Rapport IACE 2025 : les entreprises privées, pilier fiscal face à l’érosion de la base imposable
Réalisé par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), le Rapport National sur l’Entreprise en Tunisie pour l’année 2025 révèle une économie marquée par une forte atomisation de son tissu productif. Sur 824 593 entreprises recensées fin 2023, près de 87,5 % sont des structures sans salariés, traduisant une concentration massive sur le micro-travail indépendant et l’auto-emploi. Les entreprises employeuses ne représentent que 103 518 unités, dont 89 958 microentreprises, 12 663 petites et moyennes entreprises et 897 grandes entreprises.
Cette configuration met en évidence une base productive numériquement dense mais économiquement fragile. Les microentreprises dominent avec 87 % des entreprises employeuses mais ne contribuent qu’à 17,8 % de l’emploi salarié et 3 % aux impôts directs. À l’opposé, les grandes entreprises, bien que ne représentant que 0,87 % des entreprises employeuses, concentrent 44 % de l’emploi salarié avec 511 988 postes.
Le secteur privé, pilier du financement public
L’analyse de la contribution fiscale révèle le rôle central des entreprises privées dans le financement de l’État. Ces entreprises assurent en moyenne près de 53 % des recettes fiscales totales, incluant l’impôt sur les sociétés à hauteur de 13,24 %, la taxe sur la valeur ajoutée collectée représentant près de 28 % et l’impôt sur le revenu retenu à la source pour environ 11 %. Toutefois, le nombre d’entreprises déclarantes a chuté de 8,3% entre 2023 et 2024, passant de 113 137 à 103 756 unités, révélant une érosion de la base imposable.
Les entreprises privées dominent également la création de richesse avec une valeur ajoutée de 90 772 millions de dinars en 2024, soit 58,69 % du total, contre 10,52 % pour les entreprises publiques. Sur le plan de l’investissement, le secteur privé représente 79,21 % de la formation brute de capital fixe des entreprises avec une moyenne de 10 512,9 millions de dinars sur la période 2020-2024.
Le fardeau des entreprises publiques
Le contraste avec les entreprises publiques est saisissant. Entre 2020 et 2024, leurs flux budgétaires nets demeurent négatifs. En 2022, l’écart entre les transferts reçus de l’État, soit 14 560,6 millions de dinars, et les paiements effectués au profit du budget, soit 7 620,8 millions de dinars, représentait 62,7 % du déficit budgétaire. L’écart moyen sur la période avoisine 2 338,6 millions de dinars par an, soit 22,13 % du déficit budgétaire moyen.
La rémunération annuelle moyenne d’un travailleur des entreprises publiques atteint 45 217 dinars. Tandis que les subventions publiques moyennes s’élèvent à 9 809 millions de dinars par an pour un déficit agrégé de près de 2 981 millions de dinars. Les entreprises publiques n’emploient que 106 879 personnes, soit 4,05 % de l’emploi formel, et leur taux d’investissement de 14,6 % reste inférieur de trois points à la moyenne nationale.
Disparités régionales persistantes
L’examen des dix dernières délégations en termes d’indice de développement régional pour les années 2021 et 2024 met en lumière un déséquilibre territorial profond. Les délégations concernées se situent presque exclusivement dans les gouvernorats de Kasserine, Kairouan, Jendouba, Sidi Bouzid et Gafsa. Le constat montre que l’impact des entreprises dépend moins du nombre total d’unités que de la présence d’un noyau de petites et moyennes entreprises employeuses et de grandes entreprises structurantes.
Des délégations comptant entre 2 000 et 3 600 unités de production mais sans petites et moyennes entreprises matures ni grandes entreprises restent en bas du classement. Tandis que celles disposant d’un noyau de petites et moyennes entreprises avec des effectifs de 50 à 100 emplois ou plus améliorent rapidement leurs indicateurs. Et ce, particulièrement lorsqu’une grande entreprise ancre des chaînes de valeur locales.
L’industrie manufacturière en difficulté
En 2022, le salaire annuel moyen dans l’industrie manufacturière s’élève à 12 886 dinars par travailleur, variant de 8 477 dinars dans l’habillement à 29 438 dinars dans le raffinage. Les grandes entreprises manufacturières conservent un poids déterminant avec 43 % de l’emploi salarié privé et 18 % de la valeur ajoutée marchande.
Les indicateurs d’efficacité du capital révèlent cependant des signaux préoccupants. Entre 2018 et 2022, le coefficient du capital a reculé dans la quasi-totalité des branches industrielles, passant de 0,27 à 0,248 dans l’agroalimentaire, de 0,40 à 0,33 dans le textile-habillement et de 0,49 à 0,40 dans l’industrie chimique. Ces baisses traduisent un désinvestissement relatif dans plusieurs branches, accentué par la faiblesse de la demande interne et les tensions de trésorerie.
Le stock de capital moyen par entreprise confirme ces écarts structurels avec : 457 447 dinars pour l’industrie chimique; 335 579 dinars pour l’agroalimentaire; et seulement 159 890 dinars pour le textile-habillement. Reflétant ainsi la nature main-d’œuvre intensive de ce segment.
Trois priorités pour un nouveau pacte productif
Face à ces constats, le rapport préconise un nouveau pacte productif articulant trois priorités majeures. La première consiste à renforcer la productivité et la taille critique du secteur privé. Et ce, en soutenant la montée en gamme des microentreprises vers le statut de petites et moyennes entreprises innovantes. Cette transition suppose d’élargir l’assiette de l’impôt sur les sociétés par la formalisation des microentreprises, de digitaliser la fiscalité et de lutter plus efficacement contre la sous-déclaration et la concurrence informelle. L’amélioration de l’accès au financement et à l’innovation pour les petites et moyennes entreprises constitue également un levier essentiel.
La deuxième priorité porte sur la réforme de la gouvernance et de la performance des entreprises publiques pour réduire leur charge budgétaire. La nécessité de repenser la viabilité financière de ces entreprises, dont la contribution nette au budget demeure négative, apparaît indispensable pour préserver la soutenabilité budgétaire du modèle économique tunisien.
La troisième priorité vise à stimuler l’investissement industriel et technologique, condition indispensable d’une croissance inclusive et durable. Le rapport recommande de relancer l’investissement productif, de renforcer la capacité d’innovation et de stimuler la montée en gamme technologique afin d’enrayer la dégradation du capital productif et de réduire la dépendance à la main-d’œuvre à bas coût. La modernisation du tissu industriel apparaît donc comme une condition essentielle pour consolider la croissance, améliorer la compétitivité externe et soutenir la soutenabilité fiscale du pays. Le renforcement des passerelles entre petites et moyennes entreprises et grandes structures permettrait de favoriser une intégration productive et une croissance plus équilibrée entre les régions.
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