Préparatifs du Mouled : Pérenniser une tradition ou faire preuve de pragmatisme ?
Il semble qu’au fil des années, et compte tenu de la cherté de la vie, certains Tunisiens commencent à bouder la célébration du Mouled et ce, non pas par indifférence quant à la sacralité et à la religiosité de la fête, mais pour bien d’autres considérations. Près de deux semaines nous séparent de cette fête, qui aurait lieu le 4 septembre. Les marchands d’épices et de confiseries entament les préparatifs nécessaires à l’évènement, certains qu’ils sont d’une demande satisfaisante, comme à l’accoutumée. Néanmoins, certains consommateurs ne comptent point faire partie de la fête !
La Presse — Dans l’une des grandes épiceries fines, réputées pour la qualité de ses produits au Bardo 2, Hamza, son propriétaire, s’apprête, confiant, à recevoir autant de clients en quête du «zgougou» ou des grains de pin d’Alep. Ce dernier étant l’ingrédient phare de la fameuse «assida», un délice au goût inégalé, préparé de génération en génération pour célébrer la fête du Mouled. Hamza a la ferme conviction que la demande sera importante surtout durant les derniers jours précédant le jour–j. «La plupart des férus de «l’assida» optent pour des courses tardives, soit les deux ou trois jours avant la célébration du Mouled. Pour le moment, le rythme demeure assez lent. Certains continuent à profiter des vacances et d’autres vaquent à leurs occupations», indique-t-il.
Les pâtes de «zgougou» prendront le dessus sur le vrac
Dans sa boutique, les variétés de fruits secs et de confiseries séduisent les clients et donnent un avant-goût de la fête ; une fête religieuse qui rime — tradition oblige— avec gourmandise. Des boîtes en plastique alimentaire contenant la pâte du «zgougou», prête à l’emploi seraient, prochainement, la requête de la majorité des clients et ce, indépendamment de leurs prix qui restent assez chers pour une contenance de seulement cinq cents grammes. «Les boîtes de pâte de «zgougou» varient de 27dt à 30dt, cette année ; des prix nettement moins salés que ceux de l’an dernier. Quant aux grains de pin d’Alep en vrac, elles coûtent cinquante dinars le kilo. Pour le moment, nous n’avons pas encore assuré notre approvisionnement en «zgougou» en vrac et ce, pour deux raisons : la première, poursuit-il, est relative à la qualité requise. Nous tenons à proposer la meilleure qualité sur le marché. Du coup, les recommandations du ministère du Commerce comptent pour nous. La deuxième, c’est que nous assurons les quantités adéquates à la demande. Or, cette dernière tire plus la balance vers les pâtes prêtes à l’emploi».
Cerise sur le gâteau !
Côté fruits secs, qui ont l’effet de la cerise sur le gâteau, les prix restent assez élevés par comparaison avec le pouvoir d’achat et ce, en dépit d’une bien bonne récolte. Selon Hamza, plus l’offre est abondante, — ce qui est le cas—, plus les prix sont raisonnables…Néanmoins, ils seront hissés d’un cran dans le cas d’une demande importante et tardive. Et pour avoir une idée sur les prix des fruits secs et des dragées, il serait intéressant de savoir que les pistaches sont proposées à une fourchette de prix variant entre 85dt et 110dt le kilo ; les pignons entre 150dt et 170dt le kilo ; les amandes entre 38dt et 48dt le kilo ; les noisettes entre 38dt et 46dt le kilo et les noix entre 38dt et 58dt le kilo. Pour ce qui est des dragées utilisées aussi dans la décoration des coupes d’«assida», leurs prix oscillent entre 15dt et 45dt le kilo.
Une tradition coûteuse mais chère au cœur !
Malgré des prix qui risquent de peser lourd sur le budget des Tunisiens, certains tiennent bon à célébrer la fête du Mouled en bonne et due forme. C’est le cas de Hajer Dellaï, pâtissière. « Je n’ai pas encore entamé les préparatifs du Mouled mais cela ne va pas tarder. Comme chaque année, je prépare «l’assida» pour ma famille. Je préfère opter pour le «zgougou» en vrac et préparer une quantité généreuse à partir d’un kilo et demi de grains de pin d’Alep. Certes, «l’assida» devient de plus en plus coûteuse ; l’année dernière, j’ai dû dépenser pas moins de deux cents dinars pour ce délice. Toutefois, elle demeure une tradition chère à mon cœur», confie-t-elle.
Les voix de la raison !
Et entre céder à la tentation et y résister, il semble bien que bon nombre de consommateurs font preuve de réticence. Hamadi Saiden est père de famille. Il travaille à son compte en assurant le transport de marchandises. Pour lui, préparer «l’assida» est un dossier indiscutablement clos ! «Il est hors de question de gaspiller de l’argent dans une recette aussi coûteuse ! D’abord, la vie devient trop chère pour le commun des Tunisiens.
D’autant plus qu’il y a des priorités qui ont droit de mes économies. Et franchement, ajoute-t-il, j’ai l’impression qu’on profite impitoyablement du consommateur.
Les commerçants et les responsables sont-ils réellement conscients des prix qu’ils imposent aux citoyens ? Il me semble qu’il n’y a aucune adéquation entre le pouvoir d’achat et les prix pratiqués».
Pour Intissar Farhat, mère de famille et directrice dans une société internationale, la préparation de «l’assida» en guise de célébration de la fête du Mouled relève d’une époque révolue. «Je trouve que cette tradition ne convient pas à la nature de la fête. Cette dernière est religieuse par excellence. Autant la célébrer en faisant la prière, en récitant le Coran et en faisant preuve de bienfaisance ! Il y a des personnes qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté et qui sont dans le besoin.
Il serait plus judicieux, à mon humble avis, poursuit-elle, de leur donner cinq, cinquante ou deux cents dinars que de les dépenser dans une crème dessert ! D’autant plus que les prix des ingrédients nécessaires à «l’assida» sont inaccessibles.
Pis encore : le délice en lui-même est hypercalorique et n’a pas de grandes vertus nutritives. Mieux vaut grignoter une poignée de fruits secs que de s’adonner à autant de gaspillage».
Entre le pour et le contre, la préservation d’une tradition et le changement des traditions conformément aux exigences actuelles, aux conditions de vie et aux convictions personnelles pourtant rationnelles, les avis sont mitigés. Mais ce qui est certain, c’est qu’indépendamment des «voix de la raison», les épiceries et les magasins spécialisés dans la vente de «zgougou» et des fruits secs enregistreront, sûrement, des recettes exceptionnelles grâce à la fête du Mouled.