Wan Li : « La Chine continuera à soutenir fermement la Tunisie »
L’ambassadeur de la République populaire de Chine en Tunisie, M. WAN Li, n’a pas hésité à nous accorder cet entretien où il reviendra de manière approfondie sur les relations économiques et commerciales tuniso-chinoises. Il sera question du stade olympique d’El Menzah, du nouveau pont de Bizerte, du Centre de cancérologie de Gabès et d’un grand nombre de projets pour lesquels la Chine s’est investie en Tunisie. Ce sera aussi l’occasion de revenir sur la guerre tarifaire entre les Etats-Unis et la Chine et sur la guerre entre Israël et l’Iran. On connaitra ainsi la position de la Chine sur les turbulences croissantes qui secouent le monde et sur la façon d’agir pour rétablir la paix. Un défi que le Sud global pourra relever. Autant de questions qui font de cet entretien une référence en termes de relations tuniso-chinoises en particulier et de géopolitique d’une façon générale.
Quel est, Monsieur l’Ambassadeur, l’état des relations économiques et commerciales Tunisie-Chine ?
Ces dernières années, les relations économiques et commerciales entre la Chine et la Tunisie se sont développées de manière stable. Elles affichent une bonne dynamique. Entre 2019 et 2024, le volume des échanges commerciaux a presque doublé et les investissements directs chinois en Tunisie ont également enregistré des progrès importants.
De nombreux projets d’envergure ont été entrepris par des entreprises chinoises, outre la construction d’une série d’infrastructures avec l’appui de la Chine, permettant d’améliorer les conditions de vie de la population en Tunisie. Les économies chinoise et tunisienne présentent une forte complémentarité. La Chine est disposée à travailler avec la Tunisie pour explorer, plus profondément encore, le potentiel de la coopération mutuelle afin qu’elle puisse profiter davantage aux peuples des deux pays et contribuer à la croissance économique et à la justice sociale en Tunisie.
Les relations Tunisie-Chine ont été élevées au rang de relations stratégiques à l’occasion de la visite du chef de l’État en Chine. Les premiers résultats sont-ils à la hauteur des attentes ?
Depuis l’établissement du partenariat stratégique entre la Chine et la Tunisie, les relations entre les deux pays ont abouti à une série de résultats tangibles. Les visites de haut niveau se sont intensifiées. Les ministres tunisiens des Transports, de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, du Commerce et du Développement des exportations, ainsi que le ministre de l’Économie et de la Planification se sont successivement rendus en Chine ou ont participé à des réunions connexes.
M. Li Shulei, membre du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois et chef du Département de l’information du Comité central du Parti communiste chinois, a conduit une délégation en visite en Tunisie. Il a été reçu respectivement par S.E.M. Kaïs Saïed, président de la République, Mme Sarra Zaafrani Zenzri, cheffe du gouvernement, M. Brahim Bouderbala, président de l’Assemblée des représentants du peuple, et M. Imed Derbali, président du Conseil national des régions et des districts. Ces visites réciproques ont été une occasion pour échanger des opinions approfondies sur la coopération et les opportunités de partenariat dans divers domaines, permettant ainsi de renforcer davantage la confiance politique entre nos deux pays. Les deux parties ont également réalisé des progrès significatifs dans la coopération sur des projets importants.
En ce qui concerne les investissements chinois en Tunisie, le projet d’acquisition de la société « Ciments Jbel Oust » par une entreprise chinoise se déroule sans difficulté. La partie chinoise prévoit d’augmenter ses investissements afin de moderniser les équipements et de réaliser des produits plus écologiques.
Le 1er juin, la partie chinoise a envoyé une équipe d’experts sur place pour apporter un appui aux autorités tunisiennes pour finaliser l’étude de faisabilité et réaliser une évaluation préliminaire du projet de reconstruction du stade olympique d’El Menzah. Récemment, j’ai visité le chantier du nouveau pont de Bizerte, construit par une entreprise chinoise, et j’ai pu constater que le projet avançait globalement sans encombre et que la construction de la structure permanente du pont allait bientôt commencer. En outre, la conception du projet du Centre de cancérologie de Gabès vient d’être finalisée et la prochaine étape sera le lancement de l’appel d’offres. Par ailleurs, les bus acquis auprès de la Chine sont arrivés.
En ce qui concerne les investissements chinois en Tunisie, le projet d’acquisition de la société « Ciments Jbel Oust » par une entreprise chinoise se déroule sans difficulté. La partie chinoise prévoit d’augmenter ses investissements afin de moderniser les équipements et de réaliser des produits plus écologiques.
Des entreprises chinoises – et non des moindres – se sont adjugé des contrats à la suite d’appels d’offres pour construire le pont de Bizerte, ou pour reprendre les travaux de reconstruction du stade d’El Menzah à Tunis, ou bien encore pour la livraison de bus de transport collectif… Verra-t-on davantage d’entreprises chinoises prendre part à l’édification de projets d’infrastructure structurants ? Comment expliquer qu’elles ne se soient pas mobilisées plus tôt ? Est-ce à cause de procédures peu adaptées, d’obstacles bureaucratiques, du système de change, voire d’un climat des affaires peu incitatif ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que le projet de reconstruction du stade olympique d’El Menzah est réalisé grâce à un financement mixte. La majeure partie du financement de ce projet provient de la Chine, et il ne s’agit pas d’un projet de construction ordinaire. Ces dernières années, de plus en plus d’entreprises chinoises viennent en Tunisie pour mener des projets et participer à des investissements. Cela est étroitement lié à la stabilité de la situation en Tunisie et à sa position géographique avantageuse, mais c’est aussi le résultat du développement approfondi des relations politiques sino-tunisiennes. Avec le renforcement des échanges entre les deux pays, les entreprises chinoises auront une meilleure connaissance du marché tunisien, ce qui les encourage davantage à investir et à s’implanter en Tunisie.
Comment se manifeste l’aide financière et technique de la Chine en faveur de la Tunisie ? Y a-t-il des prêts consentis à la Tunisie ? Dans quel cadre ? Et selon quelles modalités ?
Le projet de reconstruction du stade olympique d’El Menzah, que je viens de mentionner, est principalement financé par la Chine, notamment par des prêts à taux préférentiels et des aides non remboursables. Le projet du Centre de cancérologie de Gabès sera mis en œuvre sous forme d’aide non remboursable du gouvernement chinois. Cette année, la Chine offrira également à la Tunisie plusieurs centaines de places de formation dans divers domaines, afin d’aider le pays à former différents types de talents.
La Chine et la Tunisie se sont mises d’accord sur les principes de l’accord. Après la signature de l’accord, les deux parties pourront mener des négociations spécifiques sur les droits de douane, l’investissement et d’autres questions inscrites sous les modules « commerce plus pratique » et « chaîne d’approvisionnement plus résiliente »…
Le bilan des échanges commerciaux est nettement à l’avantage de la Chine. Que peut-on exporter en Chine pour atténuer ce déséquilibre ? Les investissements directs chinois -IDE- pourraient remédier à cette situation et réduire le gap. Cela est-il possible compte tenu de la proximité du marché européen et des accords d’association tuniso-européens ?
Le commerce entre la Chine et la Tunisie est mutuellement bénéfique. De nombreux produits importés de Chine par la Tunisie sont nécessaires à la construction économique du pays. Ils fournissent des matériaux et des équipements de construction avec un bon rapport qualité-prix pour la mise en œuvre de grands projets, et peuvent également être transformés pour augmenter leur valeur ajoutée, créant ainsi davantage d’emplois en Tunisie.
Certes, il existe un déséquilibre dans les échanges commerciaux entre les deux pays. Pour remédier à cette situation, il y a deux approches : la première consiste pour le pays déficitaire à réduire ses importations, la seconde à augmenter ses exportations. Il est évident que la seconde solution est la plus avantageuse. Lors de la réunion ministérielle des coordinateurs sur la mise en œuvre des actions de suivi du Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC), la Chine a annoncé l’application du traitement de tarif douanier zéro à 100% des catégories de produits en provenance de 53 pays africains ayant avec la Chine des relations diplomatiques, en concluant des accords-cadres de partenariat économique pour le développement partagé.
À l’heure actuelle, la Chine et la Tunisie se sont mises d’accord sur les principes de l’accord. Après la signature de l’accord, les deux parties pourront mener des négociations spécifiques sur les droits de douane, l’investissement et d’autres questions inscrites sous les modules « commerce plus pratique » et « chaîne d’approvisionnement plus résiliente », ce qui permettra de promouvoir, plus efficacement, les exportations de la Tunisie vers la Chine et les investissements directs des entreprises chinoises en Tunisie.
Dans le même temps, la position géographique favorable de la Tunisie et les dispositions commerciales préférentielles qu’elle a conclues avec un certain nombre de pays et organisations régionales sont propices à l’attraction des investissements chinois en Tunisie.
La guerre tarifaire est-elle terminée après le récent accord entre les États-Unis et la Chine ? Comment a- t-elle affecté la croissance économique de la Chine ?
Après les discussions à Londres, les équipes chinoises et américaines ont maintenu une communication étroite. Récemment, les deux parties ont confirmé les détails du cadre de mise en œuvre du consensus des négociations commerciales. La Chine approuvera, conformément à la loi, les demandes d’exportation de biens contrôlés éligibles. Les États-Unis annuleront, de leur côté, une série de mesures restrictives prises à l’encontre de la Chine.
Comme l’a souligné le président Xi Jinping, « l’économie chinoise est une mer, pas un petit étang ». La Chine est en train de former un nouveau modèle qui s’appuie principalement sur la demande intérieure et l’innovation pour stimuler la croissance économique…
A ce propos, je tiens à souligner que nous espérons que les États-Unis collaboreront avec la Chine pour mettre en œuvre le consensus important atteint par les deux présidents lors de leur entretien téléphonique et qu’ils feront bon usage du mécanisme de consultation économique et commerciale entre la Chine et les États-Unis. Nous espérons également que la communication et le dialogue permettront de renforcer le consensus et la coopération et de réduire les malentendus, afin de promouvoir un développement stable, sain et durable des relations Chine-États-Unis, ce qui sera bénéfique non seulement pour la Chine et les États-Unis, mais aussi pour le monde entier.
Il est tout aussi important de relever que les exportations chinoises vers l’étranger ont augmenté de 7,5% au cours des quatre premiers mois de l’année en cours, malgré des barrières tarifaires élevées. Comme l’a souligné le président Xi Jinping, « l’économie chinoise est une mer, pas un petit étang ». La Chine est en train de former un nouveau modèle qui s’appuie principalement sur la demande intérieure et l’innovation pour stimuler la croissance économique ; elle dispose d’un système de chaîne industrielle efficace et complet, d’une écologie de marché pleinement compétitive et d’une innovation technologique ininterrompue.
Les impacts externes ne peuvent influencer les fondamentaux de l’économie chinoise, qui dispose d’une base stable, de nombreux avantages, d’une forte résilience et d’un grand potentiel. L’élan solide du développement de haute qualité de la Chine progresse solidement.
Comment a réagi la Chine face à l’agression militaire israélo-américaine contre l’Iran, qui fait partie du noyau central du Sud global et plus encore des BRICS ?
La Chine suit de près l’évolution de la situation au Moyen-Orient, s’oppose aux actions israéliennes qui violent la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale de l’Iran, et condamne les attaques américaines contre l’Iran et le bombardement d’installations nucléaires sous les garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Les actions des Etats-Unis ont gravement violé les objectifs et principes de la Charte des Nations unies et le droit international et ont exacerbé les tensions au Moyen-Orient. La paix a besoin de force pour être défendue, mais la force n’apporte pas nécessairement la paix véritable. La Chine s’oppose au recours à la force pour régler les différends et s’est toujours rangée du côté de la paix, du dialogue et de la justice internationale.
Aujourd’hui, la scène internationale est marquée par les turbulences croissantes, d’unilatéralisme et de protectionnisme. Le monde risque un retour à la loi de la jungle, où les faibles sont la proie des forts. Dans le même temps, le Sud global s’est considérablement développé et se positionne désormais comme une force essentielle pour le maintien de la paix internationale, le développement mondial et l’amélioration de la gouvernance mondiale.
Pour relever les défis et sortir de la crise, il faut une plus grande solidarité dans le Sud global. Le fait que de nombreux pays émergents et en développement envisagent activement de rejoindre les BRICS montre leur attractivité. L’expansion des BRICS est dans l’intérêt commun des pays émergents et des pays en développement et renforcera les forces de la paix et du développement dans le monde. Face aux tensions actuelles au Moyen-Orient, les BRICS ont publié une déclaration commune appelant au cessez-le-feu, au dialogue et à la consultation, qui a joué un rôle constructif dans l’apaisement des tensions dans cette région.
Lors du sommet des BRICS qui s’est tenu l’année dernière à Kazan, le président Xi Jinping a déclaré que les BRICS devaient « s’engager en faveur de la paix » et « agir en tant que défenseurs de la sécurité commune ». La Chine est disposée à collaborer avec les autres pays des BRICS et la communauté internationale pour unir leurs efforts, faire respecter la justice et continuer à œuvrer en faveur d’un Moyen-Orient pacifique et stable.
La Chine et la Tunisie ont échangé des visites de haut niveau de plus en plus fréquentes et ont approfondi leur confiance mutuelle sur le plan politique d’une manière constante. Le partenariat stratégique sino-tunisien a permis de développer davantage la coopération entre les deux pays dans divers domaines, les échanges humanitaires et culturels sont devenus de plus en plus étroits et les liens entre les peuples se sont approfondis.
Monsieur l’Ambassadeur, cela fait deux ans et demi que vous êtes en poste à Tunis. Avez-vous le sentiment d’avoir fait bouger les lignes et changer certaines choses ? Tout se passe-t-il comme vous l’auriez souhaité ?
Au cours des deux dernières années, sous la direction stratégique des chefs d’État des deux pays et grâce aux efforts conjoints de la Chine et de la Tunisie, nos deux pays ont fait évoluer leurs relations de manière significative et ont établi un partenariat stratégique. La Chine et la Tunisie ont échangé des visites de haut niveau de plus en plus fréquentes et ont approfondi leur confiance mutuelle sur le plan politique d’une manière constante. Le partenariat stratégique sino-tunisien a permis de développer davantage la coopération entre les deux pays dans divers domaines, les échanges humanitaires et culturels sont devenus de plus en plus étroits et les liens entre les peuples se sont approfondis.
Dans mes contacts avec mes amis tunisiens, j’ai particulièrement constaté que la Chine et la Tunisie sont très unies dans leur opposition à l’ingérence étrangère et dans leur défense de la souveraineté et de l’indépendance nationales. Les deux parties sont fermement attachées à l’esprit de la déclaration commune sino-tunisienne sur l’établissement d’un partenariat stratégique et se soutiennent mutuellement au sujet des questions liées aux intérêts fondamentaux et aux préoccupations majeures des deux pays.
La Chine continuera également à soutenir fermement la Tunisie pour que le pays emprunte la voie du développement conformément à ses propres conditions nationales.
Dans la déclaration commune, la partie tunisienne a souligné qu’elle respectait la résolution 2758 de l’Assemblée générale, adoptée le 25 octobre 1971. La partie chinoise exprime son appréciation et sa gratitude à la partie tunisienne pour son adhésion ferme au principe d’une seule Chine. Je voudrais profiter de cette occasion pour souligner à nouveau que la province de Taïwan fait partie intégrante du territoire chinois. C’est une réalité historique et factuelle. Poursuivre le principe d’une seule Chine implique une ferme opposition à l’« indépendance de Taiwan » sous toutes ses formes. Réaliser la réunification complète de la Patrie est un choix irréversible et une juste cause à laquelle adhère la Nation tout entière.
La Chine continuera également à soutenir fermement la Tunisie pour que le pays emprunte la voie du développement conformément à ses propres conditions nationales. Pour ma part, je continuerai à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour promouvoir le développement des relations sino-tunisiennes et la coopération pratique et concrète dans divers domaines.
Cette interview est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n° 923 du 2 au 16 juillet 2025.
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