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Cérémonie d’hommage à l’artiste Hamadi Ben Saâd à La Boite Charguia : In memoriam d’un artiste exceptionnel

04. September 2025 um 17:20

La Boîte-Centre d’art et d’architecture rend hommage à Hammadi Ben Saâd, figure emblématique de la peinture tunisienne, disparu le 25 juillet dernier.Une cérémonie se tiendra mardi 9 septembre à 16h30 à La Boîte Charguia, en présence de sa famille et de ses amis.

La Presse — Des œuvres de « Voyage de l’âme », la dernière exposition de Hamadi Ben Saâd à La Boîte (juin 2022), seront présentées à cette occasion, ainsi que des archives visuelles et ses mémoires sonores captées par Laetitia Kozlova, artiste et chercheuse sur les nouvelles pratiques d’écoute de la voix parlée enregistrée. C’est en autodidacte que Hamadi Ben Saâd a construit une trajectoire artistique exceptionnelle, jalonnée de décennies de création ininterrompue. Né en 1948, à une époque où la scène artistique tunisienne se structurait encore autour des héritages coloniaux et des influences locales, il ne se destinait pas d’emblée à l’art. Pourtant, à seulement dix-huit ans, il s’engage dans un cheminement personnel qui allait le mener à inventer un univers pictural singulier, à la fois intime et profondément ancré dans l’histoire des arts plastiques de Tunisie. Il s’est fait connaître par ses œuvres aux grands formats, voire monumentales car aimant peindre en all over en investissant tout l’espace pour insuffler la vie, entre autres, à ses emblématiques  visages aux regards exorbités et aux bouches béantes, qu’il peignait et enfantait sans relâche.

Dès ses premières expositions, dans la seconde moitié des années 1960, Ben Saâd fut souvent, et à tort, perçu comme un peintre «naïf». Ce malentendu tenait sans doute à la spontanéité de son geste, à la liberté de sa touche, à cette énergie brute qui s’imposait dans ses premières toiles. Mais l’artiste, lui, refusait les étiquettes, préférant se dire plutôt «Artiste vif». Son œuvre ne relevait ni d’une école, ni d’une esthétique figée, elle était en perpétuelle métamorphose, traversant les époques avec la même audace expérimentale. A cette époque, la scène artistique tunisienne traversait une phase de profondes transformations. L’héritage de l’Ecole de Tunis restait encore très présent, façonné par des figures majeures qui continuaient d’imprimer leur marque à travers une peinture de chevalet fidèle au figuratif et à l’ancrage dans le terroir. Pourtant, à la fin des années 1960, un souffle nouveau se lève: une jeune génération d’artistes s’émancipe des cadres établis, explore des voies inédites et remet en question les codes dominants. De nouvelles galeries ouvrent leurs portes, des collectifs indépendants voient le jour, des techniques innovantes apparaissent et des supports jusque-là inhabituels s’imposent dans les ateliers. Hamadi Ben Saâd trouve naturellement sa place dans cette effervescence. Il fréquente les maîtres, s’en inspire parfois, sans jamais s’y fondre, refusant de se laisser enfermer dans une école ou un style. Sa démarche est instinctive, son rapport à la liberté absolu : c’est cette indépendance créative qui deviendra la marque distinctive de son œuvre.

Le rapport de Hamadi Ben Saâd à la couleur, dès le départ, est central. Elle ne se contente pas d’habiller ses formes : elle les structure, les porte, les transcende. Son approche est instinctive, presque musicale, matérialisante avec des traitements en strates où chaque couche correspondait à une somme de gestes précis pour mixer les techniques et aborder une multitude de supports et autres médiums: carton, papier kraft, papier d’emballage, affiches publicitaires, déchets de tissus, peinture, pastel, feutre, graphite… Le papier roulé, plié, tressé ou marouflé était à chaque fois mis à l’épreuve dans un jeu de re-couvrement et de dévoilement avant d’aboutir à une topographie irrégulière, empreinte de tensions entre le visible et le dissimulé. Ben Saâd superpose, lacère, juxtapose, recycle et crée des textures vibrantes qui confèrent à ses toiles une énergie unique. Sa palette se déploie dans de vastes plages chromatiques, oscillant entre le geste spontané et une composition savamment pensée.

Son travail a connu différentes phases avec différentes expériences techniques et des thèmes récurrents. Le figuratif entre 1975 et 1980, les dessins au graphite sur papier d’affiche et journaux de 1978 à 1985, la période des dessins (1980-1990), les collages et autres lacérations dans les années 90, les années 2000 marquées par les visages, les masques et les portraits et depuis 2010 un intérêt pour l’abstrait et les monochromes. Dans ses grands abstraits et autres monochromes, Ben Saâd se plaisait à explorer les possiblités expressives et matérielles du collage.

Dans ses œuvres aux portraits et autres figures humaines (ces dernières sont incarnées dans différents états et positions: désarticulées, accroupies, allongées ou en position fœtale…), chacun des personnages peints vibrait une parcelle de lui-même. Ils étaient ses doubles muets, des âmes offertes, brutes, profondément humaines. A travers sa figuration d’une expressivité saisissante, l’inclassable artiste explorait le visage humain comme un symbole à la fois totémique et profondément émotionnel, donnant naissance à des figures habitées par la douleur, la solitude et un mystère latent A partir des années 1990, son influence dépasse les frontières tunisiennes. Il expose régulièrement en Europe, notamment en France, en Allemagne et en Italie, mais aussi aux États-Unis, où il participe à plusieurs expositions collectives. Son œuvre intrigue, séduit, déconcerte parfois, mais ne laisse jamais indifférent. Pour autant, malgré cette reconnaissance internationale, l’artiste est resté profondément attaché à ses racines. Originaire du Djerid, il revendiquait son appartenance à ce terroir riche en symboles, en lumières et en mémoires. Longtemps installé dans le quartier populaire d’Essayda, il puisait son inspiration dans les ambiances, les couleurs et les matières de son environnement immédiat. C’est ce double ancrage — dans le local et dans l’universel — qui confère à son œuvre toute sa force et sa singularité. Sa vie d’artiste fut également marquée par ses lieux de création. Son premier atelier, à la médersa Achouria, fut un espace d’expérimentation intense. Plus tard, il rejoindra le club Tahar Haddad, qui deviendra son dernier refuge artistique. Même lorsque la maladie et un drame familial viendront bouleverser son quotidien, il ne cessera jamais de peindre, d’inventer, de dialoguer avec la matière et la couleur. Soutenu par des galeristes, collectionneurs et amis fidèles, il continuera à créer, à exposer et à rencontrer son public. Ses derniers rendez-vous artistiques, organisés au club Tahar Haddad furent des moments de résilience autant que de célébration.

Hamadi Ben Saâd a été distingué à plusieurs reprises, notamment par le Grand Prix de la ville de Tunis, et a reçu de nombreuses reconnaissances internationales. Mais au-delà des prix et des hommages, il restera dans la mémoire collective comme un homme libre, un créateur affranchi et un explorateur infatigable des possibles plastiques. Le 25 juillet 2025, il s’éteint à l’âge de 77 ans. Son départ laisse un vide immense, mais son œuvre continue de parler pour lui. Elle témoigne d’une vie entière consacrée à l’expérimentation, à la recherche et à l’amour des formes et des couleurs. Sa pratique du recyclage, son usage virtuose de la matière et son audace chromatique resteront des repères pour les générations futures. Hamadi Ben Saâd n’était pas seulement un peintre: il était un passeur, un inventeur d’espaces visuels, un homme habité par une quête constante de liberté. Et c’est peut-être là son plus grand legs: nous rappeler que l’art n’est jamais figé, qu’il vit, se transforme et se réinvente, comme lui, jusqu’au bout.

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