Lese-Ansicht

Es gibt neue verfügbare Artikel. Klicken Sie, um die Seite zu aktualisieren.

Tunisie | Interdiction des chèques antidatés et révélation des lois du marché

L’objectif officiel de la réforme des chèques en Tunisie est limpide : moderniser un système de paiement archaïque, restaurer la confiance dans l’instrument et lutter contre les impayés. La Loi N°41-2024, en vigueur depuis le 2 février 2025, a effectivement mis un terme radical à une pratique illégale mais omniprésente : l’émission de chèques antidatés, cet artifice qui permettait de régler un bien aujourd’hui avec un engagement payable demain.

Houssem Djelassi *

Le résultat le plus visible et le plus commenté de cette réforme est un recours massif au cash, un véritable paradoxe pour une loi visant à dématérialiser les transactions. Les commerçants, craignant la complexité de la nouvelle plateforme TuniCheque ou refusant tout simplement les chèques, affichent désormais des pancartes explicites : «Paiement en espèces uniquement». Les données de la Banque Centrale de Tunisie confirment cette tendance, avec une hausse notable de la masse monétaire en circulation.

Pourtant, en forçant l’économie à abandonner cet «argent fantôme» que constituaient les chèques différés, la réforme a opéré une purge bien plus profonde. Elle a mis à nu les véritables mécanismes de l’offre et de la demande, longtemps faussés par un crédit informel et risqué. Ce n’est pas seulement une révolution des moyens de paiement, c’est une révélation sur la nature même des prix et de la consommation en Tunisie.

Le chèque antidaté : un crédit fantôme qui faussait le marché

Pendant des décennies, le chèque postdaté a bien plus été un instrument de crédit informel qu’un simple moyen de paiement. Pour les ménages aux revenus modestes ou irréguliers, il était la clé d’accès à la consommation de biens durables. Pour les PME, il servait de mécanisme de trésorerie pour gérer les délais de paiement entre fournisseurs et clients.

Ce système reposait sur une fiction collective : la promesse d’une provision future, souvent incertaine. Il créait une demande artificielle, dissociée de la capacité de paiement immédiate des consommateurs. Un client pouvait ainsi «acheter» un réfrigérateur d’une valeur de 3 000 dinars avec une série de chèques, sans que le commerçant ne dispose d’aucune garantie réelle sur la solvabilité à venir, si ce n’est la menace de poursuites pénales. Le prix affiché n’était donc plus un signal pur du marché, mais un montant ajusté à la facilité apparente du crédit fourni par le vendeur lui-même.

Le retour aux fondamentaux : une demande réelle et une guerre des prix

Le choc de la réforme a été brutal. Du jour au lendemain, cette facilité de crédit a disparu. La demande, privée de son carburant fictif, s’est contractée. Les chiffres sont éloquents : des commerçants rapportent des baisses de ventes dans des secteurs comme l’électroménager, la téléphonie.

Face à cette nouvelle réalité, les stratégies d’adaptation des commerçants sont révélatrices. Pour survivre et attirer une clientèle désormais contrainte par son cash disponible, une seule arme est redevenue centrale : le prix.

  • Réajustement à la baisse : confrontés à une baisse drastique du volume des transactions, de nombreux détaillants ont commencé à réviser leurs marges et à proposer des promotions agressives. L’objectif est de recoller au plus près au pouvoir d’achat réel et immédiat du consommateur.
  • Valorisation du cash : le liquide, autrefois encombrant et risqué, est devenu roi. Les commerçants offrent souvent des remises ou des conditions avantageuses pour les paiements en espèces, car ils évitent ainsi toute friction liée aux nouveaux chèques ou aux délais de virement.
  • Segmentation clientèle : la réforme a creusé le fossé entre les clients disposant d’un revenu formel et stable (éligibles aux prélèvements automatiques ou aux crédits structurés) et les autres. Les commerçants doivent désormais composer avec cette segmentation plus nette de la demande.

Ce phénomène illustre un retour aux fondamentaux de l’économie : le prix redevient le principal régulateur entre une offre qui doit écouler ses stocks et une demande contrainte par sa liquidité. La conjoncture économique difficile, marquée par une inflation persistante et une croissance atone, amplifie cette pression. Les entreprises sont forcées d’être plus compétitives sur les prix, car elles ne peuvent plus compenser par le volume artificiel généré par le crédit informel.

Une transition douloureuse vers une économie plus saine ?

Si les effets à court terme sont douloureux (ralentissement de la consommation, difficultés de trésorerie pour les PME, exclusion d’une partie de la population du marché formel), ils pourraient jeter les bases d’une économie plus saine à moyen terme.

  • Transparence et confiance : la plateforme TuniCheque, en permettant de vérifier les fonds en temps réel, élimine le risque d’impayés pour le commerçant et restaure le chèque dans sa fonction originelle d’instrument de paiement sûr.
  • Formalisation du crédit : en tarissant la source du crédit informel, la réforme force le système financier à innover. Le développement de produits de crédit à la consommation adaptés, de cartes de crédit ou le BNPL, de financements par traites ou d’affacturage pour les PME devient une nécessité impérieuse. Cette formalisation permettrait un accès au crédit mieux évalué, moins risqué et à des coûts plus transparents.
  • Efficacité du marché : un marché où les prix reflètent la rencontre d’une offre et d’une demande réelles est un marché plus efficace. Il alloue les ressources de manière plus optimale et envoie des signaux plus clairs aux producteurs et aux consommateurs.

On ne peut pas indéfiniment cacher l’inexistant

La réforme tunisienne des chèques nous enseigne une leçon fondamentale : on ne peut pas construire une croissance durable sur la promesse de paiements futurs non garantis. En interdisant les chèques antidatés, le législateur a retiré le voile qui occultait les déséquilibres réels de l’économie.

La transition est âpre, et ses coûts sociaux sont élevés. Le succès de cette réforme «disruptive» dépendra désormais de la capacité des pouvoirs publics, des banques et du secteur privé à proposer des alternatives et des solutions de financement inclusives et modernes. Si cette condition est remplie, la Tunisie pourrait sortir de cette épreuve avec un système financier plus robuste, où le prix des biens n’est plus une illusion de crédit, mais le véritable reflet de leur valeur sur un marché assaini.

* Fondateur, Ceo de Planif Pay® (Amana Finnovation).

Du même auteur :

L’article Tunisie | Interdiction des chèques antidatés et révélation des lois du marché est apparu en premier sur Kapitalis.

❌