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Gestern — 23. Juni 2025Haupt-Feeds

Le pouvoir du narratif, ou comment l’imaginaire façonne le réel

23. Juni 2025 um 20:10

Pendant des décennies, nous avons grandi en regardant des westerns où les Indiens étaient présentés comme des sauvages sanguinaires, attaquant sans raison de paisibles colons blancs. Ils scalpaient, violaient, tuaient, et nous les détestions. Pourquoi donc ? Parce que les films et les séries américains le disaient, et nous n’avions aucun autre récit pour contredire cette vision.

Pendant des années, les « méchants » étaient les Russes. L’ennemi ultime. Ils étaient froids, brutaux, inhumains, toujours en train de comploter contre le monde libre. Là encore, pourquoi les haïssions-nous ? Parce que Hollywood, avec une efficacité redoutable, imposait cette image dans l’inconscient collectif.

Puis est venue l’ère où le « méchant arabe » est devenu la figure incontournable du mal dans les blockbusters. Un mal caricatural, sale, fanatique, barbu, hurleur, porteur de bombes et destructeur de tout ce qui ressemble à une civilisation. Cela aussi, nous l’avons vu à l’écran, encore et encore, jusqu’à ce que cela devienne, pour beaucoup, une vérité.

Dans tous ces récits, les Américains, eux, sont toujours du bon côté. Même quand le danger vient d’au-delà des étoiles, ce sont encore eux qui sauvent le monde. Les extra-terrestres attaquent la Terre ? Ce sont les pilotes américains qui volent à la rescousse, la Maison Blanche qui dirige la riposte, le président américain qui prononce le discours qui galvanise l’humanité. Même dans l’imaginaire intergalactique, c’est toujours l’Amérique qui incarne l’ordre, la justice et le salut. Et il faut reconnaître qu’elle a su, avec constance et talent, construire cette image rassurante d’elle-même, en investissant massivement dans son industrie culturelle.

Le cinéma américain, en particulier, a permis au monde entier de connaître l’Amérique et son histoire, dans ses moindres détails : depuis l’arrivée des premiers pionniers, en passant par la guerre de Sécession, la catastrophe de Pearl Harbor, la Seconde Guerre mondiale, la guerre du Vietnam, la prohibition… Par la puissance de son narratif, l’Amérique a imposé ses exploits, ses inventions, et même ses drames, auxquels nous avons spontanément compati, comme le meurtre de Kennedy ou les attentats du 11 septembre. L’Amérique a su se rendre proche, familière, mémorable. Elle a su faire en sorte qu’elle devienne une référence, une figure connue de tous, presque intime. Elle a su, par la force de son récit, entrer dans notre imaginaire collectif, dans nos émotions, dans notre idéal, parfois même dans notre aspiration à lui ressembler.

Ce n’est pas un hasard. C’est une construction. Une stratégie. Un choix culturel mûrement entretenu. Car le narratif, ce n’est pas seulement raconter une histoire. C’est imposer une vision du monde. C’est diffuser un imaginaire qui, à force d’être répété, devient une référence, puis une vérité.

Et pourtant, nous, arabes, avons aussi notre propre Histoire. Nous avons notre version et notre lecture du monde. Nous avons notre identité. Nos propres exploits. Nos grandes figures, nos luttes, nos rêves, nos blessures, nos belles périodes… Mais tout cela reste méconnu, marginal, périphérique. Parce que nous ne l’avons pas raconté, ou pas assez. Parce que nous avons laissé d’autres peuples raconter pour nous – parfois contre nous.

Ce constat ne relève ni du ressentiment ni de la plainte. Il n’y a là aucun reproche envers ceux qui ont su construire leur propre récit et l’imposer au monde. Il y a seulement la lucidité de reconnaître qu’à force de silence, d’oubli ou de passivité, nous avons laissé les autres peupler notre imaginaire à notre place. Et qu’il est temps d’inverser le mouvement.

Les peuples qui ne maîtrisent pas leur propre narratif, qui ne racontent pas eux-mêmes leur Histoire et leurs histoires, qui ne diffusent pas leur vision du monde, se retrouvent piégés dans les récits des autres. Et c’est ce qui est arrivé – et arrive encore – aux Arabes. Non seulement nous ne contrôlons pas l’image que les autres se font de nous, mais nous ne la produisons même pas.

Car un narratif puissant ne se construit pas en une génération. Il repose sur une continuité, une production massive et régulière, une capacité à se raconter, à s’imposer dans l’imaginaire collectif mondial. Les Américains l’ont compris très tôt, les Russes l’ont tenté avec plus ou moins de succès, les Indiens y parviennent de plus en plus grâce à l’essor de Bollywood. Mais le monde arabe, malgré sa richesse culturelle, peine encore à se réapproprier son propre récit.

Or, le cinéma, la télévision, la littérature, le jeu vidéo, le théâtre même : tous ces outils sont des champs de bataille contemporains. Ce sont eux qui forgent l’imaginaire mondial. Ce sont eux qui déterminent qui est « le bon », qui est « le méchant », qui est « moderne », « arriéré », « civilisé », « dangereux », « fascinant », « exotique »…

Il est temps, donc, non pas de pleurer sur le narratif des autres, mais de construire le nôtre. De produire, de diffuser, de raconter. D’oser des récits forts, multiples, complexes. De ne plus toujours attendre que l’Occident nous filme, nous décrive, nous caricature.

Parce qu’un peuple sans récit, ou dont le récit est toujours dicté par les autres, est un peuple qui disparaît de l’imaginaire mondial. Et à terme, de l’Histoire.

Neïla Driss

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« Hacks » : derrière la scène, la vérité d’un métier

16. Juni 2025 um 19:11

Sous ses airs de comédie sur le stand-up, Hacks s’impose comme l’une des séries les plus fines de ces dernières années. Récompensée à de multiples reprises, notamment aux Golden Globes 2022 et 2025, elle explore les rapports de pouvoir, de transmission et de survie dans l’univers impitoyable du spectacle. Au centre : la relation tendue et bouleversante entre deux femmes que tout oppose, unies par la nécessité de continuer à faire rire — et d’exister.

 

Il y a des séries qui divertissent, d’autres qui observent le monde avec un regard chirurgical. Hacks parvient à faire les deux à la fois. Depuis son lancement sur HBO Max en mai 2021, la série s’est imposée comme l’un des objets les plus singuliers et intelligents du paysage télévisuel américain. Sous ses dehors de comédie acide sur le stand-up, elle interroge en profondeur les rapports de pouvoir, de transmission, de solitude et de création dans le monde du spectacle — et plus encore, elle explore avec une rare justesse la tension entre deux femmes que tout oppose, sauf l’urgence de continuer à exister sur scène.

Créée par Lucia Aniello, Paul W. Downs et Jen Statsky, Hacks suit la rencontre explosive entre Deborah Vance (Jean Smart), icône vieillissante du stand-up reléguée à une résidence à Las Vegas, et Ava Daniels (Hannah Einbinder), jeune scénariste talentueuse mais précipitamment éjectée du milieu hollywoodien pour un tweet jugé offensant. Les deux sont à un moment critique de leur carrière : Deborah sent que son public s’effrite, que sa parole n’a plus le même impact, tandis qu’Ava découvre brutalement que le monde de la télévision n’a pas de place pour les jeunes femmes trop sûres d’elles. Leur agent commun, Jimmy, tente un pari risqué : forcer ces deux femmes que tout oppose à collaborer. Ava devra réécrire les blagues de Deborah, et Deborah devra accepter d’ouvrir son univers. Le reste n’est que chaos, fierté, douleurs et éclats de génie.

L’intérêt de Hacks ne réside pas dans un retournement de situation ou une mécanique comique répétitive, mais dans ce lien unique et instable entre Deborah et Ava, que la série décortique avec une minutie remarquable. Deborah, incarnée par une Jean Smart au sommet de son art, n’est jamais présentée comme une mentor douce ou nostalgique. Elle est dure, brillante, méfiante. Elle a construit sa carrière seule, dans un univers dominé par les hommes, en renonçant à la tendresse, à l’amour, parfois même à l’éthique. Trop de trahisons l’ont rendue incapable de faire confiance facilement.

Ava, de son côté, incarne une génération qui croit encore au pouvoir des mots, à la transparence, à la liberté créative. Mais elle est aussi arrogante, mal armée face à la brutalité du métier, pétrie de contradictions. Ce qu’elle méprise chez Deborah — ses compromis, son goût du public — est aussi ce qu’elle envie : une carrière, une voix, une liberté.

Entre elles, la série invente une relation rare à l’écran : ni amicale, ni maternelle, ni franchement antagoniste. Une relation faite de heurts, de silences, de micro-évolutions. Elles ne deviennent pas amies. Elles deviennent indispensables l’une à l’autre. C’est par la confrontation qu’elles avancent. Et c’est ce qui rend Hacks si poignant : son refus de simplifier, son refus du spectaculaire.

Mais Hacks est aussi une immersion dans les rouages concrets de la scène. À travers les répétitions, les discussions d’écriture, les soirées de rodage devant un public indifférent, la série dévoile les coulisses du métier d’humoriste, non pas sous un jour romantique, mais comme un travail d’orfèvre et de stratégie. Comment rendre une blague plus percutante ? Que vaut une anecdote personnelle si elle ne fait pas rire ? Quand faut-il choisir entre honnêteté et efficacité ? Chaque épisode est traversé par ces questions, souvent sans réponse, mais toujours ancrées dans la réalité du métier.

On découvre aussi tout ce que la réussite exige : des sacrifices personnels, des renoncements éthiques, une disponibilité totale au public, et surtout, une capacité à tout transformer en récit, même les douleurs les plus intimes. Deborah ne cesse de repousser le moment où elle parlera vraiment d’elle sur scène, et Ava la pousse à ce saut, sans toujours comprendre le prix à payer.

La série interroge aussi, en creux, la place des femmes dans ce milieu. Deborah a survécu là où beaucoup ont disparu. Elle a dû accepter d’être « l’exception » dans un monde d’hommes, quitte à reproduire certaines logiques de domination. Ava, elle, refuse de se soumettre, mais découvre à quel point la marginalité a un coût. Hacks ne les juge pas, mais les observe, avec une précision cruelle et parfois bouleversante.

Les premières saisons scrutent le métier d’humoriste : l’écriture d’un sketch, les répétitions, les retours de public, la peur du flop, les longues tournées, les hôtels impersonnels. Hacks déjoue la tentation de l’idéalisation. Tout est montré : les soirs de triomphe et les humiliations, les conseils cruels et les rivalités mesquines, les regards sexistes et les exigences commerciales. La scène devient un lieu d’exposition mais aussi de combat, de solitude et de stratégie. Ce n’est pas une série sur la célébrité, c’est une série sur ce qu’il faut sacrifier pour y rester.

 

Hacks
Affiche de la saison 4 de « Hacks »

 

Et c’est justement la saison 4, diffusée en 2025, qui pousse ce regard un cran plus loin. Deborah quitte Las Vegas pour animer un late show à la télévision américaine, un rêve qu’elle avait enterré, et qu’elle obtient enfin… au moment où elle pensait ne plus le désirer. La série change alors de décor et entre dans un autre monde : celui de la télévision généraliste, avec ses codes, ses censures, ses producteurs, ses annonceurs, ses décisions absurdes. On découvre comment chaque minute à l’écran est négociée, comment les invités sont sélectionnés, comment les blagues sont validées (ou coupées), et surtout à quel point le regard public — aujourd’hui démultiplié par les réseaux sociaux — peut devenir un piège.

Car la saison 4, en plus de dévoiler les coulisses de la télé, montre aussi comment une femme comme Deborah doit constamment négocier sa place : être drôle mais pas méchante, politique mais pas trop, moderne sans trahir son image. La moindre erreur devient virale, la moindre expression mal interprétée devient polémique. Et Ava, toujours présente à ses côtés comme co-autrice, devient le témoin inquiet de ces tensions. Entre elles, rien n’est jamais acquis. Leur lien se transforme : moins frontal, plus intime, mais toujours traversé de fêlures.

Cette saison est sans doute la plus cruelle, mais aussi la plus révélatrice. Elle questionne le rôle des femmes dans les médias, l’obsession du rajeunissement, les injonctions contradictoires à être « fun » mais inoffensive, « libre » mais lisse, « inclusive » mais rentable. Elle montre aussi le poids grandissant des réseaux sociaux dans la fabrique du succès, la manière dont chaque image, chaque mot peut être recadré, détourné, recyclé contre vous. À travers Deborah, Hacks ausculte une époque où la visibilité est à la fois une arme et une menace.

Dès la première saison, la série a été saluée par la critique. Jean Smart a remporté un Emmy Award pour son rôle, et la série a décroché deux Golden Globes en 2022, dont celui de la meilleure comédie. En 2025, elle réitère l’exploit : nouveau Golden Globe pour la meilleure série comique, nouveau prix pour Jean Smart, récompensée pour une performance d’une rare intensité. À ce jour, Hacks a remporté 92 prix et obtenu 192 nominations, un palmarès impressionnant pour une série qui refuse toute facilité.

 

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« Hacks » – Golden Globes 2025 de la Meilleure série télévisée – comédie ou comédie musicale

 

Hacks
« Hacks » – Golden Globes 2025 de la Meilleure actrice dans une série télévisée – comédie ou comédie musicale pour Jean Smart

Après quatre saisons d’une remarquable cohérence artistique, une cinquième saison a été confirmée, bien que la date de diffusion ne soit pas encore annoncée. La série continue à se renouveler, à approfondir ses personnages, et surtout à interroger ce que signifie faire rire aujourd’hui : à quel prix, pour qui, et jusqu’à quand.

Hacks n’est donc pas une série « sur » le stand-up. Elle est une série sur ce que le stand-up révèle : la solitude des artistes, la violence du regard public, la négociation permanente entre ce qu’on est et ce qu’on montre. Et au cœur de tout cela, deux femmes qui refusent de disparaître, qui se battent pour écrire, parler, exister — quitte à se détruire un peu au passage.

Neïla Driss

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