Tribune – Croissance économique : Le pouvoir bloquant de l’administration à l’index
Depuis l’école secondaire, on nous enseigne dans les cours d’histoire que les crises économiques engendrent des crises sociales. Par raisonnement inverse, on admet que toute amélioration sociale repose sur une croissance économique durable. Le gouvernement semble l’avoir compris : la loi de finances 2025 table sur une relance modeste mais réelle, avec un taux de croissance visé de 3,5 %. Plusieurs mesures sociales ont été annoncées, dont la création d’une d’assurance contre la perte d’emploi pour des raisons économiques.
Mais sur le terrain, une question dérangeante s’impose : Peut-on espérer une croissance économique inclusive avec une administration bloquante, opaque et inefficace ?
Une mesure emblématique…
restée lettre morte
La loi de finances 2025 a prévu le financement d’un mécanisme d’assurance contre la perte d’emploi pour des raisons économiques, destiné à soutenir les salariés licenciés suite à des difficultés économiques. Les intentions ayant été clairement affichées, les crédits budgétaires ont bien été votés, mais huit mois plus tard, la mesure reste inapplicable : aucun décret d’application n’a vu le jour et aucun bénéficiaire n’en a profité.
Ce décalage entre la promesse et sa mise en œuvre n’est pas un accident. Il révèle un mal plus profond,à savoir l’incapacité de l’administration à exécuter efficacement les politiques publiques, même lorsqu’elles sont urgentes, financées et attendues.
Une administration qui freine le privé… et entache le public
Ce même appareil administratif, déjà à l’origine des obstacles qui découragent l’initiative privée, est également responsable des blocages qui paralysent les projets publics. Partout dans le pays, des projets d’infrastructure, de santé, d’éducation ou de transport attendus par les citoyens sont retardés, gelés, ou tout simplement abandonnés, malgré les crédits déjà engagés.
Les ressources sont généralement dilapidées dans des études répétées, des appels d’offres avortés, des marchés infructueux ou des blocages juridiques absurdes. Au final, la population ne bénéficie ni de services de qualité ni d’investissements structurants.
Pire encore, cette culture administrative défaillante alimente directement la sphère politique. Ceux qui échouent pour la plupart à gérer les dossiers administratifs finissent souvent promus d’une manière mécanique à des fonctions politiques, prolongeant l’inertie au sommet de l’Etat. C’est ainsi que les horizons du pays se restreignent et que les décisions les plus vitales sont mises entre les mains de ceux qui refusent de tirer les leçons des échecs passés.
Cette crise d’efficacité est aggravée par l’absence d’évaluation rigoureuse, d’études de faisabilité et d’analyses d’impact en amont des décisions publiques. Trop souvent, les mesures sont conçues sans réflexion sérieuse sur leur mise en œuvre réelle. Et sans évaluation, il est impossible de corriger les erreurs, d’adapter les politiques ou d’apprendre du terrain.
Quelle croissance voulons-nous vraiment ?
Le paradoxe est devenu insupportable : le gouvernement annonce des ambitions, vote des mesures utiles, mais ne dispose pas d’une administration capable de les concrétiser. Les entreprises perdent espoir. Les citoyens perdent patience. Et l’Etat perd sa crédibilité.
Il est temps de poser les vraies questions :
Pourquoi l’administration publique continue-t-elle à échapper à toute évaluation sérieuse ?
Que faut-il pour rompre avec cette culture de l’impunité, de la lenteur et de la promotion sans mérite ?
Conclusion
La croissance économique ne se décrète pas, pas plus que la justice sociale ne se proclame dans les lois. L’une comme l’autre dépendent d’un socle indispensable, à savoir une politique publique capable, transparente, au service de l’intérêt général et une administration efficiente, proactive et aux aguets. Or, c’est précisément ce qui fait défaut aujourd’hui. Alors que les discours politiques promettent progrès et équité, les actes et les démarches administratives détruisent les conditions même de la confiance convoitée.
De l’avis de tous, l’administration est remarquablement bloquante, inefficace et déconnectée des réalités citoyennes. Elle ne peut ni accompagner la relance ni garantir des droits. Elle retarde les projets, dilapide les ressources, freine l’investissement et entretient une défiance croissante.
Sans réforme en profondeur de l’appareil administratif, sans culture de l’évaluation, sans rupture avec les logiques de promotion de l’échec, aucune croissance ne sera durable, aucune justice ne sera crédible. Et tant que ce décalage entre les promesses politiques et la réalité vécue s’aggrave, ce sont les citoyens, les talents et les énergies qui fuient.
Il est temps de comprendre que croissance et justice ne sont pas des ambitions abstraites : elles exigent une administration responsable, réformée et enfin redevable.