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‘‘L’affaire Moro’’ : le mort en parle encore

05. Januar 2025 um 08:22

Ce drame politique rédigé par le grand écrivain sicilien, Leonardo Sciasca, deux mois après l’assassinat, en mai 1978, de l’homme politique italien Aldo Moro a ceci de particulier que chaque lecture en fait découvrir, par rapport à la précédente, quelque nouveau sens insoupçonné.

Dr Mounir Hanablia *

C’est à travers les lettres rédigées du lieu de sa captivité, durant près de deux mois, dans la Prison du Peuple telle que la nomment ses ravisseurs, ainsi que les articles de presse relatant les réactions de la direction de son propre parti, la Démocratie Chrétienne, et des autres partis italiens, qu’une esquisse de l’affaire a été élaborée, qui devait s’avérer fidèle à la réalité. L’idée essentielle en est que cet assassinat aurait pu être évité si le propre parti politique de la victime, la Démocratie Chrétienne, dont il était le président, l’avait écouté, et avait procédé à l’échange des prisonniers réclamé par ses ravisseurs.

Cet échange était conforme aux idées du captif à travers ses écrits et ses déclarations bien avant son enlèvement sur la nécessité de sauvegarde de la vie innocente lors des prises d’otage. Mais il était selon lui également conforme à la raison d’Etat du fait du risque encouru de faire des aveux sous la contrainte durant le procès politique que ses ravisseurs lui intentaient, en tant que Président de son Parti. Cependant, aux yeux de ce dernier alors au pouvoir, ces deux arguments demeurèrent vains et on crut, ou on fit mine de croire, que les opinions exprimées dans ses nombreuses lettres par son Président en captivité représentaient celles de ses ravisseurs et qu’elles n’étaient pas les siennes. 

Au nom de la raison d’Etat

Lorsque le Parti Socialiste de Bettino Craxi rompit l’unité de la classe politique italienne pour demander l’ouverture de négociations afin de sauver l’illustre personnage et le rendre à sa famille en prenant en considération l’aspect  humanitaire, Julio Andreotti qui était alors Premier ministre épaulé par la direction de son parti, et ignorant la requête du prisonnier réclamant un congrès pour débattre de sa libération, répondit au nom de la raison d’Etat qu’on ne pouvait pas ignorer la peine des familles des gardes du corps assassinés durant l’enlèvement qui interdisait tout accord avec les ravisseurs.

Curieusement, même le Pape se rangea sur cette position. Mais ceci n’expliquait évidemment pas un tel durcissement de la Démocratie Chrétienne, en contradiction avec sa manière habituellement souple de surmonter les difficultés et les refus pour obtenir des accords ou des compromis consensuels.

L’aspect central du drame, ainsi que l’a situé d’emblée l’auteur, c’est que l’enlèvement a eu lieu en mars 1978, alors que l’homme politique se rendait au parlement pour assister au vote de confiance qui allait introniser le nouveau gouvernement associant aux ministres de son propre parti, d’autres ministres communistes, en vertu du compromis historique dont lui même avait été l’architecte, entre les deux formations politiques.

Cet enlèvement était donc censé empêcher un tel rapprochement, «entre Brejnev et Pinochet». Cependant le Parti Communiste, marxiste léniniste  idéologiquement proche des Brigades Rouges, ne se fit pas faute de s’en démarquer, au nom de la sauvegarde de l’Etat, en refusant toute concession accordée aux ravisseurs. C’est donc lui qui visiblement fut à l’origine du durcissement, et du refus de tout compromis.

Le noyautage des Brigades Rouges

Ainsi l’action des Brigades Rouges censée mettre un terme à la «trahison de la cause prolétarienne» par le Parti Communiste allié à la Démocratie Chrétienne, ne fit en réalité que renforcer leur alliance tout en obtenant le vote de confiance du nouveau gouvernement de coalition au parlement. De là à dire que c’est le Parti Communiste qui fut à l’origine de l’enlèvement, il n’y a qu’un pas, et cette thèse fit scandale lors de la parution de l’ouvrage, beaucoup plus que la responsabilité attribuée dans l’assassinat de l’homme politique, à ses propres amis de la Démocratie Chrétienne, qu’il avait eu l’occasion de défendre avec véhémence lorsque quelques uns parmi eux avaient été la cible d’accusations de corruption.

Il reste la dernière piste évoquée, celle d’un complot américain, rendu plausible par le mensonge du sénateur Taviani, connu pour être l’homme des Américains. Sauf que l’auteur n’a émis cette hypothèse, qui s’avèrera la bonne, que dans le cadre d’un jeu que Aldo Moro aurait utilisé pour semer la discorde et la zizanie parmi ses ravisseurs, afin d’instiller le poison du doute dans leurs esprits; avec quelque succès semble-t-il. Il est vrai que le jeu des ravisseurs se résumait à laisser à leur victime le soin de s’exprimer et d’écrire «secrètement» tout en diffusant ses écrits au «peuple» par le biais de la presse de l’Etat Impérialiste des Multinationales (ainsi qu’ils le nomment), à le laisser prendre connaissance des développements de l’affaire (abandon par ses amis) par le biais de cette même presse, afin de susciter son ressentiment, et de le laisser formuler les propositions de négociation pour libérer leurs camarades prisonniers, mais en les faisant apparaître comme provenant de leur prisonnier.

Il n’empêche; le destin d’Aldo Moro demeure curieux puisqu’il fut intronisé dans la vie politique depuis l’assassinat du président Kennedy en 1962 jusqu’à celui de son frère Robert en 1968, qu’en tant que ministre de la Justice il passait beaucoup de temps à visiter les détenus dans les prisons, et qu’il s’intéressait beaucoup aux cravates et à leurs nœuds, que d’aucuns rapprocheront à la pendaison. Étant le moins impliqué parmi tous, ainsi que le définit Pier Paolo Pasolini, dans toutes les magouilles de la Démocratie Chrétienne italienne, il n’en fut pas moins en fin de compte le bouc émissaire commode chargé de porter les péchés de ceux qui ne furent pas ses amis.

Il demeure que l’enquête ultérieure détermina le noyautage des Brigades Rouges, avec l’implication du Gladio, cette organisation paramilitaire secrète, des services secrets militaires italiens, et de la CIA, dans l’enlèvement et l’exécution d’Aldo Moro, parce qu’on lui reprochait d’avoir introduit le Parti Communiste dans le gouvernement italien, et d’affaiblir l’Otan dans la lutte menée contre l’Union Soviétique.

L’intérêt du livre réside selon moi dans la possibilité d’approcher une vérité complexe par l’analyse des écrits y ayant trait. Il démontre surtout comment fonctionne la vie politique dans une démocratie libérale d’un pays occidental, cyniquement, sans concession, tout comme dans n’importe quel groupe doté de pouvoir, du tiers-monde ou d’ailleurs, en laissant, sinon en faisant, délibérément assassiner l’un des siens, pour n’importe quelle raison jugée valable, sans susciter aucune réaction pour l’empêcher.

Ainsi la séparation entre démocratie et dictature apparaît souvent beaucoup plus comme une construction théorique, que comme un fait établi vrai et réel, l’exercice du pouvoir étant substantiellement identique.

* Médecin de libre pratique.

‘‘L’affaire Moro’’, de Leonardo Sciascia, éd. Grasset, Paris le 31 octobre 1978, 144 pages.

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