Système fiscal tunisien : un gouffre de 8 points avec les standards internationaux
25,2%. Ce ratio des recettes fiscales au PIB résume à lui seul le mal tunisien. Loin, très loin des 33,9% affichés par les pays de l’OCDE en 2023, ce chiffre creuse un gouffre de plus de 8 points qui handicape durablement les finances publiques. Derrière cette performance peu flatteur se cache une réalité encore plus préoccupante : un système fiscal « obsolète, injuste, et incapable » de financer les ambitions de la « Vision Tunisie 2035 ».
L’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) tire la sonnette d’alarme dans une étude intitulée « Vers un système fiscal équitable, incitatif et résilient au service de la Vision 2035 ». Le diagnostic est sans appel: l’architecture fiscale tunisienne souffre de déséquilibres profonds, hérités de décennies d’ajustements improvisés.
Premier constat : la Tunisie fait reposer son système fiscal sur les épaules des consommateurs. Les impôts indirects captent 57,2% des recettes totales (25 891 millions de dinars en 2025), pendant que les impôts directs peinent à atteindre 42,8% (19 358 millions de dinars). À titre de comparaison, les pays développés affichent un équilibre inverse : dans l’OCDE, les taxes sur la consommation ne pèsent que 31,6% du total.
La TVA règne en maître absolu avec 26,6% des recettes fiscales (12 028 millions de dinars en 2025). Cette prédominance garantit certes une certaine stabilité budgétaire, mais au prix d’une profonde injustice sociale. Les ménages modestes, qui consacrent l’essentiel de leurs revenus aux dépenses courantes, subissent proportionnellement une pression fiscale bien plus lourde que les catégories aisées.
Des entreprises sous-contributives
L’impôt sur les sociétés ne représente que 14,5% des recettes en 2025 (6 578 millions de dinars, secteur pétrolier inclus). Un niveau anémique comparé aux standards internationaux, qui révèle une double fragilité: d’une part, une base fiscale étroite concentrée sur quelques grandes entreprises ; d’autre part, une vulnérabilité excessive aux fluctuations du marché énergétique, les sociétés pétrolières contribuant à hauteur de 983 millions de dinars contre 5.595 millions pour les entreprises non-pétrolières.
Mais l’illustration la plus criante de l’inégalité du système reste le régime forfaitaire. Ses bénéficiaires représentent 38,9% des contribuables, pourtant leur apport n’a jamais dépassé 0,5% des recettes fiscales ces 5 dernières années. Un paradoxe qui alimente le sentiment d’injustice fiscale.
5,2 milliards de dinars volatilisés
Au-delà des déséquilibres structurels, le système souffre d’une hémorragie de recettes. L’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) évalue le « tax gap » – l’écart entre ce qui devrait être collecté et ce qui l’est effectivement – à 4,2% du PIB, soit environ 5,2 milliards de dinars qui échappent chaque année aux caisses de l’État.
Face à ces constats accablants, l’ITES martèle son message : réformer le système fiscal n’est plus une option politique parmi d’autres, mais une question de survie économique. Les décisions prises aujourd’hui détermineront la capacité de la Tunisie à tenir les promesses de développement durable, d’équité et d’inclusion portées par la Vision 2035. Pour la jeunesse tunisienne surtout, l’enjeu est existentiel : c’est leur avenir qui se joue dans ces arbitrages fiscaux.
La réforme ne pourra être ni superficielle ni fragmentée. Elle exige une refonte complète, guidée par une vision stratégique cohérente. Le statu quo, lui, n’est tout simplement plus tenable.
L’article Système fiscal tunisien : un gouffre de 8 points avec les standards internationaux est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.

Hanen Marouani navigue entre l’Italie et la France. Docteure en langue et littérature françaises, poète et traductrice, elle a publié quatre recueils de poésie entre Tunis et Paris : Les Profondeurs de l’invisible (2019), Le Soleil de nuit (2020), Le Sourire mouillé de pleurs (2020) et Tout ira bien… (2021). Diplômée de l’université de Sienne en langue italienne et de l’université de Rouen en didactique du français langue étrangère, elle interroge dans ses travaux la place des femmes dans la littérature, l’immigration et les inégalités de genre.