Séance unique en Tunisie : faut-il en finir ?
Entre contraintes climatiques, surcharge saisonnière et attentes citoyennes, le modèle tunisien de la séance unique soulève de nombreuses interrogations sur sa pertinence et son efficacité.
Comme chaque année, les établissements et institutions publiques tunisiennes entament leur passage au système de la séance unique, appliqué du 1er juillet au 31 août. Ce dispositif, bien que traditionnel, suscite de plus en plus de questionnements quant à sa pertinence dans un contexte marqué par la digitalisation lente, les attentes croissantes des usagers et la nécessité d’optimiser les services publics.
Un héritage historique encore bien ancré
Le système de la séance unique n’est pas nouveau en Tunisie. Son origine remonte à 1921, à une époque où les conditions climatiques et l’absence de climatisation rendaient difficile le travail l’après-midi. “Ce choix était à l’origine dicté par la réalité climatique. Il s’agissait d’un ajustement logique au contexte de l’époque”, explique Charfeddine Yaakoubi, spécialiste des politiques publiques, lors de son passage ce mardi sur les ondes d’Express FM.
Mais aujourd’hui, alors que les conditions de travail ont évolué, que la technologie permet une plus grande flexibilité, et que les besoins des citoyens se sont diversifiés, la reconduction annuelle de ce modèle pose question.
En effet, les défenseurs du système de la séance unique avancent plusieurs arguments : économie d’énergie, allègement du trafic urbain et amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Et dans plusieurs pays du Golfe confrontés à des températures extrêmes, ce système est appliqué tout au long de l’année, souvent de 7h30 à 15h.
Cependant, en Tunisie, son application saisonnière génère des effets secondaires indésirables. La réduction du nombre d’heures de travail – souvent limitées à 6 heures et demie par jour – coïncide avec une période où la demande en services administratifs augmente, notamment de la part des Tunisiens résidant à l’étranger. Résultat : files d’attente, saturation des guichets, frustration des usagers.
Un décalage pénalisant entre secteur public et privé
Un autre problème soulevé par Yaakoubi concerne le décalage entre les horaires de l’administration publique et ceux du secteur privé et des banques. “Lorsque les services ferment à 12h30, cela ne laisse pas la possibilité à un salarié du secteur privé d’y accéder pendant ses horaires de travail. Cela crée une rupture dans le service public”, observe-t-il.
Le manque de flexibilité des horaires administratifs, combiné aux absences liées aux congés estivaux, accentue le sentiment d’inefficacité dans les services publics. De nombreux citoyens, confrontés à une concentration des démarches sur une courte période de la journée, dénoncent un service saturé, lent et bureaucratique.
Par ailleurs, au-delà des constats, l’absence d’études d’impact précises rend difficile toute prise de décision éclairée. “Nous n’avons pas de véritables indicateurs permettant de mesurer l’efficacité de ce système. Ni en termes de rendement, ni en termes de satisfaction des usagers”, déplore Yaakoubi.
Le retard de la numérisation aggrave encore la situation. Un rapport récent indique que sur 3 200 procédures administratives en Tunisie, seules 120 sont entièrement digitalisées. “Une administration moderne ne peut pas continuer à fonctionner sans numérisation complète, ni évaluation rigoureuse. La digitalisation permettrait un accès 24h/24 à plusieurs services, sans besoin d’augmenter le nombre d’agents ou d’heures de présence”, affirme-t-il.
Vers une réforme différenciée ?
Plutôt que d’imposer un modèle unique, Yaakoubi plaide pour une approche souple, adaptée aux réalités de chaque service. “Pourquoi ne pas ouvrir certaines administrations à la journée complète, avec des équipes en rotation, selon la demande réelle ?”, propose-t-il. Il appelle en outre à une refonte du système d’organisation du travail dans le service public, pour qu’il réponde davantage aux attentes des citoyens, sans compromettre la qualité du service.
Ceci pour dire que la séance unique, bien qu’elle repose sur des considérations historiques et climatiques légitimes, mérite aujourd’hui une réévaluation complète. Dans un contexte où la performance de l’administration devient un levier essentiel d’attractivité et de confiance, la Tunisie ne peut plus se permettre de fonctionner sans données, sans flexibilité, et sans vision.