La Tunisie, futur leader de l’hydrogène vert en Méditerranée?
Le petit-déjeuner-débat organisé le mercredi 11 décembre 2024 par la Chambre de commerce tuniso-belgo-luxembourgeoise à Tunis a mis en lumière les opportunités et défis associés au développement de l’hydrogène vert en Tunisie. Cette rencontre a réuni des experts et des décideurs pour discuter de la stratégie nationale en matière d’énergie, du rôle clé de la Tunisie dans la transition énergétique, et des impacts des projets d’hydrogène vert sur les échanges avec l’Union européenne.
En bon maître de cérémonie, Kaïs Fekih, président de la Chambre de commerce tuniso-belgo-luxembourgeoise, met en avant le potentiel de l’hydrogène vert pour la Tunisie en raison de sa proximité géographique avec l’Union européenne, qui facilite l’exportation.
Le potentiel stratégique de l’hydrogène vert pour la Tunisie
Le président de la chambre évoque un plan ambitieux visant une production de 8 millions de tonnes d’hydrogène vert d’ici à 2050, répartie entre 2 millions de tonnes pour une consommation intérieure et 6 millions de tonnes destinées à l’exportation. Et d’affirmer que cette transition énergétique s’inscrit dans un cadre de respect des normes environnementales, avec une utilisation prioritaire des eaux usées et des possibilités de dessalement d’eau de mer, évitant un impact environnemental négatif. Un écosystème complet est en cours de développement, incluant des initiatives éducatives dans les universités pour former des spécialistes en hydrogène vert. Ce projet vise également à renforcer les capacités du secteur privé tunisien. Kaïs Fekih insiste sur l’urgence pour les entreprises tunisiennes de saisir cette opportunité, en bénéficiant de subventions et d’investissements étrangers, et de tirer profit de la période d’étude qui s’étend jusqu’en 2030. Les études nécessaires sont actuellement réalisées par le gouvernement tunisien en partenariat avec des acteurs privés, pour garantir la faisabilité technique et environnementale du projet, rappelle-t-il.
Solutions hydriques pour la production d’hydrogène
De son côté, Belhassen Chiboub, directeur général de l’Électricité et des Énergies renouvelables au ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, a exposé les solutions proposées par la Tunisie face aux défis hydriques liés à la production d’hydrogène vert. Il s’exprime en réponse à des questions concernant l’impact de l’hydrogène vert sur la biodiversité et les ressources hydriques qui sont de plus en plus rares. Selon lui, le pays ne compte pas utiliser ses ressources en eau naturelles, en raison du stress hydrique actuel. L’intervenant propose deux solutions. Il s’agit de la réutilisation des eaux usées et du dessalement de l’eau de mer. Concernant le dessalement, Chiboub précise que, bien que cette solution puisse sembler énergivore, elle reste bien plus modérée en termes de consommation énergétique par rapport à la production d’hydrogène vert. Il explique que la consommation énergétique pour le dessalement est de 3 kWh par mètre cube, tandis que pour la production d’un kilogramme d’hydrogène, cela nécessite environ 50 kWh. Ce qui représente ainsi moins de 5% de la consommation énergétique nécessaire pour l’hydrogène. Le programme de dessalement de la Sonede prévoit une capacité de 1,5 million de mètres cubes par jour d’ici à 2035 pour répondre aux besoins en eau potable du pays. Selon les projections, d’ici à 2050, pour produire les 8 millions de tonnes d’hydrogène vert visées, il faudra 250 000 mètres cubes par jour, soit environ 10% des besoins en dessalement d’ici à 2050. En ce qui concerne les impacts environnementaux, Chiboub insiste sur la nécessité de mener des études d’impact environnemental et social pour chaque projet de dessalement, afin de respecter les normes internationales. Il souligne également l’importance de l’engagement de la société civile dans la compréhension et l’accompagnement des projets, notamment par le biais de consultations publiques. Il appelle ainsi à un dialogue ouvert pour garantir que la transition énergétique s’effectue de manière transparente et équilibrée. Chiboub met également en avant l’importance des partenariats public-privé pour la transition énergétique, précisant que 90% du programme de transition énergétique de la Tunisie pourrait être réalisé dans ce cadre.
Les défis réglementaires et fonciers pour le développement de l’hydrogène vert
Ramzi Jelalia, CEO de la société RNJ Advisory, a partagé une analyse détaillée des enjeux liés à la production d’hydrogène en Tunisie et des défis auxquels le pays est confronté. Selon lui, bien que le cadre réglementaire des énergies renouvelables, notamment pour le solaire et l’éolien, soit bien établi, il y a un manque de cadre spécifique pour l’hydrogène vert. Actuellement, les projets d’hydrogène doivent se conformer aux règles de droit commun, qui ne sont pas forcément adaptées à cette nouvelle industrie. L’intervenant évoque un projet en cours de création d’un code spécifique pour les énergies renouvelables et l’hydrogène, mais souligne que l’absence d’un tel cadre constitue une faiblesse pour le développement de ce secteur en Tunisie. En revanche, Jelalia met en avant les nombreuses opportunités pour la Tunisie, principalement liées à son potentiel en énergies renouvelables. Le spécialiste rappelle que les études ont confirmé l’énorme potentiel du pays dans ce domaine, ce qui suscite un intérêt croissant des investisseurs. Plusieurs lettres d’intention ont été signées avec des investisseurs, marquant un fort engouement pour les projets d’hydrogène. Jelalia précise que la Tunisie doit exploiter cette opportunité, car elle attire des investisseurs avec des capacités financières considérables. Cependant, plusieurs contraintes pèsent sur la réalisation de ces projets.
La principale contrainte réside dans le volet foncier, car la production d’hydrogène nécessite de vastes superficies de terrain. Le cadre réglementaire actuel, jugé trop classique et mal adapté à ces projets, pourrait poser un problème, notamment en ce qui concerne la gestion des terres collectives et l’absence de clarté juridique. Il espère que la réforme en cours du code des énergies renouvelables et de l’hydrogène permettra de clarifier et d’assainir cette situation, afin d’attirer davantage d’investisseurs. En outre, Jelalia évoque la concurrence régionale comme une autre contrainte majeure. D’autres pays voisins se lancent également dans la production d’hydrogène, et si ces projets prennent de l’ampleur, la Tunisie risque de perdre des investisseurs au profit d’autres sites plus attractifs. Il cite l’exemple du gazoduc algérien construit dans les années ’80, qui a permis à la Tunisie de se positionner en pionnier dans la région, mais souligne que si la Tunisie ne reste pas compétitive, elle pourrait se retrouver reléguée derrière d’autres pays.
Jelalia met en avant la position stratégique de la Tunisie, qui, à travers sa vocation historique de «grenier de Rome», pourrait devenir un producteur majeur d’énergie renouvelable et d’hydrogène pour l’Europe. Toutefois, il insiste sur l’importance de projets win-win et de partenariats équilibrés entre les pays du sud et du nord de la Méditerranée pour réussir cette transition énergétique.
L’engagement de la Belgique et les opportunités de partenariat
L’ambassadeur de Belgique en Tunisie, François Dumont, a abordé les opportunités liées à l’hydrogène vert en Tunisie. Il a rappelé l’engagement de la Belgique dans le cadre de l’Union européenne, avec plusieurs mémorandums d’entente signés en 2023 et 2024, dont un mémorandum spécifique en juin 2024 sur les énergies renouvelables. Ces accords visent à renforcer les partenariats et à promouvoir l’hydrogène vert, un domaine où la Belgique possède une expertise reconnue. François Dumont a souligné que la Belgique, à travers ces MOU, cherche à attirer les entreprises belges à investir dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert en Tunisie. En 2023, plusieurs accords ont été signés avec des entreprises belges, marquant un premier engagement avec la Tunisie. Il a expliqué que ces mémorandums d’entente étaient des marques d’intérêt et de premières étapes dans l’exploration de projets dans ces domaines stratégiques. L’ambassadeur a également mis en avant les avantages naturels de la Tunisie pour le développement des énergies renouvelables, rappelant les multiples opportunités qu’offre le pays en matière de production d’énergie verte. Pour lui, ces projets d’hydrogène vert font partie d’une diplomatie de l’hydrogène, visant à renforcer les liens économiques entre la Belgique et la Tunisie.
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