Massacres de masse en Syrie : les Alaouites, bourreaux ou victimes?
Plus de 1 000 morts en trois jours : les violences qui ensanglantent des bastions de la minorité confessionnelle des Alaouites en Syrie prennent origine dans un demi-siècle de tensions entre la majorité sunnite et une minorité chiite dont est issue la communauté alaouite. Eclairage sur un conflit qui remonte au premier siècle de l’hégire lors de la Grande Fitna.
Cette tragédie était prévisible. Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, il y a trois mois, les Syriens qui redoutaient ce scénario cauchemardesque, avaient espoir que leur vie reprenne son cours normal après un cycle infernal jalonné de violence, de sang et de larmes.
Hélas, la paix civile fut de courte durée quand les affrontements entre des partisans du président déchu Bachar al-Assad et les forces de sécurité du nouveau gouvernement dégénérèrent en massacre des Alaouites; une minorité ethno-religieuse principalement installée dans la province de Lattaquié située au nord-ouest de la Syrie et dont étaient issus l’ancien président déchu et les cadres de l’ancien régime.
Folie meurtrière
Les violences ont fait en quelques jours plus de 230 morts dans les rangs des forces gouvernementales et 973 dans la population civile. La plupart, des Alaouites, auraient été victimes d’exécutions sommaires menées par les forces gouvernementales et leurs groupes alliés.
Cette folie meurtrière a-t-elle sonné le glas de la fragile transition pacifique en Syrie? Et surtout, est-il désormais envisageable de préserver l’unité nationale et la paix civile au sein d’une mosaïque de minorités religieuses uniques au Moyen-Orient : Musulmans sunnites, (environ 70 à 75 % de la population), Alaouites (10%), Chrétiens au total environ 10 % et les 5 à 10 % restants constitués de groupes ethno-religieux mineurs, notamment les Druzes (3 %), les Ismaéliens, les Mhallami, les Yézidis et les musulmans chiites duodécimains.
Alors, comment expliquer les relations à fleur de peau entre les Alaouites et les nouveaux maîtres de Damas?
Les Alaouites, ossature de l’ancien régime
Le clan al-Assad père et fils a régné d’une main de fer sur les destinées de la Syrie pendant plus d’un demi-siècle, en s’appuyant justement sur la communauté alaouite dont il est issu.
En effet, après l’indépendance de la Syrie et la montée en puissance du parti Baath, de nombreux Alaouites issus de classes rurales défavorisées rejoignent l’armée et les forces de sécurité, voyant en elles un moyen d’ascension sociale. C’est dans ce contexte que Hafez al-Assad, un officier issu de cette communauté, gravit les échelons militaires et politiques. En 1970, après un coup d’État interne au Baath, il s’empare du pouvoir et établit un régime dictatorial centré sur sa personne et son clan.
L’homme fort de la Syrie consolide rapidement son pouvoir en plaçant des Alaouites aux postes clés de l’armée et des services de renseignement. Il parvient à asseoir son autorité en écrasant toute opposition, notamment la révolte islamiste des Frères musulmans à Hama en 1982, où des milliers de personnes sont massacrées.
À la mort de Hafez en 2000, son fils Bachar al-Assad lui succède. D’abord présenté comme un réformateur, il maintient en réalité l’appareil répressif mis en place par son père. Lorsque les soulèvements du Printemps arabe atteignent la Syrie en 2011, son régime répond par une répression brutale, entraînant une guerre civile dévastatrice.
Face à une opposition majoritairement sunnite, Bachar al-Assad mobilise la communauté alaouite en lui faisant craindre un massacre en cas de chute du régime. Les Alaouites deviennent ainsi les principaux soutiens du pouvoir qui a su se maintenir au pouvoir grâce à la Russie et à l’Iran Chiite; fut-ce au prix d’un pays dévasté.
Une communauté à part
Historiquement, les Alaouites ont longtemps été marginalisés et persécutés sous l’Empire ottoman, qui privilégiait les sunnites. Ils vivaient principalement dans des montagnes reculées, ce qui leur conférait un certain isolement. Ce n’est qu’à l’époque du mandat français (1920-1946) qu’ils ont commencé à acquérir une influence notable. Les Français ont favorisé leur recrutement dans l’armée. Ce qui leur a permis d’accéder à des postes de pouvoir au sein des forces militaires et de l’administration.
Alors que les trois quarts des Syriens sont des Musulmans sunnites, les Alaouites adhèrent à une doctrine religieuse dérivée du chiisme – l’autre branche de l’islam – qui a émergé au 1er siècle de l’hégire. Celle-ci se distingue par des croyances ésotériques qui font des Alaouites un groupe à part au Moyen-Orient.
En effet, contrairement aux autres musulmans, les Alaouites vénèrent Ali, le cousin et gendre de Mahomet, considéré par les chiites comme le successeur du prophète. D’ailleurs, la branche alaouite est souvent perçue comme plus libérale, car elle n’impose à ses fidèles ni interdiction de l’alcool, ni port du voile pour les femmes. Les Alaouites ne pratiquent pas non plus strictement les cinq piliers de l’islam et rejettent le Hajj, le pèlerinage à la Mecque.
De plus, de nombreux aspects de leur foi sont tenus secrets, car transmis oralement au sein de la communauté. Alors, n’est-il pas compréhensible que cet aspect ésotérique alimente les incompréhensions, voire les soupçons de la part des Sunnites majoritaires en Syrie?
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