symbolique de l’Occident. Cette perception est étayée par la thèse du « choc des civilisations », développée par le politologue américain Samuel Huntington, selon laquelle l’ordre du monde tient à un conflit de systèmes de valeurs dans lequel la civilisation islamique menace l’Occident.
Enfin, les soulèvements de peuples arabes en 2011 ont fait resurgir l’obsession islamiste. Preuve de la persistance des vieux réflexes, des notions superficielles ou fantasmagoriques ont (re)surgi pour mieux réduire les Arabes à un bloc monolithique écrasé par le poids de la religion musulmane.
L’élection du nouveau Maire de New-York, Zohran Mamdani, vient rappeler que l’identité musulmane n’est pas incompatible avec la réussite d’un parcours personnel dans une société occidentale. La question est de savoir si au-delà des destins individuels, il est encore possible de reconstruire la représentation collective des musulmans en Occident près des décennies, voire des siècles de discours avilissant et dénigrants.
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