Les banques islamiques : des profits sans intérêts, mythe ou réalité?
Tant de chiffres interpellent l’observateur du secteur de la finance islamique dans le monde. Qu’on en juge : en 2022, la valeur des actifs financiers gérés dans le monde selon les principes islamiques s’élevait à quelque 4 500 milliards de dollars et devrait atteindre 6 700 milliards de dollars d’ici 2027. C’est ce que révèle un rapport publié cette année par l’Observatoire de la finance islamique d’Espagne (SCIEF – Casa Árabe).
Plus de 70 % de ces actifs sont gérés par des banques islamiques, présentes dans 77 pays. La plupart des actifs financiers islamiques sont concentrés dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (53,60 %), suivis par l’Asie du Sud-Est (23,30 %), le Moyen-Orient et l’Asie du Sud (18,60 %). L’Afrique et l’Europe apparaissent également, mais avec une part du total des actifs de 2,7 % et 1,7 %, respectivement.
Décryptage des chiffres.
Rejet de l’usure : un principe partagé
Le rejet de l’usure et du taux d’intérêt excessif n’est pas l’apanage des finances islamiques. Cette pratique est également prônée par d’autres religions et cultures, notamment la culture judéo-chrétienne. C’est ce qu’on peut lire dans un article intitulé « Comment les banques islamiques gagnent de l’argent sans percevoir d’intérêts« , publié sur le site de la version française de la BBC, qui cite plusieurs spécialistes en la matière.
L’article défend deux thèses principales :
- Le rejet de l’usure, considérée comme un sacrilège et un interdit absolu, n’est pas une pratique unique à l’Islam.
- Les banques islamiques génèrent de l’argent et des bénéfices sans recourir à l’usure.
Pour la première idée, l’article mentionne les propos de Celia De Anca, professeure de finance islamique à l’université IE (Espagne). Elle explique que le rejet de l’intérêt n’est pas propre à la culture islamique, mais qu’il trouve également des racines communes avec l’Occident.
« Dans les traditions judéo-chrétiennes et islamiques, l’intérêt était interdit. Et dans des pays comme l’Espagne et la France, il existe encore des lois contre l’usure. L’usure est un intérêt excessif. Dans les trois traditions du Livre, l’intérêt excessif a toujours été interdit. La question est de savoir ce qui est excessif. Pour l’Islam, tout intérêt est déjà excessif. Par conséquent, tous sont interdits », explique-t-elle à BBC Mundo.
Mme De Anca ajoute que, dans la tradition occidentale, l’interdiction des intérêts a également existé, avant d’être modelée au fil des années et incorporée dans des lois anti-usure encore en vigueur dans de nombreuses régions du monde.
La finance islamique : un ancrage dans l’économie réelle
En outre, la finance islamique cherche à s’assurer que les bénéfices proviennent d’activités liées à l’économie réelle.
« La finance islamique repose sur la conviction que l’argent n’a pas de valeur en soi. Ce n’est qu’un moyen d’échanger des biens et des services qui ont une valeur », indique la Banque d’Angleterre sur son site web.
« En d’autres termes, il ne devrait pas être possible de gagner de l’argent avec de l’argent. Cela signifie que, dans la mesure du possible, il faut éviter de payer ou de recevoir des intérêts », ajoute-t-elle.
Elle souligne également que le rejet de l’intérêt était présent dans les écrits d’importantes figures de la théologie chrétienne, comme saint Thomas d’Aquin. Elle rappelle que la culture islamique rejette également le fait que l’argent ne provient pas de l’économie réelle et condamne la spéculation et la réalisation de profits sans effort ni travail.
Une banque islamique : comment ça fonctionne?
Les principes des transactions bancaires islamiques s’appliquent aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers. Par exemple, un compte d’épargne dans une banque islamique ne génère pas d’intérêts, mais permet de partager les bénéfices des investissements réalisés par la banque.
Pour les prêts immobiliers, plusieurs modèles existent :
- Crédit-bail : la banque achète la propriété et la loue à la personne jusqu’au remboursement total.
- Partenariat : la banque et l’acheteur acquièrent ensemble la maison. L’acheteur paie un loyer à la banque et devient progressivement le propriétaire.
- Revente avec marge : la banque achète la maison et la revend à l’acheteur avec une marge bénéficiaire.
Ce dernier modèle est parfois compliqué dans les pays occidentaux en raison de la double imposition. Toutefois, des ajustements fiscaux, comme au Royaume-Uni, permettent d’éviter ce problème en considérant la banque comme un simple intermédiaire.
Selon l’experte, la finance islamique moderne a commencé à se développer dans les années 1950 et 1960 avec des initiatives au Pakistan et en Égypte. Cependant, c’est surtout à partir des années 1970, avec le boom pétrolier, qu’elle a pris de l’ampleur, répondant à une demande croissante.
L’usure dans la littérature, l’histoire et le Coran
Le thème de l’usure traverse la littérature, l’histoire et les écrits religieux, où elle est largement condamnée.
En littérature, le personnage de l’usurier est bien connu. Dans Le Marchand de Venise de William Shakespeare, Shylock, un riche usurier juif, prête de l’argent à des taux exorbitants et se montre acharné dans le recouvrement de ses créances. À la fin de la pièce, son avidité le mène à la ruine : le juge de Venise lui confisque tous ses biens.
En histoire, en Tunisie au XIXᵉ siècle, le général Ahmed Zarrouk, figure emblématique de la cruauté et de l’injustice, imposa aux tribus du Sahel des pillages, des massacres et des dettes usuraires. Les tribus, incapables de rembourser dans des délais irréalistes, perdaient leurs terres et leurs biens au profit des usuriers.
Dans le Coran, l’usure est un interdit absolu. Ainsi, dans la sourate Al-Baqara, versets 278-279, il est dit :
« Ô vous qui avez cru ! Craignez Allah et renoncez au reliquat de l’intérêt usuraire, si vous êtes vraiment croyants. Et si vous ne le faites pas, attendez-vous à une guerre de la part d’Allah et de Son Messager. Et si vous vous repentez, vous aurez vos capitaux. Vous ne léserez personne et vous ne serez point lésés. »
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