Jeunes médecins : Enfin le dénouement de la crise
La colère des jeunes blouses blanches retombe. Place, désormais, à un nouveau cadre juridique garantissant les droits et la dignité de tous les professionnels de la santé
La Presse — Fin de crise au sein du corps des jeunes médecins avec la signature d’un procès-verbal d’accord avec le ministère de la Santé. L’Organisation tunisienne des jeunes médecins (Otjm) a salué la réaction du ministère de tutelle sur fond de réponses positives à un certain nombre de revendications des jeunes blouses blanches.
«Nous remercions l’autorité de tutelle pour sa réaction positive, qui a permis d’éviter une crise aiguë dans le secteur de la santé. Nous remercions également l’ensemble des jeunes médecins pour leur lutte tout au long de ce mouvement, ainsi que tous ceux qui nous ont soutenus», lit-on dans le bref communiqué de l’Otjm.
Un grand ouf de soulagement d’autant que cette crise ne date pas d’aujourd’hui. Le courroux couvait depuis des années pour moult raisons. A commencer par des salaires très bas, des indemnités de garde réduites. Il y a aussi ces décisions d’affectation en zones sous-équipées qui tombaient comme un couperet et donnaient le tournis aux jeunes blouses blanches. Ces derniers se trouvent confrontés, après tant d’années d’études et au début de leur carrière, à des conditions de travails difficiles. C’est comme si on les poussait à quitter le bled.
Une mobilisation record, symptôme d’un malaise profond
L’enchaînement des mouvements de protestation et de débrayage était inéluctable. Selon l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (Otjm), la mobilisation a été collective avec un taux de participation à la grève estimé à 96,5 %. Le tollé est révélateur d’un malaise plurifactoriel dans le secteur de la santé en général.
Rien qu’à voir de jeunes médecins esquintés par le rythme infernal du travail, exposés au quotidien à tous genres de violences hospitalières, on comprend à quel point le système les broie lentement. On ne peut que ressentir une profonde révolte face à tant d’injustices.
On saisit là toute la colère et la détresse d’une génération de jeunes médecins à bout de souffle et sacrifiée sur l’autel d’un système hospitalier tombé en désuétude.
Il arrive qu’un jeune médecin soit contraint d’assurer sa garde, même en cas de malaise aigu ou de dégradation soudaine de son état de santé. C’est ce que révèle le jeune médecin Oussama sur son compte Facebook, où il partage son expérience : malgré de fortes douleurs, il a dû prendre des médicaments pour pouvoir continuer à répondre aux besoins des patients, effectuer des allers et retours entre les chambres et le service des urgences.
Résultat : il a frôlé l’insuffisance rénale en pleine garde. Et de conclure que son cas n’est qu’un exemple parmi d’autres, certains ayant été encore plus graves.
Il faut dire que les revendications des jeunes médecins portaient, en particulier, sur la validation transparente et objective des stages, la question du service national, le versement des indemnités de garde et leur revalorisation, l’augmentation des postes de garde disponibles, ainsi qu’une rehausse générale des salaires.
Les jeunes médecins réclamaient aussi davantage de transparence et d’équité en matière de validation des stages effectués tous les six mois sous la supervision des chefs de service.
Des requêtes somme toute normales pour les jeunes médecins, susceptibles de les encourager à ne pas larguer les amarres et à chercher un job en Europe où ils sont relativement mieux payés, mais surexploités, selon le témoignage livré à notre journal par la jeune Wafa (nom d’emprunt) partie travailler dans un hôpital à Aix-en-Provence au Sud-Est de la France depuis 2021.
Elle nous explique que les équipements hospitaliers ultramodernes, ont constitué pour elle le seul et unique motif de satisfaction. Elle ajoute que les rémunérations des médecins étrangers sont souvent inférieures à celle de leurs confrères français, sans compter la précarité du logement.
Un exil symptomatique d’un système à réformer
La fuite massive des médecins tunisiens, notamment les jeunes praticiens, n’est en fait que le résultat d’un enchevêtrement de problèmes structurels longtemps ignorés, dont des conditions de travail dégradées, des rémunérations dérisoires en dépit d’un long parcours universitaire, ainsi qu’un statut professionnel mal défini.
Autant de facteurs qui ont favorisé un exil qui aurait pu être évité, si les gouvernements successifs avaient engagé une réforme en profondeur du système de santé.
Cette hémorragie ne cesse de s’aggraver. Selon le secrétaire général du Syndicat des médecins, Nizar Laadhari, pas moins de 1.400 médecins ont quitté le pays en 2024, dont 90 % sont des jeunes. «Le phénomène ne connaît aucun ralentissement», alerte-t-il.
Face à cette situation préoccupante, le Président de la République, Kaïs Saïed, a réaffirmé «la nécessité urgente d’instaurer un nouveau cadre juridique garantissant les droits et la dignité de tous les professionnels de la santé». Lors d’un entretien récent avec le ministre de la Santé, il a également «salué la compétence des médecins tunisiens, particulièrement recherchés à l’étranger».
Dans ce contexte, les accords récemment conclus avec l’Organisation des jeunes médecins suscitent l’espoir d’un tournant. Ils pourraient inaugurer une nouvelle phase portée par une législation ambitieuse, à même de redonner aux jeunes médecins la place qu’ils méritent et de leur offrir un cadre d’exercice plus sain, plus motivant et plus respectueux de leurs aspirations.