Édito – Quand les chiffres racontent la nouvelle famille tunisienne
Il y a des chiffres qui bousculent plus fort que des discours. Seize mille divorces en 2024 : un pays peut changer silencieusement, puis soudain ces données tombent, nettes, tranchantes, et révèlent ce que l’on refusait de voir. La famille tunisienne n’est plus ce bloc compact d’hier. Elle se transforme, se réinvente, parfois se fragilise.
On se marie tard – souvent après 34 ans pour les hommes, près de 29 pour les femmes. Et l’on se marie moins : 70.000 mariages en 2024, contre 78.000 seulement un an plus tôt. Une baisse brutale, presque vertigineuse, qui raconte un pays où l’engagement se négocie autrement, où le couple n’est plus un destin automatique.
La natalité suit la même trajectoire : de 225.000 naissances en 2014 à 160.000 en 2023. Une chute qui redessine la société en profondeur, en réduisant la taille des foyers – de cinq membres hier, à trois aujourd’hui – comme si chaque génération rapetissait son nid pour mieux respirer.
Mais c’est le divorce qui dit le plus clairement notre époque. Seize mille ruptures en une année. Et près d’un tiers dans les dix premières années du mariage. L’âge moyen du divorce ? À peine 36 ans. Autrement dit : les Tunisiens se séparent au moment même où leurs parents entraient, eux, dans la stabilité. Et derrière ces lignes de statistiques, il y a des vies : près de 600.000 enfants pris dans les turbulences de familles éclatées, dont certains sombrent – une centaine de cas de suicide liés aux crises émotionnelles post-divorce.
Faut-il y voir une catastrophe sociale ? Ou la preuve que les Tunisiens refusent désormais les unions forcées, les compromis étouffants, les carcans d’un modèle familial qui ne leur ressemble plus ?
Les chiffres ne portent pas de jugement. Ils nous disent simplement ceci : la Tunisie change, profondément, rapidement, sans attendre que le débat suive. Elle passe d’un modèle où la famille était un refuge à un modèle où elle devient un choix – exigeant, parfois fragile, mais assumé.
Reste à savoir si nous saurons accompagner cette mutation. Parce qu’une société qui change n’est pas une société qui se perd. C’est une société qui s’écrit autrement – avec ses peurs, ses libertés et ses chiffres.
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