Tourisme â Pourquoi la Tunisie est-elle dĂ©passĂ©e par les autres destinations mĂ©diterranĂ©ennes ?
Analyse comparative de 8 destinations touristiques mĂ©diterranĂ©ennes, dont la Tunisie, et leurs performances en 2024. Une entrĂ©e en matiĂšre pour rĂ©flĂ©chir sur lâavenir du tourisme en Tunisie, en termes de rentabilitĂ©, par rapport Ă ses concurrents directs qui lâont distancĂ©e depuis 1995, Ă lâinstar du Maroc. Sachant que la rentabilitĂ© du tourisme se mesure aux recettes en devises et non au nombre de visiteurs Ă©trangers.
Habib Glenza

Habib Ammar, candidat de la Tunisie au poste de SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâOrganisation mondiale du tourisme (OMT) pour la pĂ©riode 2026-2029, a mis en garde contre les dĂ©rives du modĂšle touristique actuel, quâil juge non durable et vouĂ© Ă lâĂ©chec Ă long terme.
Dans un entretien accordĂ© Ă lâAgence Tap, Ammar a soulignĂ© «lâimpossibilitĂ© de continuer Ă fonctionner avec un modĂšle qui, sâil perdure, entraĂźnera la disparition du secteur touristique dans 80 ans». «Il est urgent de repenser notre maniĂšre de concevoir le tourisme. Cela ne signifie pas abandonner les formes classiques, mais il faut en parallĂšle dĂ©velopper de nouveaux modĂšles plus durables», a-t-il insistĂ©.
M. Ammar, qui a occupĂ© le poste de ministre du Tourisme en Tunisie de 2020 Ă 2021, sait que, depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, le tourisme tunisien traverse une pĂ©riode dâessoufflement et de crise structurelle provoquĂ©e par lâinadaptation de ses produits aux goĂ»ts changeants des voyageurs, ce qui est pĂ©nalisant face Ă lâexacerbation de la concurrence dans le pourtour mĂ©diterranĂ©en.
La crise du tourisme tunisien a commencĂ© avec dâimportants reculs en 2002, 2011, 2015 et 2016, en relation, notamment, avec les conditions particuliĂšrement difficiles connues par la Tunisie sur les plans sĂ©curitaire et social ainsi quâĂ lâeffondrement en 2020 et 2021 des diffĂ©rents indicateurs du secteur sous lâeffet de la pandĂ©mie de la Covid-19 et des restrictions ayant frappĂ© les dĂ©placements sur le plan mondial qui en ont rĂ©sultĂ©.
MalgrĂ© les efforts dĂ©ployĂ©s en matiĂšre de promotion du produit touristique sur les marchĂ©s Ă©metteurs, la position de la Tunisie dans le bassin mĂ©diterranĂ©en nâa cessĂ© de reculer depuis.
Recul de la Tunisie face Ă ses concurrents directs : le Maroc et la Jordanie
En 1995, les recettes touristiques de la Tunisie dépassaient de 10% celles du Maroc et elles correspondaient au double de celles de la Jordanie.
En 2010, ces recettes représentaient prÚs de deux tiers de celles de la Jordanie, et moins de la moitié de celles du Maroc.
En 2023, lâĂ©cart avec ces deux pays est demeurĂ© important et a mĂȘme continuĂ© de se creuser malgrĂ© la reprise prometteuse enregistrĂ©e, et dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles.
Le niveau des recettes touristiques de la Tunisie reprĂ©sente aujourdâhui moins du quart de celles du Maroc et moins du tiers de celles de la Jordanie
2024 a été une année record pour plusieurs pays touristiques des rives, nord et sud, de la Méditerranée. Parmi ces pays, Malte, la Croatie et la GrÚce se sont particuliÚrement distingués.
Performances des 8 destinations méditerranéennes étudiées en 2024
La prĂ©sente analyse comparative repose sur les donnĂ©es de lâOrganisation mondiale du Tourisme (OMT). Elle nâinclut pas les rĂ©sultats du tourisme en France, en Espagne et en Italie, qui restent nettement intouchables.
Malte est la destination touristique la plus performante en MĂ©diterranĂ©e en 2024: elle accueille 3,56 millions de touristes et rĂ©alise 3,3 milliards dâeuros de recettes (10,3 milliards de dinars tunisiens) pour un pays qui compte moins de 500 000 habitants!
LâOMT rapporte que ce petit pays a enregistrĂ©, en 2024, le taux de croissance le plus Ă©levĂ© des recettes touristiques parmi les destinations du sud de la MĂ©diterranĂ©e, avec une augmentation de 22%.
Le dernier rapport de national des statistiques confirme que lâindustrie touristique maltaise a atteint de nouveaux sommets en 2024, en accueillant un nombre record de 3,56 millions de touristes entrants (tous marchĂ©s confondus). Cette Ă©tape souligne la croissance forte et soutenue du pays dans le paysage touristique mondial.
Les dĂ©penses totales des touristes ont augmentĂ© de 23,1%, passant de 2,7 milliards dâeuros en 2023 Ă 3,3 milliards dâeuros en 2024, avec une dĂ©pense par personne de 924 euros. Cela reflĂšte la capacitĂ© de Malte Ă attirer des visiteurs plus dĂ©pensiers, renforçant le rĂŽle de lâindustrie en tant que moteur Ă©conomique clĂ©.
AprĂšs avoir dĂ©passĂ© les niveaux dâavant la pandĂ©mie en 2023, Malte a maintenu son Ă©lan avec une augmentation de 19,5% des arrivĂ©es en 2024 par rapport Ă lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente (contre 5% pour lâEurope) sâaffirmant ainsi comme lâune des destinations les plus performantes en Europe, devant lâEspagne, le Portugal, Chypre et la Croatie.
LâAlbanie, pays de la taille de la Bretagne française et qui compte 2,5 millions dâhabitants, a accueilli, en 2024, 11,7 millions de touristes et rĂ©alisĂ© 4,7 milliards dâeuros de recettes, contre 2,8 milliards en 2022.
Ce dynamisme reflĂšte le souhait du pays de rattraper son retard aprĂšs 40 ans de dictature et dâatteindre le cap de 20 millions de visiteurs et 18 milliards dâeuros en 2030.
LâAlbanie opte pour un tourisme haut de gamme Ă des prix plus Ă©levĂ©s, et donc trĂšs rentable
La GrĂšce a accueilli, en 2024, 40,7 millions de touristes, en hausse de 12,8% par rapport Ă 2023, et rĂ©alisĂ© des recettes de 21,592 milliards dâeuros (73 milliards de dinars tunisiens), en hausse de 4,8% par rapport Ă 2023. Ce nâest pas mal pour un pays qui compte moins de 11 millions dâhabitants, le mĂȘme nombre quâen Tunisie.
La majoritĂ© des touristes proviennent des 27 pays membres de lâUnion europĂ©enne (53,5%), en hausse de 11% sur un an. «Cette Ă©volution est due Ă la fois Ă la hausse de 12,2% du trafic de voyageurs en provenance des pays de la zone euro (14,5 millions) et Ă lâaugmentation de 8,6% des voyageurs des pays de lâUE-27 hors zone euro», prĂ©cise le communiquĂ© de la Banque de GrĂšce (BDG).
En 2024, lâexcĂ©dent de la balance des paiements touristiques a enregistrĂ© une hausse de 3,4% sur un an, selon les chiffres dĂ©finitifs de la BDG.
Pour la Croatie, 2024 a Ă©tĂ© une annĂ©e record avec 21,3 millions de touristes, en hausse de 4% par rapport Ă 2023, 108,7 millions de nuitĂ©es (+1%) et 13,19 milliards dâeuros (41 milliards de dinars tunisiens) de revenus (+1,7%).
Ce pays qui compte moins de 5 millions dâhabitants sĂ©duit dĂ©sormais toute lâannĂ©e.
Le tourisme croate, qui a du mal à gérer ce boom touristique, veut faire face à la saturation de ses installations en juillet-août en misant davantage sur les ailes de saison, le premium et le durable.
La Turquie, quant Ă elle, bat ses propres records en matiĂšre de tourisme en 2024 : 62,2 millions de touristes, en hausse de 9,8% par rapport Ă 2023, et 61,1 milliards de dollars (190 milliards de dinars tunisiens) de recettes (+8,3%), pour un pays qui compte 86 millions dâhabitants.
Dans lâensemble, 2024 a Ă©tĂ© pour la Turquie lâannĂ©e la plus fructueuse en matiĂšre de tourisme, notamment sportif.
Pour le Maroc, 2024 a Ă©tĂ© une annĂ©e touristique record avec 17,4 millions de touristes, soit une hausse de 20% par rapport Ă 2023, et 10,62 milliards dâeuros (37 milliards de dinars tunisiens) de recettes pour un pays qui compte 38 millions dâhabitants, consolidant ainsi sa position de premiĂšre destination touristique en Afrique.
Ăvoquant le programme «Cap Hospitality», qui sâinscrit dans le cadre des prĂ©paratifs du Maroc pour accueillir la Coupe dâAfrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde 2030, la ministre marocaine du tourisme, Fatim-Zahra Ammor a indiquĂ© que son vise Ă accĂ©lĂ©rer la modernisation des Ă©tablissements dâhĂ©bergement touristique classĂ©s, avec pour objectif la rĂ©novation de 25 000 chambres.
LâĂgypte a accueilli 14,3 millions de visiteurs en 2024, en hausse de 4% par rapport Ă 2023, totalisĂ© 151,3 millions de nuitĂ©es, et rĂ©alisĂ© des recettes record de 14 milliards de dollars (44 milliards de dinars tunisiens), en hausse de 7,8 %, pour un pays qui compte 111 millions dâhabitants.
Parmi les touristes étrangers, les visiteurs saoudiens se démarquent avec des dépenses avoisinant 1,5 milliard de dollars, soit plus de 75 milliards de livres égyptiennes.
La Tunisie a accueilli, en 2024, 10,250 millions de touristes et rĂ©alisĂ© 2,4 milliards de dollars (7,5 milliards de dinars tunisiens) de recettes, pour un pays qui compte 12 millions dâhabitants.
Classements des 8 destinations étudiées
Selon les recettes globales:
1. Turquie avec 54 192 millions dâeuros;
2. GrĂšce avec 21 592 millions dâeuros;
3. Croatie avec 13 190 millions dâeuros;
4. Egypte avec 12 400 millions dâeuros;
5. Maroc avec 9 420 millions dâeuros;
6. Albanie avec 4 700 millions dâeuros;
7. Malte avec 3 300 millions dâeuros;
8. Tunisie avec 2 130 millions dâeuros.
Selon les revenus touristiques par habitant:
1. Malte avec 6 600 euros;
2. Croatie avec 2 638 euros;
3. GrĂšce avec 1 963 euros;
4. Albanie avec 1 880 euros;
5. Turquie avec 630 euros;
6. Maroc avec 204 euros;
7- Tunisie avec 177 euros ;
8. Egypte avec 111 euros;
Plusieurs raisons sont Ă lâorigine de cette perte de vitesse de la Tunisie.
Il y a, dâabord, la faiblesse de la dĂ©pense moyenne du touriste en Tunisie, en raison de lâoffre dâhĂ©bergement «all inclusive». Selon lâOMT, la dĂ©pense moyenne du touriste ne dĂ©passe pas 438 dollars pour la Tunisie contre 1200 dollars en Jordanie et 1 410 dollars au Maroc, deux pays comparables au nĂŽtre.
Il y a, ensuite, la rĂ©duction, en moins de 20 ans, de la capacitĂ© dâhĂ©bergement de 240 000 Ă 180.000 lits, du fait de la fermeture de nombreuses unitĂ©s en relation notamment avec les dĂ©faillances en matiĂšre de maintenance.
Le diktat des tours opérateurs étrangers y est aussi pour beaucoup, puisque ces derniers poussent les hÎteliers tunisiens a davantage de bradage des prix.
Autres raisons, et pas des moindres, la mauvaise qualitĂ© de lâensemble des services hĂŽteliers, notamment celui du linge; lâabsence de formation professionnelle de base, continue et en alternance; le manque de moyens de transport aĂ©rien (low cost et charters) durant toute la saison, contrairement Ă dâautres pays mĂ©diterranĂ©ens facilement joignables en voiture, par train ou par avion; lâabsence de stratĂ©gie pertinente Ă moyen et Ă long terme; et le manque de solidaritĂ© entre les acteurs du tourisme tunisien, qui agissent chacun de son cĂŽtĂ©.
Lâarticle Tourisme â Pourquoi la Tunisie est-elle dĂ©passĂ©e par les autres destinations mĂ©diterranĂ©ennes ? est apparu en premier sur Kapitalis.