Edito: Sursaut
Le projet de loi de finances 2025 accapare tout l’espace public avant même qu’il ne soit présenté officiellement. A croire que les mauvaises habitudes ont la vie dure. Et pour cause : le budget économique ainsi que celui de l’Etat vont être tout à fait occultés, ils passent au second plan, alors qu’ils devraient être au cœur de nos préoccupations. Car, c’est pour nous l’occasion de savoir, à la veille de chaque nouvelle année, d’où l’on vient et où on se dirige, en mettant en avant les points d’appui et les leviers qui vont soulever la croissance, accélérer le processus de création de richesse, d’emploi et de redistribution.
En la matière, le pays doit afficher clairement ses préférences nationales de structure productive, son ambition industrielle qui s’inscrit dans un vaste dessein national, réaffirmer sa volonté et sa détermination d’aller jusqu’au bout de l’effort, de reculer sans cesse la frontière technologique et de desserrer les contraintes financières. D’un mot, il doit faire la démonstration de sa capacité d’aller au-delà même de notre croissance potentielle du temps où elle était à son plus haut niveau.
Le budget économique a cette vertu d’en évaluer le coût, de fixer les mécanismes et les modalités de financement. Ce qui, d’une certaine manière, justifie, légitime et crédibilise le projet de loi de finances conçu à cet effet. Autrement, celle-ci ne serait, au mieux, qu’un catalogue à la Prévert de mesures fiscales qui pourraient, si on n’y prend garde, aller à l’encontre des objectifs de développement. Glisser dans ce travers pourrait être perçu comme le signe d’un certain désarroi lié au fait qu’il faut parer au plus pressé, colmater les failles d’un déficit abyssal dont se seraient rendus coupables les différents gouvernements post-révolution et plus encore ceux de la première décennie écoulée.
Le budget de l’Etat, au regard de son architecture globale, de la trajectoire qu’il dessine, des projets qu’il mentionne, des enjeux qu’il évoque et des défis qu’il affronte, donne tout son sens – la loi de finances n’en est que l’aspect financier – à l’autre face de la même médaille.
Le budget de l’Etat, au regard de son architecture globale, de la trajectoire qu’il dessine, des projets qu’il mentionne, des enjeux qu’il évoque et des défis qu’il affronte, donne tout son sens – la loi de finances n’en est que l’aspect financier – à l’autre face de la même médaille. Il faut, pour sonner le réveil, de grandes idées, un grand dessein national, la ferme volonté de rattraper le groupe de tête des pays émergents qui nous ont outrageusement largués auprès des pays à risque.
L’exécutif doit galvaniser les esprits, mobiliser toutes les énergies, faire décupler nos aptitudes entrepreneuriales, briser le cercle vicieux de la récession et sortir le pays de l’ornière. La puissance publique doit développer toute une pédagogie des enjeux et de crise pour susciter un véritable sursaut et un élan national autour d’un projet économique et social rénové, ambitieux et audacieux, qui réenchante le pays et ressuscite le rêve tunisien, réduit à néant à force de déception.
L’ennui est qu’on ne peut vouloir soulever les montagnes, réparer les dégâts subis par l’économie et le pays, rivaliser avec de redoutables compétiteurs et figurer avec éclat dans les écrans radar des grands investisseurs étrangers sans en payer le prix en termes de sacrifice en tout genre. D’expérience, les Tunisiens y consentiront, dès lors qu’ils verront les premiers signes de réalisation. Certes, ils attendent tout de l’Etat, mais ils comprennent bien qu’ils ne peuvent tout avoir ici et maintenant.
Un Etat social qui serait la marque de la loi de finances 2025, qui n’y souscrit? L’Etat a vocation à protéger, bien plus d’ailleurs qu’à assister. Mais toute protection sociale et sociétale a un coût. Car on ne peut redistribuer que ce l’on produit dans des conditions de production optimales. Il serait illusoire de se faire à l’idée d’un Etat social sans en avoir les moyens. Sans que la machine économique tourne à plein régime et au maximum de son efficacité.
Un Etat social ne se construit pas à crédit, du reste aujourd’hui problématique. L’équité et la justice sociales prennent leur racine au sein même de l’appareil productif.
Un Etat social ne se construit pas à crédit, du reste aujourd’hui problématique. L’équité et la justice sociales prennent leur racine au sein même de l’appareil productif. La croissance, aussi forte soit-elle, ne peut à elle seule garantir une répartition équitable de la valeur ajoutée. Elle peut même exacerber les écarts en l’absence de mécanismes et de canaux de redistribution. Reste que sans croissance et sans création notable d’emploi, on ne peut répartir que la pauvreté.
Le chômage, en effet, est la principale cause des inégalités et de la fracture sociale. Le problème est qu’il ne faut pas chercher à le gérer socialement, il faut le combattre en créant des emplois hautement productifs et à forte valeur ajoutée.
La fiscalité, aujourd’hui au centre d’une vaste polémique, ne peut opérer en territoire aride, dans un désert industriel. Sauf à enfoncer le dernier clou dans le cercueil de l’appareil productif qui n’est pas drapé du voile de l’informalité. Il est à craindre que le projet de loi de finances 2025 ne soit tombé dans ce travers, en ciblant plus qu’à l’habitude et à la limite du supportable les sociétés financières et les entreprises qui ont encore la tête hors de l’eau.
L’administration fiscale, privée d’espace budgétaire, intensifie ses ponctions et s’ingénue à chercher l’argent, non pas là où il se trouve, notamment dans les méandres de l’économie grise, mais plutôt là où il se déclare de lui-même au risque d’accélérer la mortalité des entreprises et d’aggraver la crise. A croire que le vice l’emporte sur la vertu. On en arrive à cette situation étrange, plus subie que voulue par les autorités : les ponctions de l’Etat augmentent à mesure que diminuent les créations de richesse nationale et d’emplois. D’aucuns diront que ceci explique cela.
Le budget de l’Etat – près de 50% du PIB – plombe la croissance, alors que, fondamentalement, il devrait être le principal instrument de la relance. La raison est que la quasi-totalité du budget sert à financer les dépenses courantes de l’Etat, à rembourser les services d’une montagne de dettes et à subvenir aux besoins de la Caisse générale de compensation – CGC -, jusqu’à la paralysie. Les fonds alloués aux investissements d’avenir de l’Etat, qui ont cette vertu d’amorcer la pompe des investissements privés, sont moitié moins importants que les dépenses de subvention de carburant et de produits de première nécessité. C’est tout dire.
L’Etat doit choisir entre le maintien exorbitant de son train de vie et de dépenses stériles au regard de nos faibles ressources financières et l’avenir des générations futures. A charge pour lui d’engager au plus vite des réformes structurelles, aussi douloureuses soient-elles, pour libérer de nouveaux espaces d’investissement, de production, de redistribution de revenu et de création d’emplois.
La saignée des entreprises sous l’effet d’un énième choc fiscal est à l’opposé d’une véritable politique d’offre, si nécessaire et si utile pour redonner le goût, l’envie et les moyens d’investir. A ceci près qu’elle doit être accompagnée d’une relance budgétaire, fût-ce au prix d’un surcroît de déficit qui se résorbera avec le retour de la croissance.
L’Etat doit choisir entre le maintien exorbitant de son train de vie et de dépenses stériles au regard de nos faibles ressources financières et l’avenir des générations futures. A charge pour lui d’engager au plus vite des réformes structurelles, aussi douloureuses soient-elles, pour libérer de nouveaux espaces d’investissement, de production, de redistribution de revenu et de création d’emplois. Hors de cette voie, point de salut. Il lui faut initier de grands projets structurants en infrastructure, en logistique, dans la recherche, l’enseignement, la santé, les nouvelles technologies pour s’insérer et prendre place de nouveau dans les chaines d’approvisionnement mondiales qui prennent corps en même temps que se dessinent les nouveaux contours d’une mondialisation fragmentée.
Nous devons nous projeter dans le futur avec la manière de pensée et les instruments d’action du monde qui arrive. Plus de 90% du commerce mondial se fait à partir des ports, par voie maritime. L’état peu reluisant de nos infrastructures et installations portuaires doit nous renvoyer à nos propres responsabilités. Le déclin de nos exportations ne relève pas du hasard. Il suffit de regarder autour de nous pour mesurer l’ampleur des pertes économiques et financières encourues, l’étendue du déclassement social, les ondes de choc de la désindustrialisation. Notre décrochage se lit à travers les statistiques et les divers classements mondiaux.
Nous sommes tombés assez bas pour ne pas réagir au plus vite. En économie, il n’y a rien qui soit irrémédiable. Les fins de cycles sont toujours suivies de nouveaux départs. Par chance, le pays a suffisamment de compétences, de talents, de génie, d’intelligence collective, de patriotisme économique, une large expérience en matière de développement et un énorme désir d’avenir pour rebondir aux premiers signes d’apaisement politique et social, de débureaucratisation, de décrue fiscale et de baisse du loyer de l’argent. Il ne faut pas moins que cela pour allumer de nouveau tous les moteurs de la croissance. Et donner plus de chair au projet d’un Etat à forte inclination .
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 906 du 6 au 20 novembre 2024
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