Le phosphogypse reconnu comme déchet non dangereux et valorisable : La fin d’une polémique écologique ?
Le phosphogypse (PG) a toujours été considéré comme une matière organique dangereuse menaçant la santé de la population et son environnement. Nourhène Omri, une jeune Tunisienne ayant récemment soutenu sa thèse de doctorat, menée en cotutelle entre l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (Uppa) et l’Université de Tunis El Manar (UTM), vient de jeter un pavé dans la mare : ce déchet problématique pourrait être une ressource stratégique.
La Presse — Depuis les années 70, les rejets phosphatiers et les sous-produits nocifs, aléatoirement déversés dans le golfe de Gabès, au sud-est de la Tunisie, n’ont cessé d’altérer son écosystème marin et naturel. Cette région, qui a tant souffert des émissions toxiques de ses industries chimiques, provoquant des maladies respiratoires, était, alors, victime d’un développement délétère, dont les dividendes n’ont rien valu face à la perte du capital humain.
La science le confirme !
La pollution industrielle due aux effets chimiques de la transformation des phosphates avait, alors, fait des ravages, mettant à nu un constat environnemental aussi alarmant. Voire une réalité économique à ses risques et périls ! En fait, le phosphogypse, ce déchet souvent jugé dangereux, semble aujourd’hui un coproduit plus qu’utile et récupérable, dans la mesure où sa valorisation serait une valeur ajoutée sûre.
D’ailleurs, un Conseil ministériel, tenu le 5 mars dernier, a été consacré au développement du secteur du phosphate 2025-2030 et à ses enjeux liés à sa production, son transport et sa transformation. Suite à quoi, une des décisions pertinentes qui a été prise est relative au reclassement du phosphogypse (PG), qualifié désormais de «déchet non dangereux» et valorisable. Et voilà que la science le confirme et recommande ainsi l’usage de ce produit dans l’économie circulaire et renforce la chaîne de valeur du secteur du phosphate.
C’est dans ce contexte qu’intervient la thèse de la jeune chercheuse tunisienne Nourhène Omri, menée en cotutelle entre l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (Uppa) et l’Université de Tunis El Manar (UTM). Soutenue, le 23 avril dernier, cette thèse a été réalisée dans le cadre de «TunTwin», un des premiers projets européens de jumelage avec la Tunisie, engagé par l’Institut national de recherche et d’analyse physico-chimique (Inrap) à Sidi Thabet (Ariana) et son homologue Iprem à Pau en France. Cette coopération scientifique a été lancée, il y a huit ans, à l’initiative de l’Association franco-tunisienne des Pyrénées-Atlantiques (Afraht 64), amie de la Tunisie. Nourhène, étudiante originaire de Sidi Bouzid, en avait ainsi tiré profit : «J’ai suivi un parcours scientifique que j’ai entamé par un cycle préparatoire à l’Institut supérieur de Chott Mariem à Sousse, en vue d’intégrer une école d’ingénieurs. J’ai ensuite obtenu, en 2017, mon diplôme d’ingénieur en géosciences à la faculté des Sciences de Tunis. Passionnée par la chimie analytique appliquée à l’environnement, j’ai continué mes recherches en doctorat entre l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (France) et l’Université de Tunis El Manar, co-encadrées par mes deux professeurs Olivier Donard et Radhia Souissi, respectivement directeur de recherche émérite au Cnrs et cheffe du laboratoire LMU à l’Inrap».
Terres rares, un potentiel stratégique
Sa thèse, poursuit-elle, porte sur la caractérisation multi-élémentaire, isotopique et de spéciation solide de métaux critiques, en particulier les terres rares, dans le bassin phosphatier de Gafsa et leur transfert jusqu’aux sédiments marins du golfe de Gabès, où sont déversés les résidus de phosphogypse. Ces terres rares, comme elle l’a, d’ailleurs, montré, sont un potentiel stratégique pour l’économie, d’où leur valorisation et leur réutilisation revêtent une dimension écologique. «Ce travail s’appuie sur des techniques analytiques de pointe (ICP-MS, MC-ICP-MS, spectroscopie Xanes au synchrotron) et vise à mieux comprendre l’impact environnemental de l’industrie phosphatière, tout en ouvrant des perspectives pour la valorisation durable de ces ressources», argue-t-elle.
Aussi, cette conclusion théorique aura-t-elle à boucler la boucle et mettre fin à la polémique longtemps provoquée autour d’un sujet aussi controversé que le phosphogypse, de par ses effets néfastes visiblement constatés. Prenons le cas de Gabès, comment convaincre ses écolos et ses habitants de l’efficacité de ce sous-produit qu’ils jugent toxique et nuisible à la santé et à leur environnement immédiat ? Et ils ont toujours agi contre, du fait qu’il présente des éléments toxiques comme le cadmium. «Mais, des recherches récentes, dont celles menées dans le cadre de ma thèse, montrent qu’il peut être valorisé comme coproduit, notamment pour récupérer des terres rares, des métaux stratégiques ou pour des usages dans le bâtiment et l’agriculture. Pour cela, il faut bien caractériser sa composition, traiter les éléments nuisibles, et encadrer strictement son usage», rassure Nourhène, soulignant que cela passe par une communication transparente, l’implication des citoyens dans les projets de valorisation et la preuve par des projets pilotes sûrs. A l’en croire, l’objectif est de transformer un résidu industriel en ressource, dans une démarche productive écoresponsable.
Par ailleurs, enchaîne-t-elle, le reclassement du phosphogypse en déchet non dangereux repose sur des avancées scientifiques récentes dans la compréhension de sa composition et de sa gestion. «Longtemps considéré comme risqué à cause de certains éléments toxiques, le PG a été mieux caractérisé grâce à des analyses poussées montrant que, dans de nombreuses conditions, sa dangerosité est faible ou maîtrisable», affirme Dr Omri. Alors, qu’y a-t-il de nouveau pour avoir changé d’opinion à cet égard? Cette volte-face s’explique par des tendances écologiques internationales, s’agissant de la valorisation du phosphogypse et sa réutilisation dans le bâtiment et les travaux publics, les infrastructures routières et l’agriculture, avec un encadrement rigoureux. «Les nouvelles technologies d’analyse et de traitement, comme celles utilisées dans ma thèse, permettent d’identifier et de réduire les risques liés aux contaminants. Le tout puise dans une vision stratégique nationale, celle de développer une économie circulaire autour du phosphate, en réduisant les déchets, en valorisant les coproduits et en répondant aux enjeux écologiques et économiques du pays», ainsi prouve la jeune chercheuse.
Double enjeu !
De ce fait, la perspective qui se dessine est double : valoriser ces résidus, c’est alléger la pression sur le littoral de Gabès et créer en Tunisie une filière stratégique capable de diversifier l’approvisionnement mondial et de placer le pays comme acteur clé de la transition énergétique. «Transformer une telle contrainte environnementale en ressource d’avenir, c’est tout le cœur de ce projet», résume Dr Omri. Comment le traduire dans les faits, étant donné que tout projet de recherche n’aura pas de sens s’il n’est pas mis au service du développement national ? «Concrètement, mon travail permet d’identifier les métaux stratégiques, comme les terres rares, depuis leur origine dans les phosphates jusqu’à leur dispersion dans l’environnement marin, en passant par le phosphogypse. Il s’agit aussi d’évaluer la faisabilité de leur récupération, en analysant leur comportement chimique et leur spéciation», schématise-t-elle. Ses recherches serviraient à guider nos décideurs et industriels dans la mise en place de projets pilotes ou de filières de valorisation conformes aux normes environnementales.
Cependant, il y a un hic : la Tunisie n’arrive pas encore à exploiter ces terres rares dont le potentiel est si riche et important. «Ma thèse s’inscrit justement dans cette démarche exploratoire. En ce sens, mon travail prépare le terrain pour de futures initiatives industrielles. Il permet d’identifier les gisements secondaires, d’évaluer leur valeur ajoutée stratégique et de réfléchir à des solutions de valorisation durable, adaptées au contexte tunisien», précise notre interlocutrice.
Et pour finir, Dr Nourhène Omri s’est dite convaincue que sa thèse de recherche aura à renverser la vapeur et orienter, de la sorte, les choix d’investissement vers une économie circulaire, où les déchets deviennent des ressources, en s’appuyant sur des résultats rigoureux et des démarches responsables. En Tunisie, la valorisation des terres rares demeure une opportunité manquée qui aurait pu nous apporter des avantages financiers et professionnels. Sous d’autres cieux, cette activité marche à merveille. Dans ce domaine, la Chine impose sa loi, exposant ainsi l’Europe et de nombreuses régions du monde à un risque géopolitique majeur.