La confĂ©rence tenue Ă la Galerie Musk and Amber Lac 1 Ă lâinitiative du Lyceum Club de Carthage est venue de lâidĂ©e de crĂ©er un musĂ©e national du parfum Ă la MĂ©dina de Tunis.
Madame Sonia Ben Mârad et Madame Samia Ben Romdhane, respectivement vice-prĂ©sidente et prĂ©sidente du Lyceum Club de Carthage, en partenariat avec lâAssociation tunisienne des monuments et sites prĂ©sidĂ©e par le Pr Abdelaziz Daoulatli, pour une collaboration en vue de la crĂ©ation de ce musĂ©e.
Le Lyceum Club de Carthage recevait Ă cette occasion Madame Juliette Dubois, cĂ©lĂšbre entrepreneur internationale en Parfumerie, basĂ©e Ă Cannes en France, PropriĂ©taire des Parfums Juliette Dubois, mĂ©cĂšne en parfumerie qui souhaitait soutenir la crĂ©ation dâun musĂ©e du parfum Ă Tunis
Mme Juliette Dubois a dâailleurs effectuĂ© une visite au Souk el Attarine oĂč elle a eu lâoccasion de voir Ă lâĆuvre les spĂ©cialistes en la matiĂšre. Elle a manifestĂ© son intĂ©rĂȘt pour un certains nombre dâherbes et produits du terroir tunisien quâelle se propose dâintroduire dans ses futurs produits, Ă lâimage de ce que fait Thierry Wasser, maĂźtre parfumeur et directeur de la crĂ©ation des parfums de la maison Guerlain depuis mai 2008, qui sâapprovisionne en essence de nĂ©roli en Tunisie, plus exactement Nabeul et ses environs.
Le mot parfum, nous dit-on, vient du latin « per » qui signifie « complet » et «fumus» qui signifie « fumĂ©e ». Le nom de « parfum » a Ă©tĂ© donnĂ© Ă la premiĂšre forme de parfum quâĂ©tait lâencens, conçu pour la premiĂšre fois par les mĂ©sopotamiens il y a environ 4.000 ans.
Le musc en Islam a une connotation trĂšs symbolique. Le ProphĂšte avait dit que âle meilleur parfum est le muscâ (rapportĂ© par Al-BoukhĂąri).
La tradition de crĂ©ation de parfums complexes et durables remonte Ă lâĂgypte ancienne. La parfumerie a prospĂ©rĂ© dans la pĂ©ninsule arabique.
Une longue histoire
Mais, « la Tunisie a une longue histoire avec cette industrie du bonheur, qui intĂ©resse aussi bien les femmes que les hommes », rappelle Dr ChĂ©dlia Leila Ben Youssef prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© tunisienne dâhistoire de la mĂ©decine et de la Pharmacie.
« La parfumerie en Tunisie de lâAntiquitĂ© Ă Souk al Attarine une tradition ». CâĂ©tait justement le thĂšme choisi pour donner une idĂ©e de ce que reprĂ©sente ce crĂ©neau dont lâimportance nâĂ©chappe Ă personne.
La premiĂšre question quâon se pose est bien comment faire un âŠ.parfum ?
« Il faut des essences de plantes aromatiques, fleurs, feuilles, racines, Ă©corces, mais Ă©galement des matiĂšres animales odorantes et de lâalcool », rĂ©pond-elle.
Une tradition antique
« La parfumerie en Tunisie, poursuit-elle, est une tradition antique. Lâindustrie des plantes Ă parfum remonte Ă lâantiquitĂ©. Lâhomme dotĂ© dâun odorat sensible, a rapidement appris Ă apprĂ©cier les bonnes odeurs et, Ă chercher Ă les capter, les conserver, Ă les restituer en les conservant dans de petits flacons hermĂ©tiques. Câest un luxe, une industrie du bonheur et du bien-ĂȘtre. Un plaisir trĂšs onĂ©reux et trĂšs ancien.
Les parfums sont lâobjet dâun luxe le plus inutile de tous Ils sont parfaits, quand, une femme passant, lâodeur quâelle rĂ©pand attire mĂȘme ceux qui sont occupĂ©s, les parfums exaltent immĂ©diatement lâodeur et ne peuvent se transmettre en hĂ©ritage.
Au 6e siÚcle av. J.-C. , Carthage fournissait des parfums en fioles à toute la Méditerranée.
Nous retrouvons au musée du Bardo, de petites amphores puniques en pùte de verre polychrome pour les huiles parfumées.
Le traitement des fleurs relevait dâune tradition de la Carthage punique qui a perdurĂ© jusquâĂ la Tunisie moderne.
Les flacons Ă parfum puniques, en terre cuite ou en verre, servaient de rĂ©cipients pour les macĂ©rats huileux Ă base dâhuile dâolive.
On les retrouve sur les stĂšles du tophet de SalammbĂŽ.
A lâorigine des premiers parfums sont des macĂ©ras huileux : lâhuile dâolive est lâexcipient de rĂ©fĂ©rence».
Parmi les plantes aromatiques, nous distinguons la rose de Carthage et de CyrĂšne, la violette, le narcisse, lâiris (racine), le jasmin, le coing.
Le nĂ©roli fleurs dâoranger, bigarade est beaucoup plus rĂ©cent, Xe s).
La rose de Carthage
« On connaĂźt les roses de Kairouan, celle de lâAriana, mais la rose de Carthage est beaucoup plus ancienne et de nombreuses mosaĂŻques romaines sont dĂ©corĂ©es de cette fleur. La rose et lâhuile dâolive Ă©tait une tradition Ă Carthage. Les mosaĂŻques avec la dĂ©esse Africa coiffĂ©e dâune peau dâĂ©lĂ©phant entourĂ©e de roses en boutons, en tĂ©moignent. .
Celle des thermes de Sidi Ghrib Massicault à Borj Amri représente des verseuses de roses dans une roseraie, mosaïque de Tunisie Sidi Ghrib, musée de Carthage, Ve siÚcle.
Câest le magnifique dĂ©cor dâun frigidarium qui confirme dâune culture des roses dans les environs de lâAriana antique. Il sâagit probablement dâune halte dâun relais de chasse, oĂč a Ă©tĂ© Ă©difiĂ© un hammam antique luxueux pour le plaisir des sens, la rose y est omniprĂ©sente.
Magon, lâagronome carthaginois du 4 e s. av. J.-C. nous a laissĂ© une recette vĂ©tĂ©rinaire pour soigner lâasthme des chevaux qui comprend de lâhuile de roses.
Les roses de Carthage sont donc trÚs anciennes. « Elles ont plus de 2.500 ans.
Il y a 4 siĂšcles, les fĂȘtes du 1er Mai Ă©taient encore fĂȘtĂ©es Ă Tunis, aprĂšs Ibn Abi Dinar, elles furent abolies par Ostad-Mourad puis Ahmed Khouja en 1640.
Elles se dĂ©roulaient hors des portes de la ville dans un lieu quâon appelle El Ouardia. Les Ă©poques ont changĂ©, le lieu a survĂ©cu.
On y vendait des fruits et des fleurs pour parer les maisons et chaque annĂ©e les Tunisois sây rĂ©unissaient hors des murs de la ville lâaprĂšs-midi pour y faire la fĂȘte. Lâorigine de la fĂȘte de Mai remonterait Ă lâĂ©poque pharaonique (victoire de MoĂŻse sur le Pharaon) ou encore se confondait avec le Neirouz des Persans. Toujours est-il que son emblĂšme est en Tunisie la Rose et que pendant des siĂšcles de lâĂ©poque punique jusquâaux Ottomans (qui lâont interdite ».
Les substances aromatiques
Au IVe siĂšcle ap. J.-C. Vindicianus afer (copiĂ© par Marcellus de Bordeaux), mĂ©decin en chef Ă Carthage oĂč il enseigne, cite les plantes qui nous viennent du Levant:
« Les vertus des substances aromatiques qui nous viennent du levant, enfermées dans des boites, exhalent une odeur suave »
« Enfin ce livre vous fera connaĂźtre les diverses productions que recueillent les habitants de lâArabie, de la Perse, de la riche Saba, et des autres contrĂ©es qui voient naĂźtre le soleil et la lumiĂšre. Il y a aussi les plantes prĂ©cieuses, qui venaient des rĂ©gions arrosĂ©es par des sources inconnues du Nil, en feuilles rameaux, pellicules, Ă©corces , tiges et les parfums de lâIdumĂ©e (royaume dâEdom) que Carthage (Capoue) voit arriver dans ses marchĂ©s, et tout ce que le commerce apportait sur les navires Ă©gyptiens pour le mettre Ă la disposition des mĂ©decins . »
Vindicianus afer, gouverneur de Carthage, proconsul dâAfrique, dĂ©crit les merveilles qui dĂ©barquent au port de Carthage et le commerce des parfums et plantes mĂ©dicinales Ă Carthage au 4e siĂšcle ».
Abou Jaâfar Ahmed Ibn al Jazzar
« 895-979 Xe siĂšcle, de lâEcole de Kairouan rĂ©dige Le TraitĂ© des Parfums et des Essences.
Dans les matiĂšres premiĂšres dâIbn al Jazzar, on trouve les plantes aromatiques locales et les bois prĂ©cieux de lâOrient. La rose est la reine incontestĂ©e, le jasmin, lâĂ©glantier, la violette et le narcisse, la rose, la matricaire Ibn el Jazzar avait des prĂ©parations en parfumerie, les parfums Abirs, les poudres parfumĂ©es, les Ghalias (parfums chauds), les macĂ©rats huileux, les encens, les lakhlakhas : laits parfumĂ©s pour le corps dâaprĂšs Le livre de la beautĂ© et du plaisir de Platon, les khalouqs, les parfums solides. les parfums de linge, les UchnĂšnes ou poudres odorantes, les masouhs ou huiles de massage parfumĂ©es ».
Souk el Attarine
Le Souk des parfumeurs, date du royaume hafside, construit par Abou Zakaria el Hafsi vers 1240, prĂšs de la MosquĂ©e Zitouna. On y vend des parfums prĂ©cieux mais aussi de lâencens, des bougies, des poudres, des fards, du khĂŽl, du hennĂ©, des onguents, des savons, des racines de souak, ainsi que tous les produits de luxe, de beautĂ© et dâhygiĂšne du corps et de voluptĂ©.
Un des plus anciens souks de Tunis Ă part Souk el Blat.
Câest un souk luxueux. Les devantures ainsi que les Ă©tagĂšres et les comptoirs des magasins sont rĂ©alisĂ©s en bois sculptĂ© et dĂ©corĂ© de peintures florales.
« Souk el Attarine fournissait les cours royales europĂ©ennes en parfums et en cosmĂ©tiques, comme le maĂźtre parfumeur « lâAmine » de sa corporation, Hamadi Smida (dĂ©cĂ©dĂ© en 1944) fournisseur de Sa MajestĂ© la Reine de Hollande, Wilhelmina puis Juliana des Pays-Bas. Le consulat de Hollande Ă Tunis Ă©tait dans la MĂ©dina entre la rue Zarkoun et la rue de lâancienne douane depuis 1662.
Souk el blat (blat du nom des pavĂ©s de la rue) souk des herboristes, Ă©tait la rue des herboristes qui remonte Ă lâĂ©poque des Zirides et des Sanhajas mais sans doute bien avant !
Non loin de Bab Bhar, à la limite des portes de la ville, et du port marchand, on y trouve des boutiques qui ont souvent plus de 1000 ans ».
Retour aux sources
Ce souk sert au ravitaillement de la pharmacie en diverses drogues, issues des trois rÚgnes (végétal, animal, minéral).
On y vend, jusquâĂ ce jour, toute la pharmacopĂ©e traditionnelle locale et importĂ©e.
El Attarine a Ă©tĂ© et demeure une source dâinspiration pour lâOccident.
« Pour la Tunisie moderne, câest un problĂšme de retour aux sources de la connaissance. Il nâen demeure pas moins que les pĂąles copies chimiques font de la rĂ©sistance, face Ă un marchĂ© occidental des senteurs toujours trĂšs onĂ©reux.
Seuls les flacons, lâart et la maniĂšre tĂ©moignent dâun savoir vivre ancestral. Les flacons Ă parfum artisanaux en verre soufflĂ© pour les huiles essentielles et les parfums sont toujours là ».
Passionnant !