A l’occasion du Mouled : Le «zgougou» sur un nuage
La Presse —À l’approche du Mouled, les marchés tunisiens connaissent une certaine effervescence. Il faudrait reconnaître que le consommateur est à la base de cette «frayeur» que l’on veut installer immanquablement à la veille de toute occasion aussi importante.
Rappelons-nous ce qui s’est passé à la veille de l’Aïd El Idha. Chacun y allait de son million et plus à consacrer à l’achat du mouton.
En fin de compte, qui est capable de dire exactement ce qui s’est passé ? Personne. Pour la bonne raison qu’une fois la fièvre tombée, les uns se sont contentés de quelques kilos de viande à manger en famille, d’autres se sont associés pour acheter une bête de sacrifice, d’autres encore sont passés à côté de cette fête. Sans regrets.
En effet, à part ceux qui l’ont célébré comme il se doit, les autres ont organisé un «méchoui party» sans célébrer vraiment l’Aïd.
Coutume ancestrale
Mais cette «assida» a son origine : l’«assida» est un plat traditionnel du Moyen-Orient et du Maghreb. Il est préparé à base de semoule, d’orge ou de farine bouillie, accompagnée de miel ou de sucre et d’huile d’olive ou de beurre de «chakchouka» ou d’une sauce tomate épicée avec des œufs.
Caton rapporte dans son traité «De agri cultura» la recette d’une bouillie de semoule très populaire à Carthage et à Rome appelée «puls punica».
Ce plat est resté populaire et a résisté au passage du temps, il est cuisiné aujourd’hui quotidiennement ou à des occasions spéciales comme le Mouled .
A l’origine, la famine
L’«assida» tunisienne trouve ses racines dans la cuisine berbère locale, avant que la version à base de zgougou ne devienne populaire à la fin du XIXe et au début du XXe siècle à la suite de famines dues à la sécheresse.
Ce plat, une bouillie, traditionnellement confectionné à base de farine de céréales, s’est transformé en dessert sucré avec des variantes très intéressantes a gagné en popularité, notamment à l’occasion du Mouled.
L’usage du zgougou à base de grains de pin d’Alep, est une tradition tunisienne unique, une préparation emblématique de la cuisine du pays.
Une hausse immorale
A l’occasion du Mouled, nous avons relevé une hausse sans précédent des prix du zougou (pin d’Alep) cette saison. Le prix au kilo est offert entre 55 et 63 dinars dans les zones de production, ce qui exige temps et attention.
Cette hausse inconsidérée des prix, «on» a voulu qu’il en soit ainsi. Dans quelques semaines, on tombera quelque part sur des tonnes de pin d’Alep ensevelies sous un préau ou dans un dépôt malfamé. Le tout sera saisi pour mauvaises conditions de stockage et tout le monde sera perdant.
L’effet de l’industrialisation
Personne n’en parle, mais la quantité de grains de pin d’Alep, raflée sur le marché pour entretenir une industrialisation rampante, a son effet sur les prix.
Par paresse ou pour que ce soit plus rapide, des industriels se sont lancés dans des préparations toutes prêtes à l’usage. Cela arrange les mères de familles qui n’auront plus à séparer les bon grains des résidus de terre ou autres déchets.
Le prêt à l’usage est plus facile, aux dépens des traditions qui réunissaient toute la famille pour cette préparation dans une ambiance conviviale.
Ces grandes quantités retirées influent sur le marché.
Reste à connaître les raisons de cette augmentation de prix? Il serait plus intelligent de reprendre les passages qui ont prédominé l’année dernière. Presque les mêmes.
Pénuries d’eau, changement climatique, incendies, retards administratifs, des raisons toutes trouvées et qui ont, a-t-on dit, contribué à cette mauvaise récolte. Les quantités retirées du circuit, personne n’en fait allusion.
De quoi pourrir la vie
De toutes les façons, le consommateur est maintenant sûr qu’on lui pourrit la vie à la veille de chaque fête. Lorsqu’on voit les prix affichés pour le raisin, les figues, les pommes, etc, des fruits de saison, en attendant le feuilleton des dattes prochainement, dont nous sommes un grand producteur, il n’y a pas à se poser beaucoup de questions.
D’ailleurs, on a récemment fait valoir que les Tunisiens à part les pastèques et à un degré moindre les melons, ne profitent pas des fruits dont le pays est producteur. Les raisons ? Les prix qui s’envolent sans crier gare et qui ne donnent pas l’impression de vouloir se calmer.
A l’échelle du Maghreb
Mais cette «assida au zgougou» a été inventée à cause de la famine. Nos chefs cuisiniers et pâtissiers (le meilleur ouvrage du monde en cuisine est tunisien), ne pourraient-ils pas trouver quelque chose d’autre, pour faire de cette bouillie de farine ou de semoule, une crème à base de produits locaux à bon marché, qui pousseraient dans leurs derniers retranchements, ceux qui ont fait de cette «assida» en fin de compte populaire, une gâterie de…riches ?
Le ministère du Tourisme pourrait lancer l’année prochaine un concours avec des prix conséquents, soit à l’échelle nationale, soit au niveau du Maghreb, pour encourager une initiative créatrice dans le but de mettre en valeur une préparation commune pour notre contrée, tout en remettant les pendules à l’heure.
Certes, les spéculateurs chercheront sans aucun doute, par où attaquer cette nouvelle trouvaille, pour se faire de l’argent facile, mais d’ici là, tant d’eau coulera sous les ponts.
Signalons quand même que pour éviter la confusion, «le zgougou» local se caractérise par sa couleur noire et sa petite taille, contrairement à celui introduit en contrebande qui est plus gros et rougeâtre.