« Métissage inouï » de Jean- Marc Bellenger au Festival international des Francophonies de Sousse: Des univers musicaux qui s’entrelacent
Le festival international «Les Francophonies de Sousse» revient cette année pour sa 7e édition. Une fois encore, les organisateurs promettent un programme inédit. La line-up de cette année inclut un spectacle du pianiste compositeur chevronné Rafik Gharbi, « Cœur de femmes », pour l’inauguration.
La soirée de clôture, le 10 novembre, sera assurée par Jean-Marc Bellenger, en partenariat avec l’Institut français de Sousse, sous le thème du «Métissage Inouï».
Guitariste-chanteur et auteur-compositeur, Jean-Marc Bellenger est principalement enseignant et chercheur dans le domaine du brassage des cultures musicales. Il nous a accordé cet entretien pour nous expliquer davantage comment s’opère l’illustration sonore de cet acheminement de la diversité à la fusion.
Est-ce que vous pouvez nous donner un aperçu de votre parcours et de votre formation artistique ?
J’ai fait ma formation musicale en France où j’ai entamé ma carrière professionnelle. J’ai commencé à jouer à la guitare d’une manière autodidacte depuis mon enfance puis j’ai pris quelques cours. Au début, je me suis initié à la musique d’une manière générale, mais je maîtrisais plus particulièrement la musique occidentale. Puis, à travers de nombreux voyages en Orient, en Tunisie et au Maroc, j’ai commencé à m’intéresser progressivement à la musique orientale et tunisienne et j’ai même appris le oud avec différents profs ici en Tunisie. Actuellement, je réside en Tunisie, et ce, depuis 2016. Je suis marié avec une Tunisienne et installé à Sousse. Je collabore de manière continue avec l’Institut de musique de Sousse. J’ai aussi travaillé sur un projet d’opéra avec Samir Ferjani. J’ai également contribué à des programmes musicaux de la British Council. Je me produis pour la troisième fois au Festival des francophonies sur invitation de Samir Hochlef, directeur et tête pensante de cet évènement annuel.
Comment pouvez-vous nous définir votre style musical basé sur le métissage ?
J’ai commencé un processus de recherche universitaire sur les conditions d’un métissage éthique bien fait, qui respecte les traditions musicales. C’est dans le cadre de cette recherche doctorale que j’ai mené des opérations d’échange entre étudiants. Je faisais venir des étudiants français en Tunisie pour des initiations et des échanges. J’ai aussi ramené des étudiants de Sousse au conservatoire de Jazz de Tourcoing pour favoriser cette communication d’informations et interpénétrer les domaines musicaux différents. J’étais convaincu depuis que je suis arrivé en Tunisie, ou même encore avant, que le jazz était la bonne ficelle à tirer pour un métissage intéressant, plus même que la musique classique que j’ai étudiée en profondeur. C’est le jazz qui est le bon vecteur pour faire quelque chose de neuf reposant sur du métissage, sur la fusion entre les musiques orientales et les musiques occidentales. Je suis toujours sur cette conviction et j’y travaille régulièrement avec les étudiants pour des projets dont celui que nous allons proposer ce dimanche à Sousse au Festival des Francophonies. Avant «Métissage inouï», il y avait des projets avec les étudiants mais qui allaient moins loin. On faisait des chansons françaises avec un orchestre arabe. Le oud, le qanoun et le ney. J’avais cette originalité de faire des chansons françaises avec un arrangement oriental. Ce spectacle a été présenté à El Jem en 2023 puis nous y avons apporté des modifications.
Quelles sont les nouveautés que le public pourra découvrir dans «Métissage inouï » ?
Dans ce spectacle, on fait des morceaux musicaux avec lesquels une chanson française de Piaf, par exemple, ou d’Aznavour commence comme on la reconnaît d’habitude. Puis, au bout d’un refrain, une chanson arabe fait son entrée à l’intérieur pour une minute ou deux et on revient ensuite à la chanson française. C’est un voyage d’un univers à un autre à travers un seul morceau qui dure 5 ou 6 minutes. Il y aura des titres de Feyrouz, Oum Kolthoum, Hedi Jouini, Saliha. Une douzaine de morceaux hybrides. Il y a aussi deux chansons espagnoles célébrissimes auxquelles on a rajouté des notes arabes.
Je suis guitariste-chanteur. J’assure la direction musicale pour les parties occidentales concernant Aznavour, Brassens, Jacques Brel… Je joue aussi à la guitare et à l’harmonica.
Je serai accompagné par un oudiste-chanteur professionnel diplômé de l’Institut de musique de Sousse qui assure les parties vocales arabes. Il y aura également deux chanteuses qui excellent aussi bien en chansons orientales qu’occidentales, ce qui est fascinant. Le répertoire français est volontairement basé sur des titres solides connus internationalement.
La formule fonctionne mieux, à mon avis, parce que ce sont de grands standards. C’est impressionnant de voir comment les instrumentistes arrivent à maîtriser ces différents répertoires et le passage musical d’un univers à l’autre. Les Tunisiens ont un excellent niveau musical et une bonne mentalité. Avec quelques perfectionnements, il vont cartonner au plus haut niveau. Je suis sûr que ça va venir.
Quand on parle de ce genre de brassage, on y ajoute souvent l’adjectif «audacieux». Est-ce que vous pensez que tout métissage musical est vraiment une aventure «audacieuse» ?
Ce que j’ai constaté d’après mes recherches, c’est que même si le son est radicalement différent, ce qui est clair, entre la musique occidentale et la musique traditionnelle orientale, la démarche compositionnelle, la façon de faire et de penser est presque la même. En mettant les notes, les unes après les autres, en trouvant la bonne gestion des paroles par rapport aux notes, il y a beaucoup de points communs. Si ça sonne au final vraiment différent parce que ce sont quand même des cultures différentes, il y a des liens forts.
Le jazz et la pop sont fortement basés sur l’improvisation et sur l’expression individuelle. Le chant arabe a aussi cette notion d’improvisation. On ne cherche pas forcément la perfection sonore mais plutôt une voie. Le rendu est érayé, cassé, sans polissage. Il est unique, inouï tout simplement. Dans ce sens, je trouve que les liens sont forts, mais, il faut quand même travailler et faire l’effort de trouver les bonnes stratégies et la bonne manière de faire. Il ne s’agit pas de mettre une guitare électrique sur du malouf et l’appeler métissage. Il faut du sérieux pour que le résultat soit valable. Il est aussi important de bien connaître les cultures à mettre l’une en face de l’autre.
Quels sont vos objectifs et vos aspirations pour l’avenir ?
Pour l’instant, nous travaillons principalement sur le Sahel. On aimerait bien se faire entendre à Tunis et dans les autres régions. Nous avons une musique de qualité particulière et unique faite en respectant les différentes cultures. On espère certainement pouvoir partager ce projet avec un public plus large.
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