À Gaza, on ne meurt pas qu’une seule fois
Donald Trump, président élu des États-Unis, menace de représailles «terribles» si les otages israéliens ne sont pas libérés avant sa prise de fonction. Représailles? Sur quoi? Gaza est déjà détruite à 95%. Qu’a-t-il l’intention de bombarder encore? Les 5% de bâtiments restants? Les tombes éventrées à plusieurs reprises?
Khemais Gharbi *
Gaza, aujourd’hui, n’est plus qu’un immense cimetière à ciel ouvert. Ici, les ruines s’amoncellent sur d’autres ruines. Les routes n’existent plus, les hôpitaux sont devenus des cratères, et les villes ne sont plus que des souvenirs ensevelis sous les décombres. Les survivants errent sans direction, perdus dans un paysage où tout sens a disparu. L’horreur s’est installée comme une routine, et la mort règne sans partage.
Les chiffres s’égrènent sans fin : 44 500 morts, 10 000 corps encore enfouis sous les débris, 104 000 blessés. Ces chiffres ne choquent plus. Ils deviennent des notes en bas de page dans les journaux, des statistiques répétées mécaniquement dans les bulletins d’information.
Pourtant, derrière chaque nombre, il y a une vie, une histoire, une famille anéantie. Des enfants amputés sans anesthésie. Des morts enterrés sans linceul, faute de temps ou de moyens.
Et dans ce chaos, une annonce télévisée me fait sursauter. Non pas parce qu’elle apporte une lumière dans l’obscurité, mais parce qu’elle illustre à quel point nous avons perdu tout repère moral. Donald Trump, président élu des États-Unis, menace de représailles «terribles» si les otages israéliens ne sont pas libérés avant sa prise de fonction.
Représailles? Sur quoi? Gaza est déjà détruite à 95%. Qu’a-t-il l’intention de bombarder encore? Les 5% de bâtiments restants? Les tombes éventrées à plusieurs reprises?
À Gaza, on ne meurt pas qu’une seule fois. On meurt deux, trois, peut-être mille fois. Bombardés, déterrés, enterrés à nouveau. Les vivants, eux, continuent à fuir les bombardements pour tenter d’échapper à ce cycle macabre. Ils sont plus que saturés de gémissements, de hurlements, de sirènes tournant à vide parce qu’il n’y a plus de lieu où emmener les morts et les blessés.
Et nous, où sommes-nous dans tout cela? Sommes-nous devenus sourds à ces cris, aveugles à ces images, insensibles à ces tragédies? Chaque massacre semble réduire notre capacité à nous indigner. Chaque déclaration cynique d’un leader politique nous révolte pour un instant, avant de nous anesthésier un peu plus tard.
Ce qui se passe à Gaza dépasse les mots. C’est une tragédie qui interroge la conscience de chacun. Quelle civilisation se permet de raser pêle-mêle des hôpitaux, des routes, des quartiers entiers, et enfin des cimetières, sous prétexte d’instaurer une paix générale quitte à détruire la paix éternelle ? Quel message voulons-nous transmettre en bombardant les ruines ? Et quelle gloriole pour les officiers qui exécutent ces missions et les politiciens qui les ordonnent ?
Nous ne pouvons pas prétendre ne pas savoir. Les images, les récits sont sous nos yeux.
L’inhumanité à Gaza ne peut devenir une simple «page sombre» de l’Histoire, un épisode lointain à classer dans les archives. C’est un crime quotidien, un génocide qu’aucun prétexte ne saurait justifier.
Nous devons exiger un retour urgent à l’humanité. Les morts de Gaza ne peuvent plus parler. Mais les vivants, eux, peuvent encore porter leur voix. Refusons de nous taire, de cesser d’écrire, de publier, de dénoncer. Le silence face à cet anéantissement est une complicité coupable.
La destruction de Gaza ne nous concerne pas seulement comme citoyens. Elle interroge ce que nous sommes devenus. Si nous ne disons rien par lassitude, par cynisme ou par peur, alors nous sommes complices de cette tragédie. Et ce sera nous, collectivement, qui serons jugés par l’Histoire.
* Ecrivain et traducteur.
L’article À Gaza, on ne meurt pas qu’une seule fois est apparu en premier sur Kapitalis.