«Je ne peux rien faire, ne me maudissez pas», ces mots sont du président iranien Massoud Pezeshkian à son peuple. Guerres, récession économique, inflation record, sécheresse très grave, pénuries d’eau et d’électricité, impasse dans les négociations avec les États-Unis, face à ce contexte très difficile le président iranien a préféré l’aveu d’impuissance. D’autant plus que dans le système politique iranien, les prérogatives du président sont limitées, le pouvoir reste entre les mains du Guide suprême. Cette approche de vérité change de la langue de bois et des dirigeants qui vendent des chimères toutefois, ceci accentue le malaise et l’angoisse des Iraniens.
Imed Bahri
Le New York Times a publié une enquête analysant la présidence de Massoud Pezeshkian en Iran, un pays englué dans des crises économiques et politiques étouffantes. Cette période a été marquée par des aveux publics sans précédent d’une incapacité à proposer des solutions, compte tenu des contraintes du régime, des sanctions et des conflits extérieurs. Sa franchise, que certains jugent réaliste, exacerbe chez d’autres un sentiment de vide et d’angoisse, l’Iran craignant une explosion sociale sans perspective de sortie.
Farnaz Fassihi et Leily Nikounazar affirment dans leur enquête que dans un contexte d’inflation record, de graves pénuries d’eau et d’électricité et l’impasse dans les négociations avec les États-Unis, le président iranien Massoud Pezeshkian semble avoir choisi une vérité qui choque: il n’a pas de solutions.
La première année de mandat de Pezeshkian est unanimement qualifiée de désastreuse. Cette période a été marquée par des assassinats de dirigeants régionaux et d’alliés, des frappes aériennes israéliennes et américaines, la destruction d’installations nucléaires, une récession économique persistante et des conditions de vie déplorables qui pèsent sur le quotidien des Iraniens. Et si ces derniers attendaient des réponses ou des solutions de leur président, Pezeshkian a été d’une clarté inhabituelle : «N’attendez pas de miracles de ma part».
Des aveux d’impuissance sans précédent
Au cours de ses interventions publiques ces dernières semaines, le président iranien a semblé plus enclin à admettre son impuissance qu’à rassurer. S’adressant à des étudiants et des universitaires début décembre, il a déclaré sans ambages : «Si quelqu’un peut faire quelque chose, qu’il le fasse. Je ne peux rien faire, ne me maudissez pas».
Lors d’autres rencontres avec des responsables gouvernementaux, il a décrit la situation du pays comme «bloquée, complètement bloquée», ajoutant: «Depuis notre entrée en fonction, les catastrophes s’accumulent et ne cessent de s’aggraver».
Il est allé encore plus loin, blâmant le peuple iranien lui-même –et non les États-Unis ou Israël– pour la crise, arguant que la corruption, les conflits internes et des décennies de politiques de dépenses inconsidérées étaient à l’origine du problème. Il a déclaré sans ambages : «Le problème, c’est nous».
Ce mois-ci, Pezeshkian a demandé aux gouverneurs et aux responsables locaux d’agir «comme si le gouvernement central n’existait pas et de régler leurs propres problèmes», ajoutant: «Pourquoi devrais-je les régler? Vous ne devez pas croire que le président est capable de faire des miracles».
Colère et inquiétudes au sein du régime
Des extraits de ces propos ont largement circulé en Iran, déclenchant un vif débat. Le journaliste Ali Zia a déclaré dans une vidéo largement partagée: «Pezeshkian ne dirige pas le gouvernement. Il l’a mis en pilotage automatique et a abandonné tout contrôle. C’est le sentiment général».
Selon des responsables gouvernementaux et deux membres de l’aile conservatrice, alliés et opposants du président ont exprimé en privé leur mécontentement, estimant que cette rhétorique donne une image d’un État faible et impuissant à un moment particulièrement délicat.
Dans le système politique iranien, le président dispose d’une influence limitée sur la politique, la décision finale revenant au Guide suprême Ali Khamenei âgé de 86 ans. Les précédents présidents ont rarement reconnu publiquement les limites de leur marge de manœuvre.
Toutefois, Pezeshkian ne s’en est jamais caché. Il a déclaré à plusieurs reprises être lié par les décisions du Guide suprême sur les questions cruciales, notamment le programme nucléaire et les relations avec Washington. Il a également reconnu ne pas avoir pu tenir ses promesses de lever les restrictions sur les réseaux sociaux comme Instagram, malgré l’utilisation massive de VPN par les Iraniens pour contourner la censure.
Honnêteté ou dissimulation ?
Certains réformateurs voient dans la franchise de Pezeshkian une approche novatrice. L’ancien vice-président Mohammad Ali Abtahi a défendu le président, déclarant : «Parler franchement au peuple est un phénomène nouveau. Ce n’est pas de la naïveté, c’est de la politique. Il ne veut pas susciter de faux espoirs et se trouver ensuite dans l’incapacité de les satisfaire».
Cependant, les conservateurs n’ont pas accepté ce raisonnement. Certains ont même réclamé sa démission. Le député d’extrême droite Kamran Ghazanfari a déclaré lors d’une émission télévisée: «Alors pourquoi êtes-vous devenu président ? Vous êtes censé résoudre les problèmes de la société, pas passer votre temps à dire: Nous n’avons pas ceci, nous n’avons pas cela».
Une présidence marquée par les crises
Pezeshkian, 71 ans, chirurgien cardiaque, ancien ministre de la Santé et ancien député, a accédé à la présidence en septembre 2014 suite au décès du président Ebrahim Raisi dans un accident d’hélicoptère. Et les crises n’ont pas tardé à se multiplier. Le jour de son investiture, Israël assassinait à Téhéran le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Puis, en juin, une guerre directe éclatait entre l’Iran et Israël durant douze jours et se terminant par des frappes américaines qui ont gravement endommagé les installations nucléaires iraniennes.
Pezeshkian lui-même a échappé de justesse à la mort lorsque Israël a bombardé une réunion secrète de sécurité nationale qu’il présidait dans un bunker souterrain.
En même temps l’économie s’effondre et la société suffoque. Les sanctions américaines imposées depuis 2018 continuent d’étrangler l’économie iranienne. Les perspectives d’un accord avec Washington pour un allègement de ces sanctions semblent sombres, tandis que la menace d’une nouvelle confrontation avec Israël plane.
«L’Iran est paralysé tant sur le plan intérieur qu’extérieur», a déclaré Sanam Vakil, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House avant d’ajouter : «Pezeshkian tente de mettre en lumière les contraintes qui pèsent sur lui mais cela résoudra-t-il la crise ? J’en doute».
La monnaie nationale, le rial, continue de chuter. Un dollar a atteint 1,3 million de rials sur le marché libre, soit plus du double de sa valeur lors de l’arrivée au pouvoir de Pezeshkian.
L’inflation est estimée à environ 60% et les prix de certains produits de première nécessité ont été multipliés plusieurs fois. Selon les rapports officiels, les prix des produits laitiers ont triplé en peu de temps.
«Sans les cartes bancaires, nous aurions besoin de transporter des sacs remplis d’argent liquide pour nos achats quotidiens», témoigne Soheil, un ingénieur d’Ispahan.
Un rapport du ministère des Affaires sociales indique que les Iraniens consomment actuellement 400 calories de moins que l’apport journalier minimum recommandé.
Mehshid, un enseignant retraité de Téhéran, confie : «J’ai dû vendre mon or et puiser dans mes économies. La viande et le poulet ne sont plus qu’un luxe, et bientôt, nous n’aurons même plus les moyens d’acheter des œufs».
Pas de solution miracle et des signes d’explosion
Les économistes insistent sur l’absence de solutions à court terme à ces crises imbriquées. Amir Hossein Khaleghi, économiste à Ispahan, affirme : «Sans un changement radical de la politique étrangère, aucune avancée intérieure ne sera possible».
Azar Mansouri, chef du mouvement réformateur, prévient que le pays est au bord de l’explosion : «Le peuple est en colère et gouverner de cette manière est intenable».
Pour l’instant, le Guide suprême Ali Khamenei continue d’apporter son soutien au président, le qualifiant récemment de «diligent» et d’«honorable», dans un message que les analystes ont interprété comme un avertissement à ses détracteurs contre toute tentative de déstabilisation du pays.
Malgré son ton grave, Pezeshkian insiste sur son maintien au pouvoir : «Je tiendrai jusqu’au bout».
Cependant, la question qui préoccupe de plus en plus les Iraniens n’est plus : Comment le président va-t-il résoudre les crises ? Mais plutôt : Que signifie l’affirmation du président lui-même selon laquelle il ne le peut pas ?
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