Une nouvelle aide alimentaire parvient à Gaza, mais elle reste loin d’être suffisante pour empêcher une famine généralisée. C’est ce qu’a déclaré, jeudi 28 août, à Reuters la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM).
« Nous recevons un peu plus de nourriture. Nous allons dans la bonne direction… mais ce n’est pas suffisant pour faire ce que nous devons faire pour garantir que les gens ne soient pas mal nourris et ne meurent pas de faim », a déclaré la directrice exécutive du PAM, Cindy McCain, qui s’exprimait dans une interview par liaison vidéo depuis Jérusalem.
Selon elle, le PAM est désormais en mesure de livrer environ 100 camions d’aide par jour à Gaza, contre 600 camions par jour pendant le cessez-le-feu de deux mois qui a pris fin à la mi-mars.
Le COGAT, la branche de l’armée israélienne qui supervise les flux d’aide dans l’enclave, affirme, dans un communiqué conjoint avec l’armée israélienne, que chaque jour plus de 300 camions d’aide humanitaire entrent à Gaza, la grande majorité transportant de la nourriture.
À rappeler qu’un rapport publié par l’Observatoire mondial de la faim – Classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire – indique qu’environ 514 000 personnes – près d’un quart de la population de Gaza – sont confrontées à des conditions de famine dans la ville de Gaza et ses environs.
Le gouvernement israélien a rejeté à plusieurs reprises ces conclusions, les qualifiant de « fausses et biaisées en faveur du groupe militant palestinien Hamas », contre lequel il se bat depuis près de deux ans.
« Dévastation totale »
McCain, qui a visité Deir al-Balah et Khan Younes ces derniers jours – y compris une clinique soutenant les enfants et les femmes enceintes et allaitantes -, a souligné les difficultés persistantes dans l’acheminement de l’aide aux populations vulnérables au cœur de Gaza.
« Ce que nous avons vu, c’est une dévastation totale. La ville est quasiment rasée, et nous avons vu des gens gravement affamés et mal nourris », s’est-elle désolée. « Cela a prouvé mon point de vue selon lequel nous devons être capables de pénétrer profondément dans la bande de Gaza afin de nous assurer qu’ils puissent toujours avoir ce dont ils ont besoin ».
Selon elle, une amélioration modeste de l’acheminement de nourriture et de fournitures commerciales à Gaza avait contribué à la baisse des prix, mais que la plupart des gens n’avaient toujours pas les moyens de se nourrir.
McCain espère que le PAM aurait un meilleur accès à Gaza après avoir rencontré mercredi le chef d’état-major de l’armée israélienne, le lieutenant-général Eyal Zamir. Elle a insisté pour un accès sans entrave, des itinéraires plus sûrs et des garanties que les camions ne subiraient pas de longs retards après l’octroi de l’autorisation…
Dans un monde marqué par le cynisme décomplexé, l’impunité des criminels qu’ils soient des acteurs étatiques ou paraétatiques et l’indifférence, la famine est de plus en plus utilisée comme arme de guerre. En Afrique, au Moyen-Orient, en Asie centrale, la famine causée d’une manière délibérée à des fins politiques explose. Dans un monde où la morale est piétinée sans la moindre gêne et où la loi du plus fort s’affiche avec arrogance, l’humanité qui se targue de ses avancées technologiques est en réalité en train de sombrer dans les comportements sauvages et primitifs d’un autre âge.
Imed Bahri
Le Financial Times a publié une enquête de David Pilling et Heba Saleh indiquant que le nombre de personnes mourant de faim dans le monde était en baisse depuis des décennies, tombant presque à zéro, car le monde ne pouvait tolérer que des personnes meurent de faim mais ce n’est désormais plus le cas.
Du Soudan à l’Afghanistan, en passant par le Yémen et Gaza, où une commission d’experts soutenue par l’Onu a déclaré l’état de famine vendredi dernier, les experts affirment que davantage de personnes meurent de faim dans un contexte marqué par l’indifférence de l’opinion publique et où les agences humanitaires perdent leur capacité à affronter les dirigeants qui utilisent la nourriture comme une arme.
Le journal cite Alex de Waal, expert en famine et directeur exécutif de la Fondation pour la paix mondiale à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’Université Tufts: «Il y a une dizaine d’années, les famines ont recommencé à se multiplier et ces dernières années, nous avons vu le nombre de personnes mourant de faim augmenter à un rythme effarant».
Les experts attribuent la résurgence de la famine à la faiblesse de la réponse humanitaire, entravée par un engagement en baisse en faveur du multilatéralisme et par la réduction des budgets d’aide.
Plus récemment, la capacité mondiale à recenser les décès dus à la famine a été perturbée après la suspension en janvier du Réseau américain de systèmes d’alerte précoce contre la famine, pionnier de la collecte de données sur la famine depuis des décennies, dans le cadre des coupes budgétaires massives de l’aide américaine menées par l’administration Trump.
À Gaza, le monde est resté impuissant alors qu’Israël empêchait les agences humanitaires de livrer suffisamment de nourriture à l’enclave assiégée de 2,1 millions de personnes pour éviter la famine.
En mars, Israël a imposé un blocus total à Gaza, bloquant toutes les livraisons humanitaires pendant dix semaines, dans le cadre de ce qu’il a présenté comme une stratégie visant à vaincre le Hamas. Face à une forte condamnation internationale, Israël a assoupli certaines restrictions à l’entrée de nourriture mais le Programme alimentaire mondial a déclaré que cela ne représentait qu’une petite fraction des besoins.
Le Comité de surveillance de la sécurité alimentaire, soutenu par l’Onu, a déclaré vendredi qu’une famine, qualifiée de «totalement causée par l’homme» s’était installée autour de la ville de Gaza et a averti qu’elle pourrait se propager ailleurs. Il a ajouté qu’un demi-million de personnes sont déjà confrontées à des «conditions catastrophiques caractérisées par la faim, la privation et la mort».
De Wall a déclaré: «Israël a tenté de convaincre le monde qu’il ne s’agissait pas d’une famine, mais il a précipité Gaza dans la famine. Les conséquences seront désormais bien plus graves que s’ils avaient écouté ceux qui annonçaient que cela arriverait».
Au Soudan, où la guerre a éclaté il y a plus de deux ans entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide paramilitaires, l’attention internationale a été bien moindre. Mais en termes de chiffres, l’ampleur des souffrances dans le pays dépasse celle de Gaza.
Selon le Programme alimentaire mondial, le conflit a déplacé 15 millions de personnes et laissé quelque 25 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, confrontées à une grave insécurité alimentaire. Selon ce dernier, quelque 638 000 personnes souffrent d’une «faim catastrophique».
Parmi les millions de personnes qui ont fui, on trouve des agriculteurs contraints d’abandonner leurs cultures ou incapables de récolter leurs futures récoltes, ce qui a aggravé les pénuries alimentaires et fait grimper les prix au-delà des moyens de la population.
Tom Fletcher, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’Onu, qui a réduit ses objectifs de collecte de fonds, a déclaré: «La communauté internationale a promis de protéger le peuple soudanais. Aujourd’hui, le peuple soudanais doit nous demander si, quand et comment nous allons commencer à tenir cette promesse». Par manque de financement, le Soudan est devenu un sombre exemple de deux problèmes étroitement liés: l’indifférence et l’impunité.
El Fasher, seule ville du Darfour, dans l’ouest du Soudan, à ne pas être sous le contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), figure parmi les situations les plus désespérées. Les milices des FSR ont assiégé près de 750 000 personnes, bloquant l’accès à la ville aux approvisionnements et empêchant la plupart d’entre elles de partir.
L’année dernière, l’Onu a déclaré l’état de famine dans le camp voisin de Zamzam. Le Laboratoire de recherche humanitaire de Yale, qui surveille le conflit au Soudan grâce à l’imagerie satellite, a déclaré ce mois-ci que des conditions proches de la famine ont désormais atteint El Fasher même. Pour d’alimenter, les civils ont recours à l’ampaze, un complément alimentaire pour animaux fabriqué à partir d’huiles de graines fermentées.
La définition précise de la famine est déterminée par le système intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), qui fonctionne sur une échelle de un à cinq.
La famine (niveau cinq sur l’échelle IPC) est définie lorsqu’au moins un cinquième des ménages sont confrontés à de graves pénuries alimentaires, qu’au moins 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë et que deux adultes sur 10 000 meurent chaque jour de faim directe ou de maladies liées à la malnutrition.
L’Université Tufts a compilé une base de données de toutes les grandes famines depuis 1876. Elle a constaté que les décès dus à la famine ont atteint un pic en 1960, au plus fort du Grand Bond en avant de Mao Zedong en Chine, avec 36 millions de morts entre 1958 et 1962, en grande partie à cause de la censure imposée et d’une tentative désastreuse de nationalisation de la propriété et d’industrialisation.
Bien que des famines se soient produites régulièrement depuis lors –par exemple au Nigeria entre 1968 et 1970 pendant la guerre du Biafra, au Cambodge sous le régime de Pol Pot entre 1975 et 1979, et en Éthiopie entre 1983 et 1985–, le nombre de morts au cours de ce siècle avait diminué presque au point de disparaître avant le récent retour des famines.
Les experts estiment que cela pourrait être dû à la progression de la démocratie durant cette période. L’économiste Amartya Sen, lauréat du prix Nobel, a écrit que les famines ne peuvent survenir lorsque l’information circule librement et que les gouvernements répondent aux attentes de la société civile.
Cependant, les experts estiment que le retour des famines est dû à plusieurs facteurs, notamment la montée en puissance de dirigeants autoritaires moins responsables démocratiquement.
Israël a cherché à remplacer le système de distribution de l’aide de l’Onu, vieux de plusieurs décennies, par la Fondation humanitaire pour Gaza, soutenue par les États-Unis, une entité controversée qui gère des centres de distribution dans des zones militaires gardées par des mercenaires américains et l’armée israélienne.
Depuis le lancement de la Fondation humanitaire pour Gaza en mai, des centaines de Palestiniens cherchant des provisions dans ses centres urbains chaotiques ont été tués par des soldats israéliens. Des experts de l’Onu ont appelé au démantèlement immédiat de ladite Fondation.
Concernant le fait de réagir une fois une famine survenue au lieu d’éviter qu’elle se produise, Francesco Checchi, professeur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, a déclaré : «Inverser les famines une fois qu’elles se sont produites revient à piloter un superpétrolier qui met beaucoup de temps à s’inverser ou à ralentir. Si la sécurité alimentaire ne s’améliore pas après une augmentation rapide de la malnutrition infantile, nous pouvons nous attendre à ce que nous avons observé dans d’autres contextes: une multiplication par 50 à 100 de la mortalité infantile».
Les experts affirment que la leçon la plus frappante des famines passées est qu’elles marquent souvent les communautés pendant des générations. Non seulement elles tuent des enfants ou freinent leur développement mais elles peuvent aussi polariser les communautés dans la compétition pour la nourriture.
Les historiens bengalis ont établi un lien entre les émeutes communautaires sanglantes de 1947, lors de la Partition, et les divisions qui ont éclaté lors de la famine quatre ans plus tôt.
De Waal, de l’Université Tufts, a déclaré que le pillage de l’aide humanitaire à Gaza par des individus désespérés et des gangs ainsi que la revente des fournitures volées sont des signes que la faim déchire le tissu social palestinien. Il ajouté: «Israël est au courant de tout cela. Il pousse la société palestinienne à un point de rupture où les gens se retournent les uns contre les autres».
Le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Caspar Veldkamp, a présenté sa démission à la suite du refus du gouvernement d’adopter de nouvelles sanctions contre Israël. Après plusieurs semaines de débats internes, il a estimé qu’il n’était plus en mesure « d’agir efficacement » face à l’impasse politique.
Depuis juillet, Veldkamp plaidait pour un durcissement de la position néerlandaise : il avait proposé de déclarer persona non grata deux ministres israéliens d’extrême droite et de suspendre l’accord commercial entre l’Union européenne et Israël si Tel-Aviv ne respectait pas ses obligations humanitaires à Gaza. Mais ses propositions se sont heurtées à l’opposition d’une partie de la coalition.
Sa démission fragilise le gouvernement de Dick Schoof. Le parti Nouveau contrat social (NSC), auquel appartient Veldkamp, a décidé de se retirer de l’exécutif, accentuant l’instabilité politique du pays.
Cette crise intervient alors que la société néerlandaise est fortement mobilisée : des manifestations réunissant jusqu’à 150 000 personnes ont réclamé des sanctions contre Israël et un accès humanitaire élargi à Gaza.
Sur le plan international, l’ONU a déclaré vendredi l’état de famine dans l’enclave palestinienne, où près d’un demi-million de personnes sont menacées. L’organisation a pointé la responsabilité des actions israéliennes dans l’aggravation de la catastrophe humanitaire.
Alors que la situation humanitaire atteint un point de non-retour dans la bande de Gaza, plus d’une centaine d’organisations appellent à une action internationale urgente. La France, par la voix du Quai d’Orsay, condamne la poursuite des opérations israéliennes et exige la levée immédiate des restrictions à l’acheminement de l’aide.
Dans une déclaration commune publiée ce mercredi 23 juillet 2025, 111 ONG internationales, dont Médecins sans frontières, Amnesty International, Caritas et Médecins du monde, tirent la sonnette d’alarme sur l’ampleur de la crise humanitaire à Gaza. Elles dénoncent une « famine de masse » provoquée par le blocus total imposé par Israël depuis plusieurs mois, qui empêche l’entrée de nourriture, d’eau potable et de médicaments.
Paris condamne l’extension de l’offensive israélienne
Les signataires réclament un cessez-le-feu immédiat, l’ouverture de tous les points de passage, et la fin du contrôle militaire israélien sur l’aide humanitaire, accusé d’avoir causé la mort de plus d’un millier de civils cherchant à se ravitailler.
Dans le même temps, la France a réagi officiellement, par un communiqué du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Elle condamne fermement l’extension de l’offensive israélienne au centre de Gaza, en particulier dans la région de Deir el-Balah, qui a entraîné le déplacement de dizaines de milliers de civils et l’entrave au travail des agences de l’ONU et des ONG.
Un système critiqué par les Nations unies
« Nos collègues et les personnes que nous aidons dépérissent », alertent les ONG dans leur déclaration. Elles affirment que leurs réserves sont épuisées et que leurs employés sont eux-mêmes en danger de mort. Le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a d’ailleurs confirmé que ses stocks sont vides et que certains de ses agents sont affamés.
Les organisations pointent du doigt la responsabilité directe du gouvernement israélien, accusé d’avoir sciemment instauré le chaos, la famine et la mort à Gaza, en maintenant un blocus total et en instaurant un système d’aide militarisé via la Fondation humanitaire de Gaza (FHG), soutenue par les États-Unis. Ce système est vivement critiqué par les Nations unies, en raison de son manque d’impartialité et des violences qu’il génère.
Le ministère français des Affaires étrangères rejoint ce constat alarmant et demande la levée immédiate de toutes les restrictions, conformément aux mesures conservatoires imposées par la Cour internationale de Justice. Il condamne les tirs israéliens sur des Palestiniens en quête de nourriture, qui ont fait plus de mille morts en deux mois selon l’ONU.
Une crise humanitaire sans précédent
Depuis octobre 2023, Israël mène une offensive militaire à grande échelle contre la bande de Gaza, en réponse aux attaques du Hamas. Mais cette guerre prolongée, associée à un blocus quasi total, a plongé l’enclave palestinienne dans une crise humanitaire sans précédent.
Les ONG accusent Israël d’entraver volontairement l’acheminement de l’aide, malgré les injonctions répétées de la communauté internationale. De nombreuses associations, comme l’UNRWA, se plaignent de ne plus pouvoir travailler dans les zones sinistrées en raison des bombardements et du harcèlement administratif.
L’accès à une aide humanitaire massive, indépendante et continue devient une urgence vitale, alors que des millions de civils palestiniens font désormais face à une triple menace : les bombes, la faim et la soif.