La Biat a été distinguée par le label «Élu Service Client de l’Année 2026» lors d’une cérémonie organisée le 18 décembre 2025 à Tunis. Cette reconnaissance vient saluer son engagement en faveur d’une prise en charge client de qualité. Elle souligne une démarche orientée vers la qualité et la satisfaction du client.
La Biat a obtenu le prix «Élu Service Client de l’Année 2026» à la suite de sa participation à un concours lancé par ESCDA selon un processus d’évaluation global et rigoureux, dans la catégorie «Banques». Le principe de cette évaluation repose sur la réalisation d’enquêtes mystères effectuées à travers différents canaux de communication avec la clientèle pour mesurer la rapidité de la prise en charge, la disponibilité des équipes commerciales et la pertinence des réponses. Ce concours a pour objectif de mettre en lumière la qualité du service bancaire offert, que ce soit au niveau de l’agence, du site internet ou via le Centre de Relations Clients.
Cette performance repose sur un ensemble d’initiatives concrètes que la BIAT a menées ces dernières années pour optimiser l’expérience client. La BIAT a lancé en 2021 sa nouvelle génération d’agences bancaires pour faire évoluer l’expérience qu’elle entend offrir à ses clients, avec des espaces plus transparents, des parcours fluides, des codes modernes, des services digitaux et des espaces de libre-service accessibles en continu. Ces évolutions reflètent une volonté d’allier proximité, modernité et qualité de prise en charge. La mise en place de solutions digitales de gestion des files d’attente et de prise de rendez-vous contribue aussi à fluidifier les visites en agence et à améliorer l’expérience de service.
Parallèlement, la Biat a renforcé l’organisation de la prise en charge à distance à travers son Centre de Relations Clients. Celui-ci assure le traitement des appels émis vers les agences afin d’assurer un service rapide et efficace et de permettre aux équipes en agence de se consacrer à leur mission principale qui consiste à accompagner la clientèle. Par ailleurs, le Centre de Relations Clients prend en charge les demandes reçues via l’e-mail, la messagerie MyBiat, le site web, les réseaux sociaux…
La distinction «Élu Service Client de l’Année 2026» attribuée à la Biat vient ainsi récompenser son engagement à placer le service et la satisfaction du client au centre de de ses priorités. Elle reflète une stratégie axée sur la qualité, la modernité et l’excellence, portée au quotidien par des équipes mobilisées au service de l’ensemble de sa clientèle.
Banque universelle, acteur de référence en Tunisie, la Biat constitue aujourd’hui un groupe bancaire solide avec ses filiales dans les domaines de l’assurance, de la gestion d’actifs, du capital-investissement, de l’intermédiation boursière et du conseil.
Implantée sur tout le territoire, la Biat compte aujourd’hui 206 agences à travers toute la Tunisie. Près de 2500 collaborateurs travaillent au service de tous ses clients : particuliers, professionnels, PME, grandes entreprises et institutionnels.
Très attentive à sa responsabilité sociétale, la Biat a traduit son positionnement citoyen par de nombreux engagements. La création de la Fondation Biat pour la jeunesse tunisienne, au printemps 2014, en est emblématique et ancre cet engagement de façon pérenne.
Le Printemps arabe n’est pas terminé, et les régimes arabes le savent. Même si quinze ans après, les gouvernements ont interdit les manifestations, manipulé les élections et réécrit les constitutions pour s’assurer que 2011 ne se reproduise jamais.(Ph. Révolution tunisienne, le 14 jnvier 2011).
Mohamad Elmasry *
Il y a exactement quinze ans, l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi en Tunisie déclenchait un mouvement de protestation panarabe sans précédent, témoignant de l’immense désir du monde arabe d’instaurer des formes de gouvernement plus démocratiques.
Dans des scènes extraordinaires, des millions de manifestants, à travers plusieurs pays, se sont rassemblés contre des dirigeants autoritaires au pouvoir depuis des décennies, contestant des systèmes politiques marqués par la répression, la corruption et l’exclusion.
Les revendications des manifestants portaient sur des structures de pouvoir centralisées qui engendraient corruption et injustice et concentraient les richesses entre les mains d’une minorité. Ce qui suivit ne fut pas simplement une révolte régionale, mais une revendication historique de dignité, de responsabilité et de démocratie.
Comme on pouvait s’y attendre, les régimes réagirent par une répression brutale : de nombreux manifestants furent tués, battus ou arrêtés.
Cependant, le mouvement prodémocratie remporta des succès initiaux significatifs.
En quelques mois, quatre dictateurs de longue date – Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Égypte, Mouammar Kadhafi en Libye et Ali Abdullah Saleh au Yémen – furent renversés.
Dans une poignée de pays – dont le Bahreïn, l’Algérie et l’Irak – les régimes réussirent à étouffer les manifestations, les interrompant avant qu’elles ne prennent de l’ampleur.
Dans d’autres pays, les mouvements de protestation aboutirent à des réformes limitées ou, dans le cas de la Syrie, à une guerre civile prolongée sans changement de régime immédiat.
À l’instar de la Syrie, la Libye et le Yémen finirent par sombrer dans un conflit violent.
L’Égypte et la Tunisie furent les seuls pays du Printemps arabe à pouvoir se prévaloir de succès significatifs à long terme : les deux pays ont rapidement renversé leurs dictateurs et ont entamé presque immédiatement des transitions démocratiques.
Malgré des résultats mitigés, les observateurs ont généralement salué le Printemps arabe comme un moment démocratique révolutionnaire pour une région longtemps engluée dans la tyrannie.
Pourtant, quinze ans plus tard, il est clair que si les revendications populaires en faveur de la démocratie ont persisté, les régimes autoritaires ont appris à s’assurer que de tels soulèvements ne puissent plus jamais aboutir.
Les cas de l’Égypte et de la Tunisie
En Tunisie comme en Égypte, les transitions démocratiques ont d’abord semblé s’installer : des assemblées constituantes ont été formées, de nouvelles constitutions ont été rédigées, de nouveaux partis politiques et médias ont été créés, et de nouveaux dirigeants politiques ont été élus.
Il est important de noter que, dans les deux pays, les partis formés par les Frères musulmans – qui sont depuis longtemps bien organisés dans une grande partie de la région – ont rapidement acquis de l’influence.
Certains observateurs ont perçu la montée en puissance politique et l’influence des islamistes centristes comme un phénomène bienveillant, voire positif, tandis que d’autres y ont vu un problème.
Abstraction faite des débats sur les mérites ou les lacunes potentiels de l’islam politique, la Tunisie et l’Égypte étaient initialement perçues comme des modèles prometteurs de transformation démocratique arabe, précisément parce qu’elles laissaient entrevoir que l’autoritarisme n’était pas une fatalité arabe.
Bien que leurs transitions aient été marquées par de sérieux défis et parfois de véritables crises, ces deux pays ont démontré que les sociétés arabes modernes étaient capables de construire des systèmes démocratiques, même imparfaits et fragiles.
Plus important encore, peut-être, les exemples de la Tunisie et l’Égypte ont montré que les citoyens arabes étaient désireux de participer aux élections : les taux de participation électorale dans les deux pays étaient comparables à ceux de certaines démocraties occidentales établies.
Mais les apparences et les chiffres de participation étaient, au moins en partie, trompeurs, notamment dans le cas de l’Égypte, où le Parti Liberté et Justice des Frères musulmans et ses représentants ont remporté les référendums et les élections, y compris la présidence, sans pour autant exercer véritablement le pouvoir.
L’«État profond» égyptien – l’armée, la police, les services de renseignement, le système judiciaire et les médias – n’a jamais complètement quitté la scène politique.
L’ancien régime a réussi à saboter deux parlements élus, puis, à l’été 2013, a collaboré avec des libéraux égyptiens anti-islamistes pour renverser le premier président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi.
Le coup d’État égyptien de 2013 a représenté un renversement complet de la démocratie, un retour au statu quo d’avant 2011, et sans doute quelque chose d’encore plus autoritaire.
Abdel Fattah Al-Sissi, ancien ministre de la Défense de Morsi, a rapidement consolidé son pouvoir. Il a orchestré des arrestations massives, l’interdiction des partis politiques, la fermeture des médias, des élections contrôlées et la refonte complète du système juridique et politique égyptien.
Des experts ont démontré, à juste titre, que le système autoritaire instauré par Al-Sissi est encore plus autoritaire que celui de Moubarak.
L’expérience démocratique de la Tunisie a duré plus longtemps que celle de l’Égypte, mais a finalement connu un recul similaire.
En 2014, la Tunisie a élaboré une nouvelle constitution et élu son premier président démocratiquement élu, Béji Caïd Essebsi.
Mais l’élection, en 2019, d’un nouveau président, Kaïs Saïed, a marqué le début de la fin de l’expérience démocratique tunisienne.
En juillet 2021, environ deux ans après son entrée en fonction, Saïed a renversé la démocratie tunisienne naissante, s’octroyant les pleins pouvoirs, destituant le Premier ministre et suspendant le Parlement. Depuis lors, Saïed a encore renforcé son pouvoir.
Les leçons tirées d’un échec
Il est clair que les régimes égyptien et tunisien ont tiré au moins une leçon des mouvements de protestation prodémocratie de 2010-2011 : leurs dictatures n’étaient pas suffisamment autoritaires.
Dans les deux pays, les cadres politiques et juridiques ont été soigneusement remaniés afin d’empêcher précisément le type de désobéissance civile observé il y a 15 ans. La moindre protestation ou opposition n’est pas tolérée.
En Égypte, par exemple, une loi de 2013 sur les manifestations interdit les rassemblements publics ; et une loi antiterroriste de 2015 considère comme un acte de terrorisme tout acte d’«intimidation» qui «porte atteinte à l’unité nationale», «trouble l’ordre public» ou «entrave l’exercice des fonctions des autorités publiques».
Le régime militaire égyptien post-2013 a également démontré qu’il ne laisserait aucune élection au hasard.
Le gouvernement a orchestré des élections truquées, adopté une loi électorale garantissant l’allégeance du Parlement au président et révisé la Constitution afin de prolonger le règne d’Al-Sissi jusqu’en 2030.
Là où des dissensions ont permis à des figures de l’opposition de se présenter à la présidence, Al-Sissi a usé de son emprise sur le pouvoir pour les faire arrêter ou les contraindre à l’exil définitif.
Des experts ont constaté à quel point le président tunisien Saïed a suivi de près les traces d’Al-Sissi.
Bien qu’il n’ait pas instauré en Tunisie une répression comparable à celle d’Al-Sissi, Saïed, à l’instar de son homologue égyptien, a réécrit la constitution, étendu les pouvoirs présidentiels et supprimé les contre-pouvoirs.
Les données recueillies par l’Indice de transformation Bertelsmann montrent que, sur de nombreux indicateurs politiques et économiques, la Tunisie a régressé à son niveau d’avant le Printemps arabe.
Des failles dans le système
Quinze ans après le Printemps arabe, les problèmes fondamentaux qui ont conduit aux manifestations – corruption, injustice et difficultés économiques – persistent et sont peut-être plus urgents aujourd’hui qu’à l’époque.
Les pays arabes obtiennent très majoritairement de mauvais résultats à l’Indice de perception de la corruption (IPC) annuel, nombre d’entre eux figurant parmi les derniers du classement mondial, et les États restent englués dans l’injustice.
Par exemple, sur 21 pays arabes récemment évalués par Freedom House, aucun n’a été classé «libre» ; et sur les neuf nations arabes évaluées en 2025 dans le cadre de l’Indice de l’Etat de droit du World Justice Project, la plupart se classent parmi les derniers du classement mondial.
Il est important de noter que, dans son ensemble – pays du Golfe mis à part –, la région arabe reste enlisée dans des difficultés économiques.
Selon la Banque mondiale, le produit intérieur brut (PIB) par habitant demeure extrêmement faible dans la plupart des pays non membres du Conseil de coopération du Golfe, et les Nations Unies indiquent que les pénuries alimentaires et la faim restent des problèmes majeurs dans une grande partie de la région.
Les difficultés économiques de l’Égypte et de la Tunisie sont révélatrices de la situation dans une grande partie du reste de la région.
En Égypte, depuis le soulèvement de 2011, l’empire économique de l’armée et les inégalités se sont accrus, tandis que l’inflation et la pauvreté ont progressé.
Parallèlement, l’économie tunisienne se détériore également.
Selon un rapport récent de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, la politique économique de Saïed a entraîné une forte augmentation de la dette intérieure et un effondrement de la croissance économique, ainsi qu’une baisse des salaires réels et une hausse du chômage.
Démocratie : un sujet tabou
Ce qui est peut-être le plus alarmant pour les régimes arabes, c’est que leurs citoyens continuent, dans leur immense majorité, d’aspirer à un gouvernement démocratique.
Selon l’Indice d’opinion arabe, plus de 70 % des Arabes interrogés sont favorables à la démocratie, contre seulement 19 % qui y sont opposés.
Les résultats de l’enquête suggèrent également que les citoyens arabes portent un jugement négatif sur le niveau de démocratie dans leurs pays ; ils ont tendance à associer la démocratie à la liberté, à l’égalité et à la justice ; et ils ont une opinion favorable du Printemps arabe.
Un sondage plus récent de l’Arab Barometer aboutit à des conclusions similaires.
Le Printemps arabe n’est pas terminé
En décembre 2024, le dictateur syrien Bachar Al-Assad a été renversé et contraint à l’exil, environ 14 ans après le début du soulèvement contre lui.
Cet événement cataclysmique a démontré, peut-être mieux que tout autre, que les analystes ont peut-être été prématurés en déclarant la fin du Printemps arabe.
Les récentes manifestations de la génération Z au Maroc apportent des preuves supplémentaires que de nombreux Arabes – en particulier les jeunes – sont capables, désireux et prêts à se battre pour le changement.
Il ne s’agit donc peut-être que d’une question de temps avant que la situation ne dégénère et qu’une nouvelle vague de manifestations ne commence.
Les gouvernements savent que le risque est réel. Le régime égyptien d’Al-Sissi en est une nouvelle fois un exemple frappant.
Ces dernières années, Al-Sissi a été contraint de mettre en garde à plusieurs reprises les Égyptiens contre toute manifestation.
Lors d’une allocution publique il y a quelques années, il a déclaré qu’une répétition du soulèvement de 2011 «ne se reproduirait plus jamais» en Égypte.
La paranoïa est bien réelle : l’État profond égyptien ne semble pas disposé à prendre le moindre risque en ouvrant l’espace politique.
Le régime a récemment intensifié son vaste programme de fraude électorale et chercherait, selon certaines sources, à prolonger indéfiniment le règne d’Al-Sissi.
Non content d’éliminer l’opposition intérieure, le gouvernement égyptien s’efforce également de museler l’opposition à l’étranger.
Le régime a tenté de fermer les médias d’opposition basés hors d’Égypte et a cherché à obtenir l’extradition de figures populaires de l’opposition.
Plus tôt cette année, un jeune Égyptien, Anas Habib, a organisé une manifestation pacifique devant l’ambassade d’Égypte à La Haye.
En réponse, le ministre égyptien des Affaires étrangères a exhorté le personnel de l’ambassade à détenir les manifestants et à les faire arrêter. Dans un acte de représailles apparentes, les autorités égyptiennes ont arrêté l’oncle âgé d’Habib en Égypte.
Au-delà de l’Égypte, les États arabes ont récemment intensifié leur coopération en matière de sécurité intérieure, leurs gouvernements recherchant activement les individus recherchés à l’étranger en vue de leur extradition.
Ces mesures extrêmes soulignent la paranoïa ambiante : les régimes arabes semblent comprendre qu’il ne s’agit que d’une pause, et non d’une fin, dans le Printemps arabe.
L’histoire montre que lorsque le mouvement reprendra, il ne sera pas annoncé à l’avance.
Le peuple a presque toujours le dernier mot. Nous ignorons simplement quand il choisira de l’exprimer.
Une nouvelle centrale solaire photovoltaïque avec une capacité de 100 MW est entrée en service, le 16 décembre 2025, à Metbassta, Sbikha, dans le gouvernorat de Kairouan. C’est la plus grande du pays.
Selon le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, cette centrale, développée et exploitée par l’opérateur émirati Amea Power, représente une étape importante pour la transition énergétique, notamment grâce à son modèle de construction sous le régime de la concession.
Trois éléments techniques inédits en Tunisie définissent cette centrale électrique : le dépassement du seuil de 100 mégawatts de puissance installée, la présence d’un poste électrique intégré de type «entrée-sortie» et l’injection directe d’énergie dans le réseau à haute tension de 225 kV de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg).
Sur le plan financier, le projet bénéficierait du soutien de la Société financière internationale (SFI) et de la Banque africaine de développement (BAD), pour un investissement total d’environ 250 millions de dinars.
Amea Power a présenté cette initiative comme le premier projet solaire privé de grande envergure du pays, d’une valeur d’environ 86 millions de dollars et visant une production annuelle d’environ 222 GWh. Les documents techniques relatifs au projet estiment la production annuelle à environ 230 GWh et une réduction potentielle des émissions de plus de 117 000 tonnes de CO₂ par an.
Selon la même source, une fois pleinement opérationnelle, la centrale pourrait couvrir environ 0,5 % de la consommation nationale d’énergie primaire et contribuer à réduire les importations de gaz naturel d’environ 22 millions de dollars par an, avec des économies attendues pour Steg.
Plus largement, cette initiative s’inscrit dans le cadre du programme tunisien d’appels d’offres pour de nouvelles capacités d’énergies renouvelables, avec un premier lot de 500 MW de capacité photovoltaïque répartis dans plusieurs gouvernorats.
Pour Amea Power, ce projet s’inscrit également dans l’objectif national tunisien d’accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique pour atteindre 30% d’ici 2030.
Les révolutions échouent rarement par excès d’audace, mais par incapacité à instituer durablement la liberté. Celle du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 en Tunisie fut une ouverture. Mais aucune ouverture ne garantit le chemin qui suit, qui, quinze ans après, reste sinueux, erratiqueet incertain (Photo : On a «fêté» quoi le 17 décembre, un succès ou un échec ?)
Manel Albouchi
Le sociologue John Walton a décrit ce moment précis comme celui de la révolution en échec. Non pas un échec du soulèvement, mais un échec de la transformation. Selon lui, les sociétés postrévolutionnaires ne s’effondrent pas faute de désir de changement, mais parce que les structures héritées (économiques, administratives, symboliques) ne permettent pas de soutenir durablement les réformes nouvelles.
La mobilisation retombe alors par épuisement. Et la société entre dans ce temps intermédiaire, ni ancien régime, ni ordre nouveau.
Un bilan mitigé
Quand Ben Ali est mort politiquement, la Tunisie n’a pas disparu avec lui. Au contraire : l’histoire véritable a commencé. Le corps d’un système de pouvoir massif, saturé de privilèges et d’habitudes, a entamé une chute lente, presque silencieuse. Il a mis des années à toucher le sol, à se déposer dans un mélange de fatigue, d’oubli et de silence officiel. Pendant ce temps, la vie sociale et politique n’a jamais cessé. Elle a continué autrement, en marge, en dessous, dans les interstices.
Les premiers à s’en approcher furent ceux qui savent vivre des vides de pouvoir : nouveaux politiciens, récits médiatiques hâtifs, groupes d’influence. Ils ont rongé les restes, disputé l’héritage, jusqu’à ce qu’il ne demeure que l’ossature de l’État : lois anciennes, procédures, bureaucratie robuste. Puis, lorsque les restes ont été consommés, une autre surprise est apparue. Plus lente. Moins visible. Plus profonde.
La jeunesse, les associations, les initiatives culturelles indépendantes ont commencé à creuser la structure non pour la renverser, mais pour la transformer de l’intérieur. À produire une énergie nouvelle, discrète, parfois fragile, mais persistante. Un réseau inédit s’est ainsi tissé, complexe, connecté, issu des abysses sp laissées par l’ancien régime.
Les choix difficiles
Le «17 décembre-14 janvier» ne marque donc pas une fin, mais le début d’une élaboration.
Dans Hard Choices, Hillary Clinton rappelle que l’histoire ne se joue pas dans les moments héroïques, mais dans l’après. Dans ce temps où aucune option n’est pure, où chaque décision comporte un coût, où choisir signifie aussi renoncer. La Tunisie vit ce temps‑là : celui des décisions difficiles, de la responsabilité sans garantie, de la patience contrainte.
«إذا الشعب يوما أراد الحياة» n’est pas un slogan. C’est une exigence. Vouloir la vie, ce n’est pas seulement briser le silence ; c’est accepter l’angoisse de la liberté, la lenteur des constructions, l’absence de modèle prêt‑à‑porter. Beaucoup désirent la liberté ; peu supportent ce qu’elle exige.
Clinique d’un présent discret
La société tunisienne n’est pas explosive. Elle est compressée. Comme un corps qui retient son souffle trop longtemps. Frustrations économiques accumulées, sentiment d’injustice difficile à formuler, fatigue psychique collective proche de l’épuisement moral. Les affects dominants sont discrets mais persistants : lassitude, méfiance, irritabilité silencieuse.
Ce n’est pas une année de révolte massive. C’est une année de besoin de cadre. La peur du chaos et de l’effondrement l’emporte sur le désir d’expérimentation. Beaucoup préfèrent un ordre dur mais lisible à une liberté vécue comme menaçante. La tolérance au contrôle augmente. Le silence social s’installe. Une résignation active prend forme.
Le lien collectif se replie. Alain Ehrenberg a donné un nom à cet état diffus : la fatigue d’être soi. Une fatigue propre aux sociétés où l’autonomie n’est plus une conquête, mais une obligation silencieuse, laissant chacun seul face à ses échecs et à ses impasses. La rue n’est plus le lieu du désir projeté ; elle devient le lieu du danger perçu. La société se privatise psychiquement : on protège la famille, le clan, le micro‑réseau. L’autorité est à la fois désirée comme protection et redoutée comme écrasement. Le clivage interne est constant : «J’ai besoin qu’on me protège, mais j’ai peur d’être étouffé».
Cliniquement, ce temps favorise des troubles anxieux diffus, des états dépressifs masqués, une agressivité passive. Peu de violence collective, mais beaucoup de violence retournée contre soi.
Freud avait déjà mis des mots sur ce paradoxe fondamental. Dans ‘‘Malaise dans la civilisation’’, il écrit que «l’homme n’est pas cet être débonnaire assoiffé d’amour que l’on imagine, mais qu’il porte en lui une puissante part d’agressivité».
Lorsque cette agressivité ne trouve plus d’inscription symbolique (politique, collective, institutionnelle) elle ne disparaît pas. Elle se retourne. Elle se déplace. Elle se loge dans le corps social sous forme de fatigue, de retrait, d’hostilité muette ou de violence dirigée contre soi.
La stabilité apparente n’est alors pas le signe d’une pacification, mais d’une contention.
La «fête» du 17 décembre
Le 17 décembre ne demande pas d’applaudir. Il demande de répondre. Non pas par des slogans, mais par une élaboration patiente. Il rappelle que la révolution n’est pas un événement figé, mais un processus qui passe par des phases de doute, de repli, parfois de régression.
Le corps du système déchu n’était pas un symbole de fin. Il est la preuve que la vie sait continuer, même au cœur d’un ordre mort. La question, désormais, n’est plus : contre quoi nous sommes‑nous levés ? Mais : que faisons‑nous de ce qui a été ouvert ?
Peut‑être que la maturité politique commence ici. Quand la liberté cesse de crier. Quand elle travaille en silence. Quand un peuple apprend que vouloir la vie, c’est accepter le temps et les choix difficiles qui l’accompagnent.
À quelques jours de la fin du premier quart du XXIᵉ siècle, l’humanité se découvre à un moment rare, celui où le temps des promesses s’achève avant que celui des certitudes n’ait commencé. Ce quart de siècle n’a pas seulement accumulé des crises — il a opéré un tri impitoyable entre les récits auxquels nous voulions croire et les réalités que nous avons refusé de regarder.
Yahya Ould Amar *
Valeurs universelles, démocratie, mondialisation heureuse, émergence économique, progrès moral continu : autant de piliers intellectuels qui, sans s’effondrer totalement, se sont fissurés au contact du réel. Cet article ne cherche ni à condamner, ni à absoudre. Il propose un examen de ce que ces vingt-cinq années nous ont réellement appris — sur nos valeurs lorsqu’elles deviennent coûteuses, sur nos modèles économiques lorsqu’ils atteignent leurs limites, sur nos ambitions de justice dans un monde désormais contraint — afin de comprendre non pas ce que le monde devrait être, mais ce qu’il est devenu, et ce qu’il est encore possible d’y reconstruire.
La grande désillusion morale
Au cours des quatre-vingt dernières années, le monde s’est raconté une histoire confortable, celle d’un progrès moral cumulatif, d’une humanité convergeant lentement mais sûrement vers des normes communes — droits humains, primauté du droit, démocratie, dignité universelle. Cette histoire avait ses temples – à New York, Paris, la Haye ou Genève – ses textes sacrés, ses gardiens. Elle avait surtout ses sermons.
Puis est venu le réel. Gaza, l’Ukraine, la Libye, l’Irak, le Yémen … — autant de lieux où le langage des valeurs s’est fracassé contre la hiérarchie des intérêts. Le choc n’a pas seulement été géopolitique. Il a été moral. Le Sud global a compris par observation que les valeurs proclamées ne sont pas toujours les valeurs appliquées, et que l’universalité cesse souvent là où commencent les coûts stratégiques.
Ce que nous avons appris est terrible par sa simplicité, les valeurs, lorsqu’elles ne sont pas coûteuses pour ceux qui les défendent, cessent d’être des principes pour se transformer en slogans ; lorsqu’elles deviennent coûteuses, elles sont négociables. Ce n’est pas la morale qui a disparu, c’est sa prétention à l’universalité qui a été démasquée.
La démocratie elle-même, longtemps présentée comme une fin en soi, est défendue avec ferveur chez certains, relativisée chez d’autres, suspendue ailleurs au nom de la sécurité, de la stabilité, ou de l’équilibre régional.
La fracture interne du Nord
Cette perte de crédibilité des valeurs n’est pas uniquement une perception du Sud. Elle trouve aussi sa source au cœur même des sociétés développées. Le premier quart du XXIᵉ siècle a vu se fissurer la promesse interne du progrès avec une stagnation des classes moyennes, un déclassement éducatif et une insécurité économique diffuse.
Dans ce contexte, la solidarité internationale, le climat, l’aide au développement cessent d’apparaître comme des impératifs moraux pour devenir, aux yeux de millions de citoyens du Nord, des luxes abstraits. Le repli n’est pas seulement géopolitique ; il est social. Un monde anxieux finance difficilement un avenir qu’il ne croit plus pouvoir habiter dignement.
La responsabilité des élites
La désillusion est aussi le résultat d’une faillite des élites politiques, économiques et intellectuelles qui ont longtemps bénéficié de la mondialisation sans en assumer les coûts sociaux et moraux. Globalisées dans leur mode de vie, rarement exposées aux conséquences sociales ou environnementales de leurs décisions, elles ont pu transformer des choix profondément politiques en nécessités techniques. Ce siècle n’a pas seulement révélé l’égoïsme des États ; il a exposé l’écart grandissant entre ceux qui décident et ceux qui paient. Or aucune architecture morale ne survit durablement à une telle asymétrie de responsabilité.
De la bipolarité à la multipolarité
Le monde qui se recompose n’est plus réductible aux catégories familières du bipolarisme ou de l’hégémonie. Nous entrons dans une multipolarité hybride, où les alliances émergentes — Brics élargis, Organisation de coopération de Shanghai — ne se contentent pas de contester l’ordre occidental, mais expérimentent des formes inédites de gouvernance mêlant souveraineté régionale et échanges Sud-Sud … profondément asymétriques. Cette multipolarité fragmente les normes, les chaînes de valeur et les standards technologiques.
Pour le Sud global, l’enjeu n’est plus de choisir un camp, mais de naviguer entre des dépendances croisées — occidentales et chinoises — sans se laisser enfermer dans une subalternité.
Dans cette configuration instable, la multipolarité n’est ni une promesse automatique de justice, ni une fatalité de fragmentation ; elle devient une opportunité d’innovation diplomatique, à condition de penser les alliances non comme des loyautés idéologiques, mais comme des instruments stratégiques réversibles dans un monde de conflits hybrides.
L’économie : de l’illusion de l’émergence à la révolution cognitive
Sur le plan économique, le premier quart du siècle aura également clos une époque d’émergence «mécanique», fondée sur des recettes désormais épuisées : industrialisation extensive, main-d’œuvre bon marché, insertion linéaire dans les chaînes de valeur mondiales, rattrapage technologique par imitation.
Le miracle asiatique a été un moment historique non reproductible à l’identique. Il reposait sur une mondialisation fluide, une énergie abondante, une finance permissive et un monde sans contraintes climatiques sérieuses. Aucun de ces piliers n’existe plus.
La nouvelle frontière ou rupture est la révolution cognitive. La richesse ne se mesure plus seulement en tonnes produites mais en capacité de production de biens et services complexes donc rares.
A titre d’exemple, un iPhone 17 – qui est un concentré de technologies – vendu aujourd’hui en Europe environ 1 450 euros, soit l’équivalent de près de 27 barils de pétrole aux prix actuels, ne contient pourtant qu’environ 200 grammes de matériaux et du plastique dont la valeur brute dépasse à peine un euro. Ce paradoxe dit tout, ce qui est rémunéré aujourd’hui n’est plus la matière, mais l’idée ; non plus le gisement minier, mais le gisement cognitif. À tel point que les ventes annuelles d’iPhone pèsent désormais davantage que l’ensemble des exportations pétrolières de l’Arabie saoudite.
Le centre de gravité de la richesse mondiale s’est déplacé irréversiblement de l’extraction vers la conception, du sous-sol vers le cerveau. Et pendant que le Nord maîtrisait cette révolution de la connaissance, une grande partie du Sud, encore prisonnière de ses matières premières, n’a pas vu venir ce renversement historique.
L’automatisation, l’IA générative, les infrastructures de données, les modèles d’apprentissage déplacent la valeur de la production vers la conception, de la matière vers l’intelligence. Il y a ceux qui creusent le sous-sol pour survivre, et ceux qui creusent le savoir pour dominer l’économie-monde.
En un mot, l’économie des dernières décennies récompensait l’usine ; celle de 2026 rémunère l’esprit.
Ainsi, la duplication des modèles asiatiques de réussite est devenue une impasse conceptuelle. Parce que ces modèles reposaient sur un monde stable, hiérarchisé, carbone-intensif, faiblement numérisé et abondant en emplois intermédiaires. Le monde de 2026, lui, est décarboné, cognitif, instable, ultra-technologique — un monde où concevoir vaut infiniment plus que produire.
Face à cette nouvelle réalité, une évidence s’impose, l’émergence des pays du Sud ne peut plus être une réplique ; elle doit devenir une invention. L’ambition du Sud global n’est plus de rattraper, mais de se reconfigurer. Non pas copier le passé des autres, mais inventer son propre futur.
Nous entrons dans un âge où la croissance peut subsister sans transformation, où le progrès peut se diffuser sans enrichissement, où l’innovation peut coexister avec le déclassement.
La question centrale de notre époque n’est donc plus comment croître, mais comment se transformer.
La mutation du capitalisme
Cette révolution cognitive ne transforme pas seulement la nature de la croissance ; elle modifie la structure même du capitalisme. La valeur ne se concentre plus dans la production, mais dans la capture des rentes intellectuelles, des données, des standards technologiques. Nous sommes entrés dans un capitalisme où l’innovation peut coexister avec une concentration extrême des gains, où la connaissance devient un actif privatisé, et où l’avantage compétitif tend à s’auto-reproduire. Dans un tel système, l’injustice n’est plus une anomalie, elle devient un risque structurel.
L’éducation — longtemps traitée comme un secteur social parmi d’autres — est redevenue le cœur battant de la puissance économique.
Mais pas n’importe quelle éducation, une éducation qui forme à penser, pas seulement à exécuter ; à apprendre, pas seulement à reproduire ; à naviguer dans l’incertitude, pas à réciter des certitudes mortes. La révolution de l’intelligence artificielle (IA) ne remplace pas l’humain, elle sanctionne les systèmes éducatifs qui ont cessé de le cultiver.
L’IA, un enjeu civilisationnel
L’intelligence artificielle pose une question civilisationnelle. Qui contrôle les architectures cognitives ? Qui possède les modèles, les données, les capacités de calcul ?
Dans un monde où l’intelligence devient industrialisable, la dépendance n’est plus seulement énergétique ou financière, elle devient cognitive. Une société qui renonce à former ses esprits ne se contente pas de perdre en compétitivité, elle abdique une part de sa souveraineté intellectuelle. L’éducation redevient ainsi non seulement un levier de croissance, mais une condition de liberté.
La rareté des financements pour le développement
Le monde qui s’ouvre n’est pas seulement plus conflictuel ; il est plus contraint. L’endettement généralisé des États, après une longue période de politiques monétaires accommodantes, referme la parenthèse de l’abondance financière. Les marges budgétaires se réduisent au moment même où les besoins explosent.
Les investissements massifs dans l’intelligence artificielle – uniquement aux USA, entre 5000 et 8000 milliards de dollars dans les quatre prochaines années – les budgets annuels de défense 5% du PIB européen et plus de 1000 milliards de dollars aux USA, la souveraineté technologique et énergétique (les besoins en énergies de l’IA représentent aux USA 25% de la consommation actuelle – Data centers) absorbent une part croissante de l’épargne mondiale. Le capital devient sélectif. Les financements concessionnels se raréfient. Les priorités s’arbitrent désormais entre urgences — et non plus entre projets vertueux.
La transition climatique— dont les besoins annuels de financement sont estimés entre6 000 et 7 500 milliards de dollars, incluant 2 400 à 3 300 milliards destinés aux pays en développement hors Chine —, longtemps érigée en grand chantier consensuel du XXIᵉ siècle, entre désormais dans une zone de tension critique. Elle se trouve en concurrence frontale avec d’autres priorités désormais perçues comme existentielles comme la sécurité géopolitique, la souveraineté technologique, la stabilité financière.
Le danger est que la justice climatique devienne la variable d’ajustement d’un monde à la fois surendetté, fragmenté et inquiet, où l’urgence immédiate l’emporte sur la responsabilité de long terme.
À cette équation déjà contrainte s’ajoute les besoins annuels globaux d’investissement de l’économie mondiale, toutes finalités confondues, atteignant environ 18 000 milliards de dollars, en sus des montants requis pour le climat, la sécurité et l’IA. Ce chiffre donne la mesure de l’étroitesse réelle des marges de manœuvre budgétaires des États et du poids croissant transféré vers le secteur privé — dont la soutenabilité globale, financière comme politique, demeure à ce stade largement inexplorée.
Cependant il y a un paradoxe moral vertigineux, les pays en développement (hors Chine) historiquement les moins responsables du réchauffement de la planète et qui ont le moins profité du carbone se voient sommés d’en assumer une part croissante du coût. C’est la logique la plus cruelle de ce siècle.
Quel avenir pour un monde plus «juste» ?
La question centrale n’est donc plus que faut-il faire ? — nous le savons. Elle est devenue qu’est-ce qui est encore politiquement, financièrement et moralement possible?
Un monde plus juste ne naîtra pas de sermons moraux renouvelés. Il ne naîtra pas non plus d’un retour nostalgique à des universalismes abstraits. Il naîtra, s’il doit naître, d’un réalisme éthique – la capacité à reconstruire des valeurs non pas contre les intérêts de certains, mais en les reconfigurant.
Cela suppose trois ruptures majeures.
La première est intellectuelle : accepter que la justice mondiale ne sera pas uniforme, mais graduelle, négociée, imparfaite — et pourtant préférable au cynisme intégral.
La deuxième est institutionnelle : inventer des mécanismes de financement hybrides, mêlant capital privé, garanties publiques, innovation financière et discipline budgétaire, plutôt que d’attendre le retour d’un multilatéralisme généreux qui ne reviendra pas sous sa forme passée.
La troisième est éducative et civilisationnelle : réhabiliter l’idée que la puissance véritable d’une société réside dans la qualité de ses esprits, pas seulement dans la taille de son PIB ou de son arsenal militaire.
Parallèles historiques
Le moment de désillusion susmentionnée n’est pas sans précédent dans l’histoire des civilisations. Rome, à la fin de sa puissance, découvrit que ses valeurs proclamées ne suffisaient plus à contenir ses contradictions internes ; l’Europe des Lumières, après avoir cru à la raison comme horizon auto-suffisant, dut affronter ses propres ombres au XIXᵉ siècle. Chaque cycle de maturation historique connaît ce point de bascule où les récits s’épuisent avant que les principes ne soient réinventés.
Enfin, le premier quart du XXIᵉ siècle ne nous lègue ni une morale clé en main ni un horizon rassurant ; il nous lègue une responsabilité. Celle de renoncer aux illusions confortables sans céder au cynisme, d’abandonner les universalismes incantatoires sans renoncer à l’exigence de justice. Le monde qui s’ouvre sera plus fragmenté, plus contraint, plus conflictuel — mais il peut aussi devenir plus honnête. À condition d’accepter que les valeurs ne précèdent plus le réel, mais qu’elles s’y éprouvent ; que la justice ne soit plus proclamée, mais construite ; et que la lucidité, loin d’être un aveu d’impuissance, devienne la vertu cardinale d’un siècle qui n’a plus le luxe de l’innocence. Ce n’est qu’à ce prix — et à ce prix seulement — que l’humanité pourra transformer la fin des certitudes en commencement d’une éthique pragmatique.
La Tunisie est entrée en décembre 2010 – janvier 2011 dans une phase cruciale de son histoire contemporaine, une révolution pour la liberté et la dignité. Transformé depuis en démon, l’esprit révolutionnaire s’est installé progressivement, involontairement et volontairement, dans le cœur et l’esprit des gens au point de desservir les véritables objectifs de la révolution.(Ph. Les partisans de Kaïs Saïed ont défilé, mercredi 17 décembre 2025, pour exprimer leur soutien au président de la république).
Raouf Chatty *
Le pays est aujourd’hui victime de l’anarchie qui a frappé tous les secteurs et qu’aucun gouvernement post 2011 n’a cherché à stopper.
Depuis le déclenchement des soulèvements populaires au centre du pays, en décembre 2010, qui se sont vite métamorphosés, avec l’aide de l’extérieur, en un courant révolutionnaire irréversible, porté par les islamistes et les gauchistes, le pays s’est retrouvé face à de grandes difficultés, héritées du passé et alimentées par des demandes populaires croissantes que l’État n’a ni les moyens ni les ressources de satisfaire.
durant quinze ans, les gouvernements ont laissé faire et le pays s’est installé dans un bouillonnement sourd, mais intense, à tous les niveaux, mêlé à un sentiment de crainte favorisé par l’affaiblissement de l’appareil de l’Etat, de défiance généralisée et d’instabilité, qui l’a maintenu dans la confusion et l’a empêché d’entrevoir sereinement l’avenir, de penser à son développement et d’asseoir sa stabilité politique, seule garante de sa souveraineté, de son indépendance et de son invulnérabilité dans un environnement régional précaire et instable.
La révolution, qui visait à rompre avec les tares du passé et à construire un État de droit, fort, stable, juste, respecté et une société libre, développée, solidaire et prospère, a été travestie et ses objectifs initiaux détournés pour assouvir des ambitions de pouvoir.
Durant cette période, et notamment tout au long de la «décennie noire» (2011/2021) dominée par les islamistes, la révolution a été trahie par les luttes pour le pouvoir, l’amateurisme des nouveaux gouvernants, l’hétérogénéité de la nouvelle classe politique, la cupidité des partis, les calculs égoïstes des uns et des autres, les règlements de comptes, l’anarchie, l’affaiblissement de l’autorité de l’État, la montée de la défiance entre gouvernants et gouvernés, créant ainsi un environnement malsain dont le pays peine encore à sortir.
Aujourd’hui, alors que le pays vit sous haute tension, traversé par des divergences politiques profondes sur des dossiers aussi importants que les droits de l’homme, les libertés individuelles, la gestion des affaires publiques, les dossiers économiques et sociaux, les relations étrangères…, il est crucial que toutes les parties, qu’elles soient au pouvoir ou dans l’opposition, à l’exception de celles qui ont utilisé la religion à des fins politiques, se tournent vers le dialogue et la concertation sur tous les sujets pour assainir la vie publique, en mettant l’intérêt suprême du pays au-dessus de toute autre considération.
Le dialogue est le seul moyen pour remettre la Tunisie sur les rails et lui permettre de travailler sérieusement et sereinement pour réaliser les objectifs de la révolution, et construire son avenir de façon responsable et sereine. La voix de la raison devant toujours prévaloir pour le bien du pays et son invulnérabilité.
La révolution tunisienne n’a pas eu lieu le 14 janvier 2011, jour du départ précipité de l’ancien président Ben Ali vers l’Arabie saoudite, où il est aujourd’hui enterré, mais un mois plus tôt, le 17 décembre 2010, date de l’auto-immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid. Kaïs Saïed a voulu imposer sa lecture de l’Histoire, et ses partisans l’ont actée, en marquant aujourd’hui cet anniversaire par une marche de soutien au président de la république, au centre-ville de Tunis, sous les slogans mobilisateurs de la préservation de la souveraineté nationale, du rejet de l’ingérence étrangère et de la lutte contre la corruption dont il fait les thèmes récurrents de son discours politique.
Latif Belhedi
Ils étaient quelques milliers à défiler, ce mercredi, à travers l’avenue Habib Bourguiba, venus de plusieurs régions du pays, qui se réclament non pas d’un parti, d’une idéologie, ou d’un mouvement politique, mais d’un homme, Kaïs Saïed, dont ils épousent ou reprennent en chœur les idées, les positions, les slogans et les postures, notamment une défiance à l’égard des élites intellectuelles, des partis politiques, des organisations de la société civile et des corps intermédiaires en général; un rejet des concepts même de libertés publiques et de droits de l’homme, considérés comme des instruments d’ingérence de l’étranger, souvent d’ailleurs présenté comme le mal absolu ; une suspicion envers toute forme d’opposition au régime mis en place par Kaïs Saïed au lendemain de la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021.
Les pancartes agitées par les manifestants déclament ces positions comme des convictions inébranlables et ne supportant aucun questionnement ou aucune nuance.
Les prisonniers politiques et d’opinion, ou activistes incarcérés et présentés comme tels par l’opposition, sont considérés comme des membres de lobbys corrompus au service de l’étranger, des ennemis du peuple voire des traitres à la nation. Leur opposition à Kaïs Saïed, élevé au rang de guide suprême, suffit à les disqualifier et à les rendre suspects au regard de la norme politique instaurée par ce dernier.
La marche populaire d’aujourd’hui est donc censée constituer une réponse aux marches organisées chaque samedi depuis deux mois par l’opposition et la société civile pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une dérive autoritaire du régime et exprimer le soutien des manifestants au «massar» (processus politique) incarné par le locataire du Palais de Carthage.
Bref, il s’agit de montrer, par cette mobilisation populaire, que Kaïs Saïed, bien qu’il ne soit pas soutenu par un parti politique, bénéficie quand même d’un appui populaire traversant toute les couches de la société. Il serait, à ce titre, le leader populaire par excellence que le peuple oppose aux élites politiques et intellectuelles traditionnelles. Certains y voit une forme de populisme qui ne mènera nulle part. D’autres une voie de sortie d’un «système politique» ancien marqué par le clientélisme et la corruption.
Hier tard le soir, Kaïs Saïed s’était rendu à l’avenue Habib Bourguiba, où devait avoir lieu, quelques heures plus tard, la marche de ses partisans, a annoncé l’agence officielle Tap. Il voulait, probablement, se rendre compte personnellement des préparatifs de ladite marche. Des images de cette visite ont été diffusées par les réseaux sociaux et reprises par la chaîne Al-Jazeera.
Selon Mosaïque FM, des cortèges officiels se sont tenus au siège des gouvernorats, notamment ceux de Kasserine, de Gabès et de Sidi Bouzid, pour célébrer le 15ᵉ anniversaire du déclenchement de la révolution, sous le slogan: «17 décembre 2010… la voix de la révolution ».
Les cérémonies se sont déroulées en présence des gouverneurs et des cadres régionaux et locaux, des responsables et forces de sécurité et militaires, ainsi que des représentants des organisations nationales. Ils ont été marqués par la levée du drapeau national au son de l’hymne, ainsi qu’un hommage aux martyrs de la nation, rapporte aussi Mosaïque, ce qui conforte le caractère très officiel de cette célébration, avec un programme festif comprenant des activités dans les maisons de jeunes et clubs ruraux, réparties entre compétitions sportives, tournois, soirées et événements culturels et récréatifs.
Le cinéaste tunisien Hmida Ben Ammar est décédé le 15 décembre 2025 à Tunis. Il nous a quittés comme il a vécu à nos côtés, presque subrepticement, discrètement sans faire de bruit. C’était un cinéaste qui, paradoxalement, fuyait la lumière et se montrait peu en public.
Grand esthète devant l’Eternel, rigoureux et exigeant, il n’a pas réalisé beaucoup de films, mais ce documentariste hors pair a laissé des œuvres qui ont marqué des générations de cinéastes tunisiens, arabes et africains.
Le Syndicat indépendant des réalisateurs producteurs a parlé dans la nécrologie qu’il lui a consacrée d’un «éminent artisan» et d’une «référence incontournable du film documentaire». Reconnu pour la sensibilité de son regard et la rigueur de son écriture visuelle, Hmida Ben Ammar a marqué durablement plusieurs générations de cinéastes et de cinéphiles. Le critique Hédi Khélil le décrivait comme un artiste «sensible, doué et pourvu d’un sens aigu de l’image», allant jusqu’à le considérer comme l’un des plus grands cinéastes tunisiens, toutes périodes confondues.
Perfectionniste de la composition et maître de la lumière, Hmida Ben Ammar a su bâtir un univers cinématographique singulier, mettant en valeur l’histoire de la Tunisie et la richesse de la civilisation arabo-musulmane. Des œuvres majeures, telles que ‘‘Ezzitouna au cœur de Tunis’’ (1981) et ‘‘Ribat’’ (1986), demeurent des références du documentaire tunisien, tant par leur force esthétique que par leur profondeur humaine.
Dans son communiqué, le Syndicat indépendant des réalisateurs producteurs a salué la mémoire d’un artiste d’exception, dont l’héritage continuera d’inspirer les professionnels du septième art et les générations futures.
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a accordé ce lundi 15 décembre 2025 une grâce totale à Mohamed Amine Belghit, historien et professeur d’université à Alger, définitivement condamné, suite à des accusations d’atteinte à l’unité nationale. Il a fait des déclarations controversées, considérées comme racistes à l’égard des Amazighs.
Cette de grâce présidentielle portant sur le reliquat de la peine de Belghit n’affecte pas les procédures en cours concernant d’autres détenus, ni les condamnations déjà prononcées dans des procès similaires.
Cette libération intervient dans un contexte sensible, marqué par des débats autour de la liberté d’expression, de l’identité culturelle et de la justice en Algérie. Certains observateurs ont noté que la mesure pourrait alimenter des discussions sur la cohérence et l’égalité de traitement des détenus dans le pays.
Les réactions sur les réseaux sociaux et forums montrent une diversité de points de vue : certains saluent la décision comme un geste humanitaire, tandis que d’autres appellent à des réformes plus larges pour garantir l’accès équitable à la justice pour tous les détenus, y compris ceux considérés comme prisonniers d’opinion.
Cette grâce présidentielle prouve aussi l’implication de l’exécutif dans le système judiciaire algérien. Le cas Belghit pourrait relancer le débat sur la grâce présidentielle et les limites de son application dans un pays où les questions de droits, d’identité et de liberté d’expression restent au cœur des discussions publiques.
Face à l’urgence climatique qui recompose les équilibres économiques mondiaux, Tunis s’apprête à devenir, les 18 et 19 décembre 2025, le carrefour méditerranéen où s’esquissent les nouvelles trajectoires du développement durable.
La capitale accueillera en effet une conférence internationale majeure sur le thème : «Entrepreneuriat durable en Méditerranée du Sud. Construire une coopération régionale pour une transition verte».
Ce rendez-vous réunira décideurs publics, experts, entrepreneurs et organisations d’appui aux entreprises (BSOs) venus de huit pays de la région.
L’événement est coorganisé par le Centre d’activités régionales pour la consommation et la production durables du PNUE/PAM (MedWaves) et le Centre international des technologies de l’environnement de Tunis (Citet), dans le cadre du programme de soutien aux entreprises durables, financé par le PNUE/PAM et le Gouvernement de la Catalogne et du programme Green Forward, financé par l’Union européenne et implémenté au niveau méso par l’organisation non gouvernementale internationale Spark dans sept pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Contexte partagé, une ambition commune
Dans un espace méditerranéen confronté aux défis climatiques, sociaux et économiques, la transition vers une économie verte devient un impératif. Les BSOs, structures clés de l’écosystème entrepreneurial, sont désormais au cœur des solutions : accompagnement des créateurs d’entreprises, diffusion de modèles circulaires, renforcement des compétences,
accès à l’innovation et aux financements.
Depuis 2014, MedWaves accélère cette dynamique avec le Switchers Support Programme, actif dans plusieurs pays de la Méditerranée pour favoriser l’émergence d’entreprises responsables.
En Tunisie, le Citet, à travers Green Forward, anime et structure l’écosystème local de l’innovation verte, tandis que Spark œuvre à renforcer les capacités des acteurs régionaux.
Structurer l’écosystème régional
En réunissant des représentants du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Libye, d’Égypte, du
Liban, de Palestine et de Jordanie, la conférence entend jouer un rôle catalyseur.
La première journée abordera les grands enjeux régionaux : politiques publiques, dynamiques entrepreneuriales, meilleures pratiques en matière de soutien aux entreprises, accès au financement, rôle des femmes dans l’économie verte. Elle sera également marquée par la présentation officielle du Manifeste régional de coopération.
La seconde journée donnera lieu à une masterclass sur l’accès au financement climatique, suivie d’ateliers thématiques, notamment sur la taxonomie verte, l’intégration des critères ESG, ainsi que les bonnes pratiques issues du programme Green Forward.
Une séance plénière de synthèse viendra clôturer les travaux.
Le procès des membres de la branche tunisienne de l’Ong française Terre d’Asile a suscité beaucoup d’interrogations, d’incompréhension et même de colère, et pas seulement dans les cercles du travail humanitaire. L’onde de choc suscitée par ce procès presque incroyable a été relayée par la plupart des médias à travers le monde. Et cela n’a pas fait une bonne publicité pour la Tunisie, c’est un euphémisme.
Le procès des responsables de l’Ong, accusés d’aide illégale aux migrants, lundi 15 décembre 2025, à Tunis, a été dénoncé par Amnesty International comme une «criminalisation de la société civile».
Six travailleurs humanitaires de Terre d’Asile Tunisie, dont Sherifa Riahi, ancienne directrice de l’organisation, et un autre responsable, Mohamed Joo, ainsi que des employés de la municipalité de Sousse, ont comparu en audience préliminaire pour «facilitation de l’entrée et du séjour illégaux» de migrants en Tunisie.
Riahi et Joo sont détenus depuis plus de 19 mois, tout comme deux autres employés de Terre d’Asile et deux des 17 prévenus travaillant pour la ville de Sousse, selon l’avocat de Riahi, Seifallah Ben Meftah. D’après Hayet Jazzar, une autre avocate, le tribunal a rejeté la demande de libération conditionnelle des six prévenus incarcérés et a fixé la prochaine audience au 5 janvier.
Les accusés sont également poursuivis pour «complot en vue d’héberger ou de dissimuler des personnes entrées illégalement sur le territoire» et encourent des peines de prison allant jusqu’à 10 ans. AI a appelé les autorités tunisiennes à «mettre fin à cette injustice» et à «abandonner les charges retenues contre les travailleurs humanitaires» lors de ce «procès spectacle». «Boucs émissaires» – «La solidarité n’est pas un crime», proclamait une grande banderole déployée devant le tribunal par les proches des accusés. «Toutes les actions de Mme Riahi ont été menées» dans le cadre d’un projet approuvé par l’État tunisien et en «coordination directe» avec le gouvernement, a expliqué Meftah à l’AFP, soulignant que «la protection et l’assistance aux migrants» sont prévues par des conventions internationales ratifiées par la Tunisie.
Les accusés emprisonnés ont été arrêtés en mai 2024, en même temps qu’une douzaine d’autres travailleurs humanitaires, dont la militante antiraciste Saadia Mosbah, dont le procès doit débuter fin décembre.
La Tunisie est un point de transit essentiel pour des milliers de migrants subsahariens qui tentent chaque année de rejoindre clandestinement l’Europe par la mer. Beaucoup d’Ong a vocation humanitaire y sont déployées pour apporter l’aide aux réfugiés, demandeurs d’asile et candidats à la migration vers l’Europe. Terre d’Asile Tunisie en fait partie.
«Révolution/révolte» droit d’inventaire ! Construire un beau récit des journées insurrectionnelles (17 décembre 2010-14 janvier 2011) est à la portée de tout un chacun et d’aucuns n’ont pas manqué de le faire dès le 15 janvier 2011. Mais il est autrement plus difficile de reconstituer, avec minutie, les faits qui ont abouti au départ du président Ben Ali.
Noureddine Dougui *
Ceux qui savent comment les choses se sont passées n’ont pas encore livré leurs témoignages. Une grande question demeure qui est de savoir qui a poussé Ben Ali vers la porte de sortie ? La rue, une «révolution de Palais» ou les deux ? On ne saura pas la réponse de sitôt.
Venons-en à l’après Ben Ali, là aussi il y a une divergence de vues : pour une grande partie de l’élite politique issue de l’opposition et celle qui a accédé au pouvoir, durant les années 2011- 2021, ce fut une transition démocratique sans précédent dans l’histoire de la Tunisie.
En revanche, pour les tenants du pouvoir actuel, c’était un fiasco total, d’où l’expression stéréotypée : «décennie noire» utilisée, à tout bout de champ, pour qualifier cette période. Où se situe la réalité ?
Le droit d’inventaire fournira, me semble-t-il, quelques éléments de réponse. Il s’agit d’établir honnêtement et sans arrière-pensée le bilan de cette période controversée. Pour faire simple, il faudrait établir la liste de ce qui a été positif et ce qui était erroné.
La distance par rapport aux faits appréhendés n’étant pas suffisante, cette tâche ne pourrait pas être pas être confiée aux historiens, elle devrait incomber, en premier lieu, aux décideurs de l’époque qui gagneraient à faire, sinon leur autocritique du moins leur auto-évaluation. La société civile, les intellectuels indépendants ayant participé à cette dynamique politique pourraient apporter une contribution conséquente.
Le 17 décembre 2025 marque quinze ans depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, l’étincelle qui a embrasé la Tunisie et le monde arabe. Cette «Révolution de la dignité» n’a pas seulement renversé une dictature ; elle a fait naître une initiative citoyenne inédite, portée par des textes fondateurs qui ont transformé la révolte en projet politique durable. Ces textes – slogans, chartes, décrets, constitutions, essais réflexifs – forment une généalogie à la fois politique (revendication populaire), juridique (institutionnalisation de la liberté) et symbolique (dignité, vivre-ensemble, autonomie de la sphère civile). Quinze ans plus tard, ils restent des phares dans un paysage où la transition démocratique vacille.
Abdelhamid Larguèche *
1. Les mots d’ordre révolutionnaires
«Travail, liberté, dignité nationale» – «Le peuple veut la chute du régime».
Ces slogans, anonymes et collectifs, constituent les véritables textes fondateurs. Ils sont des «actes performatifs» : en les énonçant, des sujets jusque-là invisibles (jeunes diplômés des régions intérieures) se sont autorisés à parler au nom du commun.
Ils fondent l’initiative citoyenne comme droit d’agir sans délégation préalable. Pas d’idéologie, pas de chef : seulement la dignité (karāma) revendiquée par tous. Le philosophe Fathi Triki y voit l’exigence éthique centrale : la révolution est d’abord une reconnaissance mutuelle, un vivre-ensemble dans la dignité. Ces mots ont brisé la peur et ouvert l’espace public à la multitude hétérogène.
2. L’auto-organisation populaire
Dès janvier 2011, à Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa, des comités de protection de la révolution produisent des appels publics, listes de revendications et chartes de vigilance. C’est une pratique d’auto-organisation hors partis et hors État : un contre-pouvoir populaire pur.
La Charte citoyenne (lancée par l’Initiative citoyenne en février 2011) cristallise ces revendications en 16 principes : État civil, égalité, indépendance de la justice, alternance, rejet de la violence, préservation des acquis des femmes, liberté de conscience, droit au travail et développement régional équitable.
Elle affirme : «La véritable légitimité est celle des valeurs citoyennes qui ont permis la victoire de la révolution.» C’est le peuple, et non les partis, qui porte la légitimité révolutionnaire.
3. Le décret-loi n°2011-88 : la première consécration juridique
Ce décret, adopté le 24 septembre 2011 sous la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror) présidée par Yadh Ben Achour, consacre la liberté d’association par simple déclaration. Il rompt avec le régime autoritaire des associations sous Ben Ali et transforme l’initiative citoyenne en acteur reconnu de l’espace public.
Yadh Ben Achour, dans ses écrits, y voit la «deuxième naissance» de la Tunisie : un État de droit où la société civile devient autonome et inaliénable.
4. La légitimité révolutionnaire institutionnalisée
Sous Ben Achour, la Haute instance produit rapports et principes reconnaissant explicitement la légitimité révolutionnaire et la participation citoyenne.
La Constitution de 2014 en est le couronnement : articles 21 (égalité), 31 (liberté d’expression), 35 (liberté d’association), 139 (démocratie participative locale). Pour la première fois, l’initiative citoyenne devient principe constitutionnel.
5. De la protestation à la proposition
Les manifestes pour la transparence, la justice transitionnelle, la décentralisation traduisent une maturation : l’initiative citoyenne devient force normative.
Les penseurs donnent sens à ce mouvement :
– Fathi Triki : la révolution comme exigence éthique de dignité et reconnaissance.
– Latifa Lakhdar : crise de l’imaginaire collectif, rôle de la culture et de l’école.
– Aziz Krichen : crise de l’État et des élites modernisatrices.
– Hamadi Redissi : sécularisation en marche, islam politique confronté au pluralisme.
– Mondher Kilani : autonomie de la sphère civile, éclipse du religieux dans le politique, présence des femmes, non-violence.
Moi-même j’y ai vu un symptôme historique de longue durée (marginalisation des régions, héritage postcolonial).
15 ans après : une révolution inachevée, mais vivante
Ces textes fondateurs ont permis une transition unique : liberté d’expression, élections pluralistes, Constitution progressiste. Pourtant, la société civile reste tiraillée entre instrumentalisation partisane et autonomie réelle.
La crise actuelle (concentration des pouvoirs, chômage persistant, inégalités régionales) montre que la flamme de Sidi Bouzid brûle encore. Les slogans de 2011 – dignité, travail, liberté – restent des exigences non satisfaites.
L’initiative citoyenne tunisienne, née dans la rue, institutionnalisée par la Charte et le décret 88, consacrée par la Constitution, reste la boussole. Comme le dit Fathi Triki : «La révolution n’est pas terminée ; elle est une œuvre éthique en devenir.»
À l’heure de l’an XV, relisons ces textes fondateurs non comme archives, mais comme promesses : la Tunisie peut encore achever sa révolution citoyenne, inclusive, juste et digne pour tous.
L’île tunisienne de La Galite a récemment été équipée d’un système de prévention des incendies d’origine naturelle, installé par l’association Méditerranée Action Nature (MAN) en collaboration avec l’Agence de protection et de développement du littoral (Apal).
La Galite fait partie de l’archipel du même nom, situé au large des côtes nord de la Tunisie, à 46 km au nord du Cap Negro, à 61 km au nord-nord-est de Tabarka et à 92 km au nord-nord-ouest de la baie de Bizerte.
L’archipel se compose de l’île principale de La Galite, qui couvre une superficie de 752 hectares, ainsi que de plusieurs îlots environnants : Le Galiton (29,9 hectares) et La Fauchelle (13,6 hectares) au sud-ouest, et les îlots des Chiens au nord-est (Gallo, 12,5 hectares ; Gallina et Pollastro).
Bien que l’archipel soit actuellement inhabité, il a été occupé à plusieurs reprises, tant dans l’Antiquité qu’à l’époque moderne.
L’aire marine et côtière protégée de La Galite possède un riche patrimoine archéologique et une biodiversité exceptionnelle, tant marine que terrestre, abritant de nombreuses espèces rares et menacées.
Selon Man, l’équipe de cogestion Man/Apal a mené à bien la deuxième phase d’installation de ce système innovant, du 8 au 14 décembre 2025. Ce système, composé de plusieurs paratonnerres à émission précoce (PEP) installés sur l’île, est une première en Tunisie, aussi bien en milieu insulaire qu’au sein d’une aire marine et côtière protégée.
Les PEP, également appelés paratonnerres actifs ou ionisants, sont des dispositifs de haute technologie qui génèrent un courant ascendant précoce afin de capter la foudre plus tôt et sur une zone plus étendue que les paratonnerres traditionnels.
Financé par la Fondation Prince Albert II de Monaco, ce projet s’inscrit dans le cadre des efforts déployés pour protéger l’île suite à l’incendie qui s’y est déclaré en octobre 2021. Il vise à prévenir les incendies naturels déclenchés par la foudre.
Méditerranée Action Nature est une organisation à but non lucratif qui œuvre pour la préservation de l’environnement, la promotion de la gestion des aires marines et côtières protégées en Tunisie et en Méditerranée, ainsi que la conservation de la biodiversité côtière et marine.
Selon l’édition 2025 de l’Indice de Bâle sur la lutte contre le blanchiment d’argent, publié chaque année par l’Institut de Bâle sur la gouvernance (Suisse), la Tunisie obtient un score global de 4,75 sur une échelle de 0 à 10 et se classe 119e sur 177 juridictions incluses dans le classement mondial.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Tunis obtient le même score (4,75), dans un contexte où la région présente des niveaux moyens marqués par des problèmes critiques, notamment en matière de «transparence et de normes financières», selon la ventilation des domaines de l’indice.
Sur le continent africain, la Tunisie figure parmi les dix pays présentant le plus faible niveau d’exposition au risque, aux côtés du Botswana, des Seychelles et de Maurice, entre autres.
Cependant, dans le système de classification 2025 cité par les acteurs du secteur, seuls le Botswana, les Seychelles et Maurice appartiennent à la catégorie «faible risque», tandis que la Tunisie, avec un score de 4,75, demeure dans la catégorie «risque moyen». Il y a donc des efforts à faire pour améliorer la transparence financière dans le pays.
Le rapport souligne que l’indice de Bâle sur la lutte contre le blanchiment d’argent ne mesure pas le volume réel des activités de blanchiment d’argent, mais un profil de risque fondé sur un ensemble d’indicateurs et de sources publiques : l’édition 2025 utilise des données provenant de 17 sources, dont des organismes internationaux et des rapports tels que le Groupe d’action financière (Gafi), et agrège les résultats en cinq domaines, allant du cadre réglementaire LBC/FT aux risques politico-juridiques et de transparence.
Dans le contexte mondial, l’édition 2025 met en évidence une moyenne globale globalement stable, avec une légère amélioration (de 5,30 à 5,28), et révèle des tendances divergentes selon les régions. On observe des progrès dans plusieurs juridictions africaines, mais aussi des signes de déclin chez certains pays ayant historiquement affiché de bonnes performances.
Pour le secteur bancaire et financier tunisien, le classement dans cet indice constitue un indicateur de réputation utile pour l’évaluation des risques, notamment en termes de coûts de conformité, de relations de banque correspondante et d’attractivité pour les opérateurs internationaux, même s’il ne certifie pas le niveau réel des flux illicites.
Les 19 et 20 décembre 2025, la Cité des Sciences de Tunis accueillera ‘‘Le Temps des Fêtes’’ : une exposition-vente éco-solidaire avec des ateliers divers pour les professionnels, les parents et les enfants. Une manifestation pour promouvoir la consommation responsable, le recyclage et l’économie solidaire.
La période des vacances et des fêtes de fin d’année s’approche. Habituellement, elle rime avec la joie de vivre, les sorties en famille, l’animation pour les adultes et les petits, mais aussi avec un grand élan de soutien et de solidarité.
‘‘Le Temps des Fêtes’’ est une manifestation de fin d’année dont le concept est un peu distingué. Elle vise notamment à faire découvrir les produits artisanaux respectueux de l’environnement ou issus de la nature et de l’économie circulaire et à promouvoir les créations nouvelles des petites entreprises ESS à travers une exposition-vente éco-solidaire.
L’événement se veut à la fois une opportunité commerciale pour les artisans et artisanes de la Tunisie mais aussi un espace d’échange et d’animation, agrémenté d’un programme d’ateliers divers pour les professionnels, d’une part, et pour les parents et les enfants, d’autre part.
Des ateliers d’initiation à la fabrication du savon, des bougies, de coloriage de figurine en plâtre, de macramé, d’arts plastiques, collage et recyclage et de nutrition saine sont ainsi prévus outre des séances de présentation et de dégustation des produits de terroir. L’objectif est de sensibiliser le grand public à un mode de vie sain et équilibré, en encourageant la consommation de produits bénéfiques pour la santé et respectueux de l’environnement.
Ateliers pour jeunes entrepreneurs
Durant l’événement, des workshops pour les jeunes entrepreneurs, hommes et femmes, se tiendront en collaboration avec l’association Act’up sur les stratégies de communication (1er jour) et la conformité/certification (2ème jour). Ces ateliers visent à accompagner les nouveaux talents dans le développement de leurs activités tout en valorisant leurs démarches éthiques et socialement responsables.
D’après Myriam Bahri, organisatrice de la manifestation et directrice générale d’IDC Expo & Events, «le Temps des Fêtes est un événement exceptionnel qui se tient dans sa première édition. Il promet une expérience enrichissante pour les jeunes entrepreneurs mais aussi pour toute la famille. Nous invitons le public à venir découvrir des créations uniques, échanger avec les artisans et artisanes et participer à un mouvement collectif pour un mode de vie plus sain, respectueux de l’environnement et durable».
Le magazine Femmes Maghrébines organise la septième édition du Village Social et Solidaire, du 20 au 25 décembre 2025 à l’hôtel Radisson Blu Tunis. Cette édition, ponctuée par le forum “Artisanes 3.0”, met à l’honneur plus de 60 artisanes venues de toutes les régions du pays, offrant au public des créations uniques et valorisant le patrimoine culturel national.
Cet événement mettra en exergue la créativité, la résilience et l’engagement des femmes dans le domaine de l’artisanat et de l’entrepreneuriat. Ces dernières, venues de toutes les régions du pays, feront découvrir au public leurs créations uniques, véritables témoins de notre patrimoine et de notre identité culturelle.
L’initiative offre aux artisanes une opportunité concrète de relancer et développer leurs activités, tout en donnant au public la chance de soutenir des projets porteurs de sens.
Le forum “Artisanes 3.0”, intégré au Village, constitue le temps fort de réflexion et d’échanges autour de la structuration et du développement des initiatives artisanales féminines. Il réunit des experts, des institutions et des partenaires autour de thématiques telles que l’accompagnement, l’innovation, la formalisation et la résilience économique, dans une perspective durable et inclusive.
Le Village promeut également l’achat solidaire, permettant de joindre l’utile à l’agréable : faire un geste concret pour soutenir les artisanes tout en acquérant des créations uniques, symboles de créativité féminine et de résistance.
Des familles délibérément écrasées sous des véhicules blindés, des détenus exécutés devant une caméra, des enfants orphelins abandonnés à leur sort dans le désert et autant de crimes de guerre mais aussi des assassinats basés sur des critères ethniques ce qui relève du génocide, les Forces de soutien rapide de Hemedti Dagalo ont transformé le Soudan en enfer sur terre. Les témoignages sont accablants.
Imed Bahri
Le Washington Post a publié une enquête de Kathrine Houreld et Hafiz Haroun concernant les enlèvements de masse et les crimes -notamment basés sur des critères ethniques- perpétrés par les Forces de soutien rapide (FSR) après la prise de contrôle d’El Fasher, ville de l’ouest du Soudan.
Selon des survivants, des organisations de défense des droits humains et des proches des personnes enlevées, les FSR ont détenu des milliers de civils, exigeant des rançons exorbitantes et exécutant ceux qui ne pouvaient pas payer.
Les FSR ont assiégé El Fasher pendant un an et demi, à partir de 2014, et ont systématiquement tué et enlevé ceux qui tentaient de fuir. Lorsque l’armée soudanaise s’est retirée de ses dernières positions dans la ville fin octobre et que les FSR en ont pris le contrôle, leurs combattants ont enlevé des civils en masse, y compris des femmes et des enfants. Des survivants ont rapporté que les captifs ont été torturés et affamés puis contraints de contacter leurs familles pour les supplier de les aider.
Le Washington Post a interviewé neuf victimes d’enlèvement, leurs familles ainsi que des militants. Les témoignages sur les détails concernant les méthodes d’attaque, les lieux où sont enlevés les otages et leur traitement correspondent souvent aux rapports des témoins oculaires et des organisations de défense des droits de l’homme.
Un tableau effroyable
Les difficultés de communication à El Fasher rendent complexe l’évaluation de l’ampleur des exactions commises sur place mais des témoignages divulgués dressent un tableau effroyable : des familles délibérément écrasées sous des véhicules blindés, des détenus exécutés devant une caméra et des enfants orphelins abandonnés à leur sort dans le désert.
Les Nations Unies ont déclaré que le Soudan connaissait la pire crise humanitaire au monde, avec des dizaines de milliers de morts et 12 millions de déplacés en trois ans de guerre civile.
Les récits d’atrocités commises à El Fasher, l’une des plus grandes villes du Darfour, ont mis en lumière les divisions entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux riches États du Golfe alliés aux États-Unis, mais aux intérêts divergents au Soudan.
L’Arabie saoudite soutient l’armée soudanaise, tandis que les Émirats arabes unis sont accusés d’apporter un soutien militaire et financier aux FSR. Les dirigeants émiratis ont nié ces allégations, mais des armes vendues aux Émirats ont été retrouvées à plusieurs reprises dans les stocks des FSR et des responsables politiques de tous bords à Washington ont commencé à critiquer ouvertement les Émirats.
Les sanctions américaines répétées imposées aux FSR et à l’armée soudanaise, elle aussi coupable de violations massives des droits humains, n’ont guère permis d’enrayer les massacres.
Le mois dernier, lors de sa visite à la Maison-Blanche, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a lancé un appel au président Donald Trump pour obtenir son aide afin de mettre fin au conflit. Trump a déclaré à Truth Social qu’il collaborerait avec les partenaires régionaux pour mettre fin à ces atrocités.
Pendant ce temps, de nombreux survivants restent détenus sous la menace des armes.
On estime à 270 000 le nombre de personnes qui se trouvaient à El Fasher et dans ses environs lors de sa chute le 27 octobre.
Les preuves des massacres dissimulées
Selon les Nations Unies, quelque 106 000 personnes ont fui la ville ces six dernières semaines, tandis que le sort des autres demeure inconnu.
Nathaniel Raymond, directeur du Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale, estime que les Forces de soutien rapide ont déjà tué des dizaines de milliers de personnes. Son laboratoire publiera la semaine prochaine un rapport cartographiant d’au moins 140 sites où des corps se sont accumulés et documentant les actions considérables entreprises par les FSR pour dissimuler les preuves des massacres.
Raymond raconte : «Une force de la taille d’une brigade est déployée pour dégager les corps et rien ne laisse présager un retour à la normale : aucune activité aux puits, sur les marchés, dans les rues, ni dans les transports en commun. Ils pensent devoir ramasser le plus de corps possible, le plus rapidement possible, avant que quiconque n’entre dans la ville». Le Washington Post cite un infirmier de 37 ans qui a déclaré être resté en ville pendant tout le siège. Son jeune frère a tenté de s’échapper en août mais les FSR l’ont enlevé et tué, malgré le paiement d’une rançon par sa famille, déjà très pauvre.
L’infirmier a ajouté que lorsque les combattants ont pris d’assaut la ville, il s’est enfui avec un groupe d’une centaine de personnes mais qu’ils ont été rapidement capturés. Il a précisé qu’une trentaine d’entre eux ont été sommairement exécutés.
«Je leur ai dit que j’étais médecin et que j’aidais tout le monde, y compris les membres des Forces de soutien rapide», a-t-il déclaré, convaincu que cela lui a sauvé la vie.
Le médecin a raconté que les survivants avaient été transportés en convoi jusqu’à Kutum, à une journée et demie de route : «Ils nous ont déposés devant une maison abandonnée et nous ont ordonné de contacter nos familles. Ils m’ont dit : ‘‘Tu dois les convaincre de payer 50 millions de livres soudanaises sinon nous t’exécuterons sur-le-champ’’». Il a ajouté : «J’ai contacté mes amis car je savais que ma famille n’avait pas assez d’argent». Le médecin a indiqué que ses amis avaient négocié la rançon et l’avaient ramenée à 15 millions de livres soudanaises, soit environ 25 000 dollars. Pendant qu’il attendait des nouvelles de son sort, les combattants ont amené d’autres jeunes hommes d’El Fasher et leurs chefs les ont incités à tuer à leur guise. Il s’est souvenu d’une conversation au cours de laquelle on avait dit à leurs ravisseurs : «Vous devez en tuer la moitié pour faire pression sur les autres et les contraindre à payer la rançon». Le lendemain, ses amis avaient remis la somme totale pour sa libération et il avait été relâché près de la ville de Tawila, où de nombreux rescapés d’El Fasher avaient trouvé refuge.
Un autre homme, âgé de 26 ans, a raconté avoir rejoint une foule importante fuyant vers l’ouest de la ville le 26 septembre. Il se souvient que le groupe a été pris pour cible par des tirs d’artillerie et des drones pendant sa fuite, et que lorsqu’ils ont atteint un remblai de terre construit par les FSR pour encercler la ville, des véhicules blindés ont ouvert le feu. «Certains ont essayé de s’échapper, mais en vain, et beaucoup ont été tués. D’autres ont fait semblant d’être morts, allongés immobiles au sol comme nous et les véhicules ont alors commencé à foncer sur les gens», a-t-il déclaré.
Les conducteurs des blindés scrutaient le sol, écrasant tout ce qui bougeait. «Une dizaine de personnes ont été tuées dont ma sœur et je n’ai rien pu faire pour la sauver», a-t-il dit.
Les prisonniers conduits comme du bétail
Il a poursuivi en expliquant qu’à chaque barrage routier, d’autres personnes étaient tuées par les combattants des FSR ou attaquées par des milices arabes alliées à dos de chameau. Il raconta que le groupe avec lequel il avait quitté El Fasher, qui comptait environ 150 personnes, s’était réduit à une trentaine, mais que le calvaire était loin d’être terminé. «J’étais avec mon ami et sa femme. Un soldat a tenté de prendre sa femme comme servante mais il a refusé et l’a serrée fort dans ses bras. Il fut alors abattu et sa femme tomba sur lui. Un des soldats dit: ‘‘Laissez-les se vider de leur sang’’».
Il ajouta que des combattants des FSR lui avaient bandé les yeux, ainsi qu’à une douzaine d’autres survivants, et leur avaient lié les mains derrière le dos. Ils les avaient conduits comme du bétail à Zamzam, un ancien camp de réfugiés et les avaient placés avec d’autres prisonniers. Puis, expliqua-t-il, leurs ravisseurs s’en prirent aux membres des groupes ethniques associés aux milices qui avaient défendu El Fasher contre les Forces de soutien rapide.
Chaque personne était sommée d’indiquer son appartenance tribale, a-t-il raconté. «Si quelqu’un disait ‘‘Zaghawa’’ ou appartenait à une autre tribu africaine, il était tué. Si quelqu’un disait être soldat, il était également tué», a-t-il ajouté.
Finalement, a-t-il poursuivi, lui et dix autres prisonniers ont été conduits dans une cellule d’une prison au sud-ouest d’El Fasher. Le troisième jour, a-t-il expliqué, les FSR leur ont ordonné de contacter leurs familles et d’exiger 15 millions de livres soudanaises. Deux prisonniers ont demandé une somme inférieure, prétextant que leurs proches ne pouvaient pas réunir une telle somme, mais ils ont été immédiatement tués.
Les FSR ont ordonné aux prisonniers restants de contacter leurs familles et, pendant l’appel, ils leur braquaient leurs armes sur eux. «Ils nous battaient et nous humiliaient jusqu’à ce que nos familles cèdent», précise-t-il.
Il a indiqué que sa famille avait réussi à payer la rançon en plusieurs fois et que lui et trois autres survivants avaient été libérés et conduits dans un camp de personnes déplacées situé à proximité.
Un troisième témoignage a mis en lumière le caractère systématique de cette opération d’extorsion. La prison de Daqris, à Nyala, est surpeuplée et accueille des milliers de prisonniers transférés d’El Fasher, selon une source proche du dossier. Cette source a ajouté que les détenus ne sont libérés que par l’officier des Forces de soutien rapide qui les a amenés, après le versement de rançons par des proches via une application de paiement électronique. La source a expliqué qu’environ 60 détenus sont entassés dans chaque cellule ordinaire et six dans chaque cellule d’isolement. «Les prisonniers subissent des actes de torture et de violence de la part des gardiens et beaucoup sont morts», a déclaré la source. Les décès dus aux mauvais traitements et aux maladies, notamment au choléra, sont si fréquents qu’une fosse commune située près de la prison s’est rapidement remplie.
Dans un communiqué publié cette semaine, le Réseau des médecins soudanais a indiqué que plus de 5 000 civils sont détenus à Nyala, notamment à la prison de Daqris. Parmi eux figurent du personnel médical, des personnalités politiques et des journalistes.
Dans un monde de plus en plus incertain, instable et protectionniste, les nations moyennes et petites ne peuvent plus se contenter d’être spectatrices. Parmi elles, la Tunisie doit se préparer à un monde moins généreux, moins prévisible, où la souveraineté, l’autonomie stratégique et la capacité d’anticipation deviennent vitales.(Ph. « Kairouan » de Paul Klee).
Zouhaïr Ben Amor *
Depuis une décennie, un changement profond s’opère dans l’ordre international. La mondialisation que l’on a connue pendant les années 1990-2010 — ouverte, libérale, fondée sur l’extension du commerce et des valeurs universelles — se retire progressivement au profit d’un monde fragmenté, plus dur, plus protectionniste. Les États-Unis ont refermé une partie de la parenthèse libérale qu’ils avaient eux-mêmes ouverte. L’Europe apparaît désorientée, prise entre la menace russe, la crise énergétique, l’affaiblissement industriel, et l’incertitude stratégique liée à une désolidarisation américaine en matière de défense.
Dans ce contexte, les nations moyennes et petites ne peuvent plus se contenter d’être spectatrices. Parmi elles, la Tunisie doit se préparer à un monde moins généreux, moins prévisible, où la souveraineté, l’autonomie stratégique et la capacité d’anticipation deviennent vitales.
L’objectif de cet article est de montrer comment la Tunisie peut transformer cette nouvelle réalité mondiale en une opportunité pour son développement, en articulant trois axes : 1- comprendre la recomposition géopolitique ; 2-réinventer le modèle économique tunisien ; 3- construire une diplomatie active, prudente et non-alignée.
La fin d’un monde ouvert : un retour de la puissance
Le retrait américain : pivot ou désengagement ? Depuis Barack Obama, les États-Unis ont entamé un retrait relatif du Moyen-Orient et de l’Europe. Biden l’a fait silencieusement, Trump l’a brutalement assumé. Selon Mearsheimer (2018), ce retrait n’est pas un accident, mais un réalignement stratégique fondé sur l’idée que «l’énergie américaine ne doit plus être dilapidée dans des conflits lointains» (Mearsheimer, The Great Delusion).
Cette tendance repose sur trois faits : 1- pivot vers l’Asie pour contenir la Chine ; 2- fatigue impériale après l’Irak et l’Afghanistan ; 3- crise interne américaine : polarisation, inégalités, déficit démocratique
L’Otan, longtemps pilier du système de défense européen, n’est plus considérée comme une priorité. Trump a menacé d’abandonner les alliés européens s’ils ne montaient pas leurs dépenses militaires. Cette idée est aujourd’hui reprise au Congrès américain par des voix influentes.
L’Europe découvre soudain, pour reprendre la formule de Luuk van Middelaar (2019), qu’«elle vit dans un monde hobbesien» — un monde où la force prime sur la norme.
La menace russe et le choc stratégique : l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a brisé un mythe : celui d’une Europe post-historique. L’idée, illustrée par Fukuyama (1992), que «l’histoire était terminée» au profit d’un monde pacifié et démocratique, a été brutalement démentie.
L’Europe réapprend ce que la Tunisie a toujours su : la géopolitique n’est pas un chapitre de livres, mais une affaire d’intérêts, de territoires, d’armée, d’énergie.
Le retour du protectionnisme : les États-Unis n’ont plus honte de défendre leur industrie par la force des barrières douanières : Inflation Reduction Act, Buy American Act, relocalisations massives. L’Union européenne suit timidement. L’OMC est marginalisée.
Le capitalisme mondial est désormais un capitalisme des blocs, comme l’annonçait déjà Zbigniew Brzezinski (1997) : «La lutte pour le contrôle des régions clés n’a jamais cessé.»
Le monde redevient multipolaire, conflictuel, stratégique.
La Tunisie dans le nouvel ordre mondial
Une position géographique stratégique : la Tunisie n’est ni un pays enclavé ni marginal. Elle est sur une ligne de fracture géopolitique au sud de l’Europe, au nord de l’Afrique, au centre de la Méditerranée, face aux routes migratoires, proche des champs énergétiques libyens et algériens.
Elle possède une qualité irremplaçable : la stabilité relative. Dans un Maghreb où la Libye est imprévisible, l’Algérie fragile par sa dépendance aux hydrocarbures, la Tunisie demeure un pivot.
Le risque d’être marginalisé : le danger n’est pas l’hostilité, mais l’indifférence.
Un monde protectionniste favorise les grands blocs (États-Unis ; Chine ; Inde ; Europe ; Russie ; Turquie).
Les petits pays subissent, comme l’observait déjà Raymond Aron en 1962 : «Les États faibles n’ont pas l’initiative des décisions.»
Le risque pour la Tunisie est de devenir seulement un espace de transit, un marché, un tampon.
L’Europe désemparée : partenaire fragilisé mais indispensable
L’Europe face à la guerre : L’Europe a longtemps cru en trois illusions : la paix éternelle ; l’énergie bon marché ; l’armée américaine gratuite.
Ces trois illusions se sont effondrées en 2022. L’Allemagne découvre sa vulnérabilité industrielle. La France s’inquiète pour sa souveraineté nucléaire. L’Italie regarde vers les flux migratoires et la Méditerranée.
Pourtant, l’Europe reste le premier partenaire de la Tunisie : premier investisseur ; premier marché et premier partenaire académique.
Une solidarité conditionnelle : l’Europe ne donne plus. Elle prête, elle exige, elle conditionne.
Migration, surveillance des côtes, stabilisation régionale : voilà les priorités européennes.
L’accord de juillet 2023 entre la Tunisie et l’Union européenne n’est pas un accord économique, c’est un accord stratégique. Il confirme un fait : la Méditerranée est redevenue un espace de sécurité et non seulement d’économies.
Que doit faire la Tunisie ? Un nouveau modèle
Passer de l’assistance à l’autonomie : pendant des années, la Tunisie a vécu sous le modèle de la générosité internationale (coopération, aide publique au développement, soutien budgétaire).
Ce modèle est terminé. Le monde est devenu dur. Il donne peu. Il exige beaucoup.
La Tunisie doit passer à un modèle d’autonomie intelligente : nourrir davantage son économie par ses propres forces ; bâtir des chaînes de valeur locales ; orienter l’éducation vers l’innovation
Amartya Sen (1999) nous rappelle que le développement n’est pas seulement économique, mais une capacité d’agir.
Trois secteurs prioritaires :
a) Agro-industrie et souveraineté alimentaire : l’eau devient rare. Le climat se transforme. Les prix agricoles explosent. Le monde entre dans ce que Lester Brown (2011) appelait «l’ère des pénuries».
L’agriculture tunisienne doit se moderniser : goutte à goutte généralisé; variétés résistantes agriculture de précision; et valorisation des produits du terroir.
Souveraineté ne signifie pas autarcie, mais capacité à résister aux chocs externes.
b) Énergie solaire, gaz, interconnexion : le Sahara tunisien est un trésor solaire. L’Allemagne rêve de produire au sud ce qu’elle consomme au nord. La Tunisie peut devenir un exportateur d’énergie verte.
L’interconnexion électrique avec l’Italie (Elmed) est stratégique : elle transforme la Tunisie en pont énergétique.
c) Économie de la connaissance : la Tunisie exporte ses cerveaux. Elle peut aussi exporter leurs idées (biologie, ingénieries diverses, numérique, IA…)
Ce n’est pas un rêve romantique : l’Inde, l’Estonie, Israël l’ont fait.
L’université tunisienne doit redevenir un laboratoire d’innovation, pas une machine à diplômes.
Diplomatie : prudence active et non-alignement
La Tunisie n’a aucun intérêt à choisir entre Washington, Bruxelles, Moscou, Pékin, Ankara, ou Riyad Elle doit dialoguer avec tous, comme le faisait la diplomatie yougoslave à l’ère de Tito.
Le non-alignement, loin d’être une nostalgie, est une stratégie de survie pour les États moyens. Comme le souligne Henry Kissinger (2014) : «L’équilibre des puissances protège les faibles, autant que les forts.»
Maghreb, la grande occasion : aucun pays maghrébin ne pèse seul. Une union économique, même minimale, créerait un marché de 100 millions de consommateurs ; un corridor énergétique ; une puissance méditerranéenne.
Mais l’histoire nous enseigne que le Maghreb est une idée plus sentimentale que politique.
Pourtant, la Tunisie peut être le médiateur entre l’Algérie et le Maroc. Sa neutralité est un atout.
Afrique : l’avenir démographique et économique : d’ici 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants. Le continent sera le centre de la croissance mondiale (McKinsey, 2016). La Tunisie doit se tourner vers le sud (santé, formation, ingénierie, agriculture…)
La Cedeao, l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe : la Tunisie doit y être présente.
La culture tunisienne comme soft power
Dans un monde de puissance, l’influence douce devient essentielle. La Tunisie possède un capital symbolique : modernité relative, laïcité sociale statut des femmes, patrimoine romain, islamique, méditerranéen, cinéma, littérature, musique…
La culture est une diplomatie.
La Méditerranée n’est pas seulement une mer de commerce. C’est une mer d’imaginaire. Paul Klee, August Macke et Louis Moilliet n’étaient pas venus à Saint-Germain-Ezzahra pour exporter des marchandises. Ils venaient chercher une lumière, une liberté.
La culture tunisienne peut redevenir un message universel.
Un pays debout dans un monde incertain
La Tunisie n’est pas condamnée à subir. Elle doit comprendre le monde, se réformer, se projeter, ne pas attendre les miracles extérieurs
Le monde d’hier — généreux, ouvert, multilatéral — est terminé. Celui qui vient sera plus compétitif, plus violent, plus fermé. Comme l’écrit Pierre Hassner (2003) : «Nous entrons dans l’âge post-occidental.»
Pourtant, la Tunisie possède trois forces essentielles : une position géographique unique ; une tradition d’éducation, de dialogue, de modération ; et un potentiel culturel qui fait d’elle un pays respectable
Dans un monde protectionniste, la Tunisie doit se préparer non pas à demander, mais à offrir de la stabilité, de l’énergie, du savoir, des services et une diplomatie sage.
Si elle parvient à conjuguer souveraineté et ouverture, lucidité et créativité, elle ne sera pas un espace oublié, mais une porte de la Méditerranée.
* Universitaire.
Références bibliographiques
Aron, Raymond. Paix et guerre entre les nations. Calmann-Lévy, 1962.
Brzezinski, Zbigniew. The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives. Basic Books, 1997.
Brown, Lester. World on the Edge: How to Prevent Environmental and Economic Collapse. Earth Policy Institute, 2011.
Fukuyama, Francis. The End of History and the Last Man. Free Press, 1992.
Hassner, Pierre. La terreur et l’empire : La violence et la paix II. Seuil, 2003.
Kissinger, Henry. World Order. Penguin Books, 2014.
Luuk van Middelaar. Quand l’Europe improvise : Dix ans de crises politiques. Gallimard, 2019.
McKinsey Global Institute. Lions on the Move II: Realizing the Potential of Africa’s Economies, 2016.
Mearsheimer, John. The Great Delusion: Liberal Dreams and International Realities. Yale University Press, 2018.
Sen, Amartya. Development as Freedom. Oxford University Press, 1999.