Le poème du dimanche | ‘‘Retour’’ de Tahar Djaout
Tahar Djaout est poète, romancier et journaliste algérien d’expression française. Il sera assassiné en 1993, lors de «la décennie noire», après avoir créé l’hebdomadaire Ruptures, très engagé contre les courants religieux extrémistes.
Tahar Djaout est né en 1954, à Oulkhou, en Kabylie maritime. Après des études en mathématiques qu’il abandonne au profit du journalisme, il publie son premier recueil Solstice barbelé, en 1975, à l’âge de 21 ans.
S’ensuit une œuvre importante, narrative et poétique, élaborée dans une écriture rigoureuse, exigeante, allégorique et métaphorique, où la dérision est ravageuse, le regard critique sans concession.
Il laisse six recueils de poésie.
Tahar Bekri
Au détour du figuier,
la brisure rejaillit,
colmatée jusqu’à l’effervescence de la roche :
le même lézard
-limant ses écailles depuis des décennies –
dévia son chemin vers la mer.
Des gamins au corps salé
-comme moi jadis-
disposaient des quinconces d’oursins
et flagellaient les eaux repues.
Mais plus haut, vers la ville,
l’olivier avait dénigré ses racines,
une écriture renversée rongeait les citadelles.
Les gamins, qui ne comprenaient désormais plus
ma langue, malgré mon corps trempé dans les sédiments
de la mer, me boudaient
et achevaient de décrépir un rêve couché sur les murs.
Pourquoi ces errances
à la recherche du figuier
Qui chaque siècle renie sa résurrection ?
Les gamins m’en voulaient
d’être allé si loin
et d’être revenu aphone.
La mer
qui a déjà abrité toutes les souillures
-et mes châteaux d’enfance-
m’invite au partage du ressac.
Et debout sur le roc,
splach !
Boire, boire, boire,
Boire jusqu’à la paix du sédiment.
Sous le ciel harnaché,
la mer cisèle un fruit d’azur.
Je lui léguerai mon squelette.
Solstice barbelé, Ed. Naaman, 2ème édition, Québec, 1983.
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