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Quel avenir pour les mathématiques en Tunisie ?

Nous reproduisons ci-dessous le texte de l’intervention de l’auteur dans un workshop sur le thème «Mathématiques et Société» qui s’est tenu à l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts-Beit El Hikma, à Carthage, les 11 et 12 décembre 2025. On observe depuis 2014, une chute remarquable du pourcentage des élèves de la section maths qui se présentent au baccalauréat en Tunisie qui est passé de 13% en 2014 à 11% en 2018 et 5,4% en 2025. Il est évident que la qualité des mathématiques tunisiennes est fortement dépendante du nombre de ceux qui s’y vouent. Quel avenir pour les mathématiques en Tunisie ?

Raouf Laroussi *

C’est certainement cette question ou cette inquiétude qui nous a poussé à nous réunir. Mais pourquoi cette inquiétude ? On essaiera de répondre à cette question, examiner les raisons qui ont créé la situation peu reluisante de l’enseignement des maths en Tunisie tout en proposant des pistes de solutions. On termine cet exposé par notre regard sur l’avenir des mathématiques dans notre pays.

Importance des mathématiques à l’ère de l’IA

«Sans les mathématiques, vous ne pouvez rien faire. Tout ce qui vous entoure est mathématique», disait Albert Einstein.

Depuis l’apparition de ChatGPT en novembre 2022 qui a révélé au grand public la puissance (presque miraculeuse) de l’IA générative, la question s’est posée de savoir ce qu’il y a derrière ces applications qui ont l’air de tout savoir et qui sont même capables des résoudre certains problèmes mathématiques ou de faire des tâches jadis nécessitant un spécialiste. La réponse à cette question : des mathématiques enfouies dans ce qu’on appelle Machine Learning ou Deep Learning avec, en appui, de puissants calculateurs et des données massives.

Depuis, et en quelques années, l’IA s’est démocratisée et on estime aujourd’hui que toutes les cinq minutes un nouveau modèle IA est mis en ligne.

Cette démocratisation de la production de modèles ou «agents IA» s’accompagne-t-elle d’une démocratisation des maths ou, nécessite-t-elle la démocratisation des maths ? Ma réponse est plutôt non. Pour réaliser un modèle IA, on n’a pas besoin de beaucoup de maths sauf si l’on veut concevoir un modèle à partir de rien (from the scratch) sinon les bibliothèques existantes permettent de construire un modèle ad-hoc selon le besoin sans aller chercher les maths qu’il y a derrière.

Toutefois, la maîtrise des mathématiques devient essentielle au niveau de la conception et de l’innovation. Autrement dit, le besoin d’une élite mathématique de haut niveau est essentiel au niveau de la conception et de l’innovation.

D’ailleurs la «qualité mathématique» est importante dans toute la chaine de valeur de l’IA depuis l’extraction des matériaux rares en passant par la fabrication des puces ou la production de l’énergie nécessaire à faire tourner les modèles IA.

Evidemment, les maths ce n’est pas seulement l’IA. Toutes les sciences font appel à des mathématiques de haut niveau pour se développer.

En résumé, les mathématiques de haut niveau sont un levier indispensable de l’innovation dans tous les domaines. Et l’innovation est la clé de la souveraineté parce qu’elle permet de maîtriser les sources de la technologie et de ne pas rester dans la dépendance vis-à-vis des diverses puissances technologiques.

Rappelons-nous l’apparition soudaine en janvier 2025 de DeepSeek, l’équivalent chinois de ChatGPT qui a ébranlé l’Occident et provoqué une chute spectaculaire des actions Nvidia, le principal producteur de puces destinées à équiper les super calculateurs de l’IA.

Etat des lieux en Tunisie

«Pour la plupart de nos contemporains, les mathématiques sont administrées et ingurgitées comme un médicament», disait Seymour Papert.

Je viens de parler de mathématiques de haut niveau et de la «qualité mathématique».

Toutefois, ce qui a permis de tirer la sonnette d’alarme sur l’état des maths en Tunisie, c’est plutôt la quantité. En effet, l’on observe depuis 2014, une chute remarquable du pourcentage des élèves de la section maths qui se présentent au baccalauréat qui passe de 13% en 2014 à 11% en 2018 et 5,4% en 2025. Il est évident que la qualité des mathématiques tunisiennes est fortement dépendante du nombre de ceux qui s’y vouent.

Comment peut-on espérer produire une élite dans ce domaine sans une base étendue de jeunes étudiants dans les sections mathématiques ?

Quand on voit la tendance qui se dessine depuis 2014 du point de vue quantitatif, on ne peut que s’alarmer.

De plus, il y a certainement beaucoup d’élèves qui ont une bonne prédisposition pour les maths mais qui ne choisissent pas cette section en raison notamment de la réglementation de l’orientation universitaire qui semble défavoriser les bacheliers maths.

Cette perte au niveau de la qualité me semble la plus dangereuse.

Outre, l’impact que cela peut avoir sur la recherche et l’innovation, elle peut engendrer un cercle vicieux puisque les cohortes d’étudiants qui vont faire des maths seront privées de beaucoup de ceux qui en ont la vocation mais qui auraient choisi un autre chemin et ne feraient pas partie des enseignants de maths dans les collèges et les lycées.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pistes de solutions.

«Nul ne peut être mathématicien s’il n’a l’âme d’un poète», écrivait Sofia Kovalevskaya.

Les raisons de cette situation : i) l’orientation universitaire qui défavorise ceux qui choisissent la section maths; ii) la didactique des maths, c’est-à-dire la manière dont sont enseignées les maths qui est souvent rebutante ainsi que la perception de maths dans l’imaginaire collectif ; iii) l’organisation de l’enseignement en général qui attend une réforme qui ne vient toujours pas et de l’enseignement des maths en particulier ; iv) La mentalité héritée de la France qui fait un clivage entre formation scientifique et formation littéraire.

Ainsi ceux qui choisissent des sections scientifiques délaissent en général les langues alors qu’avant de résoudre un problème mathématique, il faut bien maîtriser la langue pour saisir les nuances des questions posées.

Ce que beaucoup n’arrivent pas à faire et leur occasionne des difficultés dans la résolution des problèmes. L’ensemble de ces aspects nous amènent à proposer les idées de solutions suivantes :

– à très court terme : redonner de l’importance à la section maths au niveau de l’orientation universitaire;

– à moyen terme : renforcer la formation en didactique des maths pour les enseignants du primaire et du secondaire, en mettant à contribution par exemples l’Institut supérieur de l’éducation et de la formation continue (Isec) ; introduire de nouvelles méthodes d’apprentissage ; scénariser des cours, quiz, exercices interactifs… ; s’inspirer de la méthode de Singapour qui consiste à rapprocher les concepts abstraits des application quotidiennes; donner des flashs historiques pour que l’apprenant sache que l’humanité a construit l’édifice mathématique sur une très longue durée, pierre après pierre. Par exemple, il a fallu des milliers d’années pour «découvrir» le zéro. Il n’y a que quelques siècles qu’on a adopté les lettres dans les équations algébriques et seulement quatre siècles que le logarithme est né ! D’ailleurs né pour répondre à un besoin concret, celui des commerçants et des astronomes qui faisaient beaucoup de multiplications nécessitant beaucoup de temps ! Alors que tout cela doit être assimilé en quelques années;

– à long terme :  réformer l’enseignement du primaire au secondaire et notamment l’enseignement des maths avec en priorité, l’unification de la langue d’enseignement des maths du primaire jusqu’à l’université.

Il est évident que le travail sur les mentalités nécessite beaucoup de temps et est une affaire de toute la société mais il faudrait que les familles et les enfants délaissent l’idée que l’on doit soit choisir les sciences soit choisir les lettres. La formation de l’esprit et la maîtrise des différentes disciplines ne peut en fait se concrétiser qu’à travers un minimum de maîtrise de l’ensemble du spectre de la formation, notamment la formation en langues, littérature et sciences.

«Les hautes mathématiques sont l’autre musique de la pensée», notait George Steiner.  

Ma réponse à la question posée dans le titre de cet exposé est, sans excès d’optimisme, que l’avenir des maths en Tunisie sera radieux.

Pourquoi cet optimisme ?

Il n’y a qu’à se tourner vers l’histoire récente de la Tunisie. Fraichement sortie du colonialisme, notre pays a donné à la communauté mathématique mondiale de brillants mathématiciens.

On en citera Mohamed Salah Baouendi, né en 1937 (il avait 19 ans lors de l’indépendance), élève au Collège Sadiki avant de poursuivre ses études en France et d’entamer une carrière en France, en Tunisie, et aux Etats-Unis.

Mais aussi Abbes Bahri né en 1955 (quelques mois avant l’indépendance) dont tout le monde connait la carrière fulgurante.

Je ne citerai que ces deux grands mathématiciens tunisiens pour étayer la thèse de l’excellence tunisienne malgré un environnement pas très favorable…

On pourrait évidemment citer des dizaines de brillants mathématiciens tunisiens qui portent haut notre drapeau aux instances internationales.

Alors, aujourd’hui, certes la base se rétrécit, mais il y aura toujours des jeunes pour reprendre le flambeau, soutenus par des moins jeunes qui aiment les maths et aiment la Tunisie !

* Mathématicien.

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