Au cœur du parc national d’El Feija, à Ghardimaou (Nord-Ouest de la Tunisie), les populations locales vivent enclavées dans un écrin de verdure, entre montagnes boisées et biodiversité exceptionnelle.
Loin du rythme effréné des villes, une cinquantaine de familles campagnardes évoluent sous l’œil permanent des patrouilles forestières. Elles sont tenues de respecter le dispositif légal appliqué à la conservation de la faune et de la flore, qui restreint fortement leurs droits d’usage des produits forestiers et toute autre activité à exercer dans ce territoire qui bénéficie d’un statut de conservation.
Le Code forestier, qui érige la forêt en richesse nationale, prive les communautés qui vivent au coeur du parc, de toute activité à caractère commercial ou industriel. Il les condamne, ainsi, à une grande précarité sociale et économique.
Rencontrés, lors d’une visite au parc, début décembre courant, dans le cadre d’une formation en journalisme environnemental, des mères de famille et des jeunes vivant au coeur de la réserve ont exprimé leur détresse. En fait, quinze jeunes gardiens forestiers exercent, actuellement, au sein de la “brigade forestière temporaire”, assurant chacun quinze jours de travail pour un salaire infime de 250 dinars par mois. L’espoir de vivre une vie différente, semble un rêve hors de leur portée.
Mohamed Oueslati, 30 ans, a passé plus de dix ans dans la réserve d’El Feija, en tant que surveillant et gardien des hardes de cerfs de l’Atlas, cervidé emblème du parc. Attaché à ces animaux et fier de son rôle, il confie, toutefois,: “Je ne peux aspirer à une vie décente avec un salaire qui assure à peine la survie”.
Sofiane Mejajri, l’un des jeunes gardiens forestiers, exprime, lui aussi, son amour profond pour la réserve où il a toujours vécu, mais reconnaît que “la splendeur du site contraste avec la misère qui touche ses habitants et les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles, ils vivent, surtout pendant l’hiver”.
“Nous vivons dans une précarité étouffante qui transforme la vie au quotidien, en une lutte pour survivre”, lance, de son côté, Hatem Stiti, un autre jeune de la réserve.
Ceux qui n’exercent pas dans la garde forestière aspirent à tirer profit du boom de l’éco-tourisme. Mais, la complexité des procédures, l’absence d’un cadre légal adapté et la rigidité des autorités forestière locales, rend cet espoir inaccessible, explique “Fares”, jeune qui s’est formé pour être guide touristique. “Les activités de camping et de randonnées sont soumises à des autorisations multiples. Je suis prêt à accueillir des visiteurs et à assurer mon rôle de guide, mais je dois, avant tout avoir ma carte professionnelle”.
Pour un organisateur de camping, il faut annoncer, une semaine à l’avance, la liste des participants et leur identité, aux autorités locales, ce qui n’est pas toujours facile. “Un peu plus de souplesse et d’ouverture aux activités d’éco-tourisme, aurait permis de créér une dynamique économique et beaucoup plus d’opportunités pour moi et pour d’autres jeunes vivant au coeur de la forêt”, souhaite le jeune Fares, actuellement condamné au chômage.
Les femmes du parc d’El Feija font preuve, de leur côté, d’une grande résilience. Nakhla, une septuagénaire, voudrait pouvoir vendre ses pains traditionnels “mlaoui” et ses huiles essentielles (lentisque et autres produits forestiers locaux) aux visiteurs, mais elle doit toujours avoir les autorisations nécessaires.
“Les bus touristiques ne viennent que le week-end ou pendant les vacances, et beaucoup de visiteurs arrivent avec leur propre nourriture”, déplore-t-elle. Pourtant, elle réclame, simplement, l’autorisation d’installer une petite baraque pour vendre ses produits “sans être chassée par les agents forestiers”.
Une autre sexagénère, rencontrée sur le site de camping d’El Feija, lance avec colère : “Vous adorez ce parc, pas nous!”. et d’ajouter en quittant les lieux, “les gens viennent et partent, mais nous, nous stagnons sans aucun espoir de voir nos conditions s’améliorer. ”
L’urgence d’une refonte de la législation
Pour Noureddine Azizi, ancien chef de l’arrondissement des forêts à Tabarka, il est urgent d’adapter la réglementation à l’évolution des approches de conservation. “On ne peut pas protéger, sans partager”, affirme-t-il, soulignant que la sédentarisation des populations forestières ne peut se faire sans une véritable dynamique économique et inclusive.
Il plaide pour une réforme profonde permettant le développement de l’écotourisme, la valorisation des ressources naturelles et l’implication des communautés locales dans des partenariats public-privé générateurs de revenus.
Certains cadres forestiers rencontrés sur le site, estiment qu’une adaptation législative est aujourd’hui indispensable pour réconcilier préservation des écosystèmes, développement économique et justice sociale. A contrario, d’autres sont toujours réticents au changement et voient dans l’ouverture une menace pour la biodiversité.
“L’écotourisme et tout ce qui en découle, comme valorisation des produits forestiers et services écotouristiques, constitue un levier essentiel pour faire sortir les communautés locales de la précarité”, estime Mohamed Temimi, fondateur de la start-up “Tunisian Campers”, une jeune pousse qui promeut le tourisme éco-responsable en Tunisie.
La visite du Parc El Feija, s’inscrit dans le cadre d’un parcours de formation de 8 mois en journalisme environnemental au profit d’une quinzaine de représentants de médias tunisiens. La formation s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre le Projet PAGECTE de la GIZ, l’Union européenne en Tunisie, le ministère de l’Environnement et le Programme d’Appui aux Médias Tunisiens (PAMT2), avec l’appui de Tunisian Campers.
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