May Farouk au Festival international de Carthage : Un hommage à Oum Kalthoum, 50 ans après..
Le concert a été marqué sold out et le public a fait la queue six heures avant le début du concert, pas uniquement pour revivre la magie des airs célèbres d’Oum kalthoum, mais pour l’énorme succès de May Farouk.
La Presse —Le Festival international de Carthage a accueilli pour la soirée du 16 août la star égyptienne May Farouk pour un concert en hommage à Oum Kalthoum qui nous a quittés il y a exactement 50 ans. Une succession de spectacles, expositions et autres événements culturels ont été organisés tout au long de cette année en Egypte et dans de nombreux autres pays arabes et même européens pour célébrer la mémoire de celle que l’on surnomme «La quatrième pyramide».
Oum Kalthoum ressuscitée
Le concert a été marqué sold out et le public a fait la queue six heures avant le début du concert, pas uniquement pour revivre la magie des airs célèbres d’Oum kalthoum, mais, vu l’énorme succès de May Farouk, pour son son propre répertoire. La star a d’ailleurs été «désignée » pour ce spectacle d’hommage, terme qu’elle a employé elle-même, en remerciant à maintes reprises ceux qui lui ont accordé ce privilège de chanter pour la première fois le répertoire de sa compatriote sur la scène mythique de Carthage. Le concert a été diffusé en direct sur trois chaînes publiques égyptiennes. Oum Kalthoum n’était pas qu’une chanteuse. C’était la voix qui a uni le peuple lors d’événements politiques bouleversants et que l’on entend encore aujourd’hui dans toutes les rues de son pays natal, ses tubes étant intemporels. L’ambassadeur égyptien faisait partie de l’audience, ce qui prouve davantage la forte valeur symbolique de cet événement.
Avant la montée de May Farouk sur scène, le public a pu suivre, sur grand écran, une vidéo qui récapitule des moments phares du passage d’Oum Kalthoum en Tunisie, en mai 1968, pour deux concerts successifs. L’émotion était déjà présente avec la voix de «L’astre d’Orient» dans «Biid anak». Quand May Farouk a fait son entrée, sous un tonnerre d’applaudissements, l’impatience était à son comble pour ce voyage musical à travers l’héritage d’Oum Kalthoum. En robe noire sobre et élégante, sans strass ni paillettes, son allure était simplement majestueuse. Sur scène, le maestro Mohamed Lassoued et sa troupe, une quarantaine de musiciens tous de noir vêtus, étaient déjà prêts à tenir le public en haleine.
«El hobb kolou» puis «Hadhihi Laylati», deux titres bien célèbres, ont instauré ce début d’immersion dans l’univers magique d’Oum Kalthoum. May Farouk a une très belle voix, puissante et porteuse d’une sensibilité palpable, ce qui lui facilite la reprise des mélodies de tarab de plusieurs chanteurs. Mais ce qui fait la différence entre elle et les autres interprètes qui ont chanté Oum Kalthoum durant un demi-siècle avec un niveau d’habileté variable, c’est l’aisance par laquelle elle aborde ces titres. On voit bien ses expressions faciales sur l’écran géant : pas de visage froissé, pas de gesticulations, Elle chante avec délicatesse et retenue. Une voix maîtrisée, sans excès, qui passe l’émotion sans être maniérée et sans forcer, ni hurler.
Le programme a inclus «Fat el maad», «Daret el ayam», «Sirt el hob», «Enta omri» et bien d’autres tubes jusqu’à «Alf Lila w Lila» à la fin du spectacle. Le public a repris en chœur ces chansons qui ont marqué des générations entières. Des airs, peut-être moins populaires, ont également envoûte l’auditoire, dont «Holm» et «Gaddedet hobak». Applaudissements, acclamations.. Une vive émotion gagnait le public, mais aussi la chanteuse qui n’a pas retenu ses larmes dans ces moments de complicité. Et, de son répertoire personnel, May Farouk a subtilement inséré «Aftekerlak Eeh», un titre signé Amr Mustafa. La sortie de cette chanson, la toute première fois, est en effet reliée à une anecdote. Amr Mustafa, célèbre auteur-compositeur-interprète égyptien contemporain, l’a lancée il y a quelques années avec la voix d’Oum Kalthoum par des effets d’un logiciel d’intelligence artificielle. Le style musical était tellement proche de celui de la diva que le public a été confus. Le succès du morceau a été fulgurant. Ce n’est qu’après qu’il a attribué sa nouvelle création à May Farouk. Bien qu’elle s’écarte du concept de la soirée, cette œuvre était en parfaite harmonie avec les titres déjà présentés par son texte et la musique bien travaillés.
Et, pour le dernier morceau, la star égyptienne a mis un habit traditionnel tunisien, pour conquérir encore plus les cœurs de ses spectateurs tunisiens.
La transmission, une responsabilité de chaque artiste
Lors de la conférence de presse, May Farouk et le maestro Mohammed Lassoued sont revenus sur le choix minutieux des chansons pour ce spectacle grandiose. «Nous avons voulu insérer des genres différents, des qassids et des classiques cultes ainsi que des pépites que l’on n’écoute pas assez. Nous tenions à ne pas réduire le répertoire d’Oum Kalthoum aux seuls titres très célèbres». Quand on a posé la question à May Farouk si les spectacles de reprises l’empêchent de se forger une identité qui lui est propre, elle a répondu : «Je garde la même voix et la même personnalité sur les reprises comme pour mes chansons à moi. Ces concerts en hommage à Oum Kalthoum ou à d’autres figures de la musique arabe n’entravent pas le succès de mes propres albums. Je les vois comme un engagement, une responsabilité à laquelle nous sommes tous tenus pour que cet héritage perdure». May Farouk a souligné dans ce sens qu’elle souhaite faire un concert en Tunisie avec des titres de ses derniers albums. Par rapport au tarab, son genre de prédilection, elle a indiqué qu’elle s’est toujours sentie au fond plus proche de la musique des années 40-50. «Même si on dira que je ne suis pas en phase avec mon époque, je continuerai toujours à défendre le tarab à l’ère du digital».
Après le succès retentissant de son concert et l’accueil chaleureux du public tunisien, les journalistes ont voulu savoir si une collaboration avec l’un de nos artistes nationaux est envisagée. Le dialecte est un frein de taille, selon May Farouk, qui a loué le talent des chanteurs tunisiens en nommant principalement Saber Rebai, Latifa, Lotfi Bouchnek et Mohammed Jebali.
Ce concert à guichets fermés et l’engouement dont le public a fait preuve pour les tubes intemporels d’Oum Kalthoum pourraient peut-être inciter des artistes tunisiens à concevoir des spectacles qui lui seront entièrement dédiés. Le maestro Hafedh Makni, à la tête du «Carthage Symphony Orchestra», s’est déjà lancé dans une expérience similaire il y a quelques mois et le résultat a été une réussite incontestable. La célébration du legs d’Om Kalthoum ne doit pas se limiter à son pays natal, c’est une voix qui continuera à émerveiller et à fédérer des générations entières.