IA et économie informelle, un même combat ?
L’intelligence artificielle et l’économie informelle, deux mondes que tout oppose ? Pas si sûr. L’une comme l’autre fonctionnent souvent en marge des règles, contournent les institutions et créent de la valeur dans l’ombre. Un même combat, face à un monde économique de plus en plus chaotique. Voyons cela de plus près !
À première vue, tout semble opposer l’économie de l’intelligence artificielle – pilotée par les géants technologiques, structurée par des algorithmes complexes et façonnée par des milliards de dollars d’investissements – au secteur informel, souvent perçu comme marginal, non régulé, et éloigné des centres de pouvoir économique. Pourtant, à y regarder de plus près, des similarités étonnantes apparaissent. Et elles s’articulent autour d’un mot-clé qui dérange : l’absence de traçabilité.
Deux mondes, un même brouillard financier ?
L’économie informelle, présente partout, du vendeur de rue aux plateformes d’ubérisation sauvage, fonctionne fréquemment en dehors des circuits bancaires, fiscaux et juridiques classiques. Les flux d’argent y sont non déclarés, fluctuants, difficilement mesurables. Ce manque de transparence représente un défi majeur pour les autorités monétaires et fiscales, qui peinent à y imposer des normes.
L’économie de l’IA, bien qu’à l’opposé dans ses moyens techniques, reproduit certains de ces traits. Non pas dans sa vitrine visible, celle des interfaces raffinées, des chatbots performants ou des assistants vocaux intégrés, mais dans ses couches profondes : les cryptomonnaies, les plateformes décentralisées, les modèles en open source utilisés sans contrôle, les transferts de données massifs, globalisés, souvent non régulés.
Derrière les lignes de code, se dissimule une économie difficile à suivre, difficile à fiscaliser et parfois difficile à comprendre.
Une valeur créée hors des radars
Dans ces deux mondes, la valeur économique naît souvent sans passer par les canaux institutionnels. Une vidéo générée par IA, monétisée via une plateforme qui échappe à la régulation locale, un NFT vendu sur une blockchain anonyme, du microtravail effectué via une marketplace étrangère : autant d’activités qui produisent de la richesse tout en échappant aux radars des autorités.
Là encore, le parallèle avec l’économie informelle est saisissant : une économie parallèle, qui oscille entre légalité, opacité et innovation sauvage.
Une logique de débrouille… à grande échelle
L’économie informelle repose sur une logique de survie : créer de la valeur malgré l’exclusion des systèmes économiques dominants. C’est une réponse pragmatique à la précarité. L’économie de l’IA, elle, active une logique parfois comparable, mais sur un mode plus stratégique : détourner les règles, contourner les institutions, exploiter les zones grises pour générer du profit.
Créateurs de contenu génératif, codeurs de bots, spéculateurs sur les tokens IA ou micro-prestataires de services algorithmiques : tous participent à une économie de la débrouille mondialisée, désormais amplifiée par la puissance computationnelle.
Concentration contre dispersion
Une différence majeure demeure : l’économie de l’IA est hyperconcentrée, alors que l’économie informelle est par essence dispersée. Quelques acteurs, à l’instar d’OpenAI, Google, Meta, Microsoft détiennent les clés de l’écosystème : serveurs, données, modèles, interfaces. Tout le reste gravite autour, dans un modèle de dépendance asymétrique qui rappelle le fonctionnement informel des petits vendeurs sous contrôle de grossistes ou de réseaux locaux.
Là encore, une stratification économique apparaît : les puissants définissent les règles du jeu, les autres improvisent pour survivre.
Une fiscalité à la peine
Comme dans le secteur informel, la fiscalité est en souffrance. Les États sont démunis face à des activités transfrontalières, désintermédiées, où la valeur se crée dans les interstices des systèmes existants. Le résultat est double : un manque à gagner fiscal considérable et un sentiment d’injustice croissante pour ceux qui, dans l’économie classique, n’ont pas d’autre choix que de se soumettre à l’impôt.
Vers une économie hybride, mais instable ?
L’hybridation entre IA et économie informelle dessine les contours d’un nouveau paradigme : une économie partiellement centralisée, massivement automatisée, profondément connectée, mais déconnectée des structures classiques. Une économie qui valorise la fluidité plus que la solidité, l’expérimentation plus que la régulation.
Ce système soulève alors des questions fondamentales :
Comment assurer une redistribution équitable ?
- Qui détient le contrôle des infrastructures ?
- Quel modèle de gouvernance peut encadrer des flux économiques sans frontières ?
- Faut-il réguler ou laisser faire, au risque d’amplifier les fractures ?
Une rupture dans un monde chaotique
L’économie de l’intelligence artificielle, en apparence futuriste et technologique, reproduit en réalité certaines logiques anciennes de contournement, d’opacité et d’asymétrie, typiques de l’économie informelle. Mais ce qui rend cette convergence particulièrement inquiétante, c’est qu’elle se produit dans un monde déjà plongé dans une forme de chaos systémique : instabilité climatique, fragmentation géopolitique, dérèglement des marchés, perte de confiance dans les institutions.
Dès lors, l’économie de l’IA et celle informelle n’incarnent pas seulement une évolution parallèle, mais une rupture profonde avec les fondements de l’économie classique : transparence, régulation, redistribution, rationalité. Elles marquent l’entrée dans une économie post-régulatoire, fragmentée, fluide et insaisissable, reflet d’un monde qui obéit de moins en moins aux lois linéaires de l’économie, et de plus en plus à la théorie du chaos.
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Mahjoub Lotfi Belhedi
Chercheur en réflexion stratégique optimisée IA // Data Scientist & Aiguilleur d’IA
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