Masse salariale, compensation, fiscalité: Les chantiers prioritaires de la Tunisie
Face à une masse salariale publique élevée et à une Caisse de compensation coûteuse, la Tunisie est appelée à repenser ses priorités économiques. Mustapha Boubaya, ancien trésorier de la Chambre syndicale nationale des entreprises d’études, de conseil et de formation de l’Utica, propose une série de réformes qu’il estime nécessaires pour alléger la pression sur les finances publiques et soutenir la relance.
La Presse — La Tunisie se retrouve aujourd’hui face à un double défi économique majeur : une masse salariale publique qui pèse lourdement sur le budget de l’Etat et une Caisse de compensation devenue coûteuse et parfois moins adaptée à la structure sociale actuelle. Dans ce contexte, Mustapha Boubaya, ancien trésorier de la Chambre syndicale nationale des entreprises d’études, de Conseil et de formation de l’Utica, a livré son analyse sur la situation et les pistes de réformes possibles.
Selon lui, « la Tunisie est arrivée à une situation où la rémunération des fonctionnaires frôle aujourd’hui le tiers du budget de l’Etat ». Il estime que cette dérive résulte des « décisions irrationnelles de recrutement dans l’administration entre 2011 et 2021, prises sans égard aux besoins réels en personnel et sans considération de leur impact sur les finances publiques ».
Repenser le rôle et l’avenir de la fonction publique
Boubaya rappelle que « les temps où l’administration servait de bureaux d’emploi pour absorber le surplus de jeunes diplômés sont désormais révolus » et que, par conséquent, « la marge de manœuvre budgétaire de l’Etat est aujourd’hui quasi inexistante ».
Face à ce constat, il précise que pour maîtriser, sinon réduire, une masse salariale estimée à près de 25 milliards de dinars en 2025, soit environ 15 % du PIB, « plusieurs leviers doivent être activés ».
Il propose notamment de « limiter les recrutements aux besoins réels, justifiés par des plans de charge annuels dans chaque administration ».
Dans le même esprit, il ajoute que « l’Etat devrait favoriser les redéploiements entre administrations centrales et régionales, encourager les départs volontaires via des congés de création d’entreprises et recourir périodiquement à la retraite anticipée pour les fonctionnaires âgés de 56 ans et plus ».
Par ailleurs, Boubaya insiste sur l’importance d’accélérer la digitalisation des services publics, afin de « réduire d’au moins un quart les effectifs liés aux procédures matérielles ». Il considère également qu’« une réforme du statut général de la fonction publique s’impose, pour créer des passerelles entre secteurs public et privé et réguler plus efficacement le marché du travail ». Ces mesures combinées, selon lui, permettraient non seulement d’alléger le poids de la masse salariale, mais aussi « d’améliorer l’efficacité des services publics ».
Concernant la Caisse générale de compensation, créée en 1970, Boubaya rappelle qu’« elle avait été conçue dans un contexte de pénurie afin d’atténuer les effets de l’inflation ». Or, observe-t-il, « elle a largement perdu sa raison d’être dans une société composée aujourd’hui à plus des deux tiers de classe moyenne ». Maintenue malgré tout, souligne-t-il, elle pèse lourdement sur des finances publiques fragilisées, ce qui rend sa réforme incontournable.
Il suggère ainsi « de programmer la suppression progressive des régimes de compensation sur 6 à 8 ans, en commençant par les carburants, l’énergie et le transport, qui absorbent près des trois quarts de son budget ».
En parallèle, il insiste sur « l’importance de mettre en place un filet de sécurité ciblant les populations vulnérables à travers un Fonds de Solidarité », tout en accompagnant la transition par « une hausse graduelle et programmée des prix ».
Sur le plan monétaire, Boubaya juge que « la politique actuelle de taux d’intérêt élevés est contre-productive ». Selon lui, « avec des crédits bancaires oscillant entre 10 et 15 %, l’initiative privée est freinée et l’inflation alimentée ».
Il met en avant « la nécessité d’aligner la politique monétaire sur la politique économique, en l’adaptant aux réalités du pays, où l’inflation est d’abord liée à l’insuffisance de production locale ».
Fiscalité : un système lourd, en attente de réformes structurelles
Face à la persistance de la hausse des prix, il estime que « seule une stratégie d’indépendance alimentaire, fondée sur l’augmentation de la production locale et l’innovation, peut offrir une issue durable ».
Pour illustrer ses propos, il cite un exemple concret : « La technologie tunisienne de dessalement de l’eau de mer par énergie solaire, brevetée depuis 2018, pourrait être déployée à grande échelle pour irriguer de nouveaux champs céréaliers et contribuer à l’autosuffisance ».
S’agissant du système fiscal, Boubaya rappelle que «la Tunisie affiche l’un des taux de prélèvements les plus élevés d’Afrique, avoisinant 25 %, ce qui étouffe la compétitivité et encourage la fraude».
Dans cette optique, il souligne «l’urgence de reprendre les recommandations des assises de la fiscalité de 2014, qui proposaient plus de 200 réformes structurelles mais restent inappliquées à ce jour». Enfin, au plan budgétaire, l’ancien responsable met en avant la nécessité d’« un plan d’ajustement structurel articulé autour de six axes : maîtrise de la masse salariale, réforme des services publics, réduction de la dette et du déficit des entreprises publiques, alignement des politiques sectorielles sur des stratégies de développement, audit des entreprises publiques et création d’un Conseil des analyses économiques auprès de la cheffe du gouvernement ».
A travers ces propositions, Mustapha Boubaya met en lumière des réformes qu’il juge indispensables pour redresser l’économie tunisienne.
Mais leur mise en œuvre reste, selon de nombreux observateurs, conditionnée à un équilibre délicat entre impératifs financiers, contraintes sociales et choix politiques.