Soudan | Des héros de l’ombre au cœur du génocide
Au cœur du conflit contemporain le plus brutal, des milliers de Soudanais risquent quotidiennement leur vie pour apporter nourriture, médicaments et soutien psychologique à des millions de civils. Ces héros de l’ombre restent méconnus et sont surtout très peu soutenus. Le manque de reconnaissance à leur égard est également flagrant. Ils ont été parmi les nominés pour le prix Nobel de la paix mais ne l’ont pas reçu malgré l’énorme courage et la bravoure dont ils font preuve dans le conflit le plus sanglant du monde.
Imed Bahri
Le correspondant du journal britannique The Guardian Mark Townsend a mis en lumière dans une enquête ces héros de l’ombre, les présentant comme contribuant à l’une des initiatives humanitaires les plus audacieuses et efficaces dans un contexte d’une guerre qui fait rage depuis le 15 avril 2023 et qui a transformé le pays en théâtre de la pire crise humanitaire mondiale.
Dans une guerre interminable où les lignes de front sont mouvantes et avec l’effondrement des institutions étatiques, ce réseau de solidarité locale s’est imposé comme la seule alternative capable de fournir nourriture, soins médicaux et soutien psychologique à des millions de Soudanais.
Femmes et enfants victimes de viol
L’enquête inclut des témoignages directs de volontaires, telle Amira, qui se sont infiltrés dans les zones contrôlées par les Forces de soutien rapide (FSR) pour venir en aide aux femmes et aux enfants victimes de viol, au péril de leur vie.
Chaque matin, Amira franchissait clandestinement la ligne de front mouvante dans l’État du Kordofan-Nord, au centre du Soudan, pour pénétrer en territoire contrôlé par les FSR, un groupe paramilitaire responsable d’innombrables crimes de guerre et génocide, durant le conflit dévastateur qui ravage le pays.
Les deux camps la considéraient avec suspicion. «J’étais constamment interrogée», a confié Amira au journal britannique avant d’ajouter : «J’étais surveillée tous les jours et même lorsque j’allais au marché, on me demandait d’où venait l’argent».
Townsend estime que dans ce climat de peur et de méfiance, le Soudan, confronté à la pire crise humanitaire au monde, a offert l’une des histoires les plus inspirantes de l’année.
L’action humanitaire devenue extrêmement dangereuse
À travers ce vaste pays, des antennes de cellules de crise ont vu le jour, créées par de simples citoyens soudanais pour fournir nourriture et soins médicaux vitaux à des millions de personnes. Amira n’osait même pas révéler à sa mère son appartenance à ce réseau.
Le journaliste explique que l’action humanitaire au Soudan est devenue extrêmement dangereuse, et pourtant, le réseau des cellules de crise s’est développé pour compter quelque 26 000 volontaires œuvrant dans 96 des 118 districts du pays, apportant une aide à plus de 29 millions de personnes soit plus de la moitié de la population.
Le Guardian décrit ce réseau comme unique par sa capacité à transcender les clivages ethniques et régionaux et à gagner la confiance des communautés locales, ce qui en fait un élément crucial du maintien d’une certaine cohésion sociale dans un pays ravagé par la guerre.
Cependant, cette même efficacité a fait des volontaires des cibles directes pour les belligérants. Selon le rapport, au moins 145 volontaires ont été tués, tandis qu’un nombre indéterminé a été arrêté ou a disparu en raison du manque de communication dans de vastes régions du pays. Les volontaires sont également soumis à la torture, aux passages à tabac et à des accusations de partialité politique.
À l’échelle internationale, l’enquête du Guardian révèle un paradoxe frappant. Bien qu’étant l’organisation la plus efficace et la moins coûteuse sur le terrain par rapport aux agences des Nations Unies, les Cellules de réponse d’urgence (CRU) souffrent d’une grave pénurie de financement.
Selon The Guardian, ces cellules ont reçu moins de 1% de l’aide internationale totale allouée au Soudan. La suspension de l’aide américaine a exacerbé la crise, laissant les CRU avec un déficit financier de 77%. Cette situation a entraîné la fermeture de centaines de cuisines communautaires qui permettaient d’éviter une famine généralisée.
Besoin d’aides et non de compliments
Townsend note dans son rapport que la visite de représentants des CRU à Londres et leur rencontre avec le ministre britannique des Affaires étrangères constituent une reconnaissance politique significative de leur courage. Cependant, les volontaires insistent sur le fait que leur véritable besoin est une protection et un financement direct et non des éloges.
Le journaliste britannique ajoute que les CRU ont été nominées cette année pour le prix Nobel de la paix mais, à la surprise de nombreux acteurs humanitaires, elles ne l’ont pas obtenu. Toutefois, les volontaires sont restés imperturbables. «On veut juste aider», a déclaré Jamal, l’un d’eux.
Il convient de noter que la création de ces services d’urgence est attribuée aux Comités de résistance, apparus lors des manifestations populaires contre le régime d’Omar El-Béchir et qui ont joué un rôle déterminant dans sa chute en avril 2019.
Face à la mobilisation populaire en faveur d’un pouvoir civil durant la période de transition, et malgré la répression croissante et les attaques ciblées contre les manifestants, des initiatives médicales d’urgence temporaires ont vu le jour pour soigner les blessés. Ces initiatives ont constitué le noyau initial des services d’urgence, menées par de jeunes hommes et femmes, pour la plupart membres des Comités de résistance, dans le but d’apporter une aide à leurs communautés.
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