AGRICULTURE | Céréales : «L’autosuffisance céréalière n’est pas un slogan, c’est un plan de survie» Estime Fethi Ben Khlifa – UTAP
La campagne céréalière 2024-2025 a été saluée comme « exceptionnelle ». Pourtant, derrière les chiffres, la Tunisie reste dépendante des importations de blé tendre et vulnérable aux aléas climatiques. Dans cet entretien, Fethi Ben Khalifa, conseiller économique (UTAP) rappelle que la souveraineté alimentaire ne peut se réduire à des slogans : elle exige une stratégie nationale, l’exploitation des terres domaniales, des centres de stockage efficaces et un accompagnement réel des agriculteurs.
On a parlé d’une saison exceptionnelle, certains ont même évoqué 20 millions de quintaux. Qu’en est-il réellement ?
La collecte a atteint environ 12 millions de quintaux, dont 90 % de blé dur. Mais nous continuons à importer du blé tendre pour la consommation humaine – pain, pâtes, farine. Ce n’est donc pas une campagne exceptionnelle, mais une campagne correcte après deux années de sécheresse. En 2019, nous avions fait mieux.
Comment expliquer cette dépendance persistante au blé tendre ?
La Tunisie produit surtout du blé dur. Pour le blé tendre, indispensable à notre alimentation, nous importons près de 75 % de nos besoins. C’est une vulnérabilité majeure.
La solution passe par une meilleure valorisation des terres domaniales : l’État doit via une stratégie nationale pouvoir réserver une partie importante de ses terres aux céréales et aussi faciliter aux agriculteurs l’exploitation de périmètres irrigués aux céréales plutôt que de les laisser à des cultures de confort comme les pastèques ou les tomates.
La souveraineté alimentaire exige des choix clairs et assumés.
Certains agriculteurs ont été sanctionnés pour avoir stocké leurs semences. Est-ce un problème de cadre légal ?
Oui. Aujourd’hui, il est urgent d’autoriser légalement les agriculteurs à conserver une partie de leur production pour la saison suivante. Sinon, nous restons dépendants des appels d’offres internationaux – 200.000, 300.000 tonnes – et exposés aux aléas du marché mondial.
La guerre en Ukraine nous a montré qu’on peut avoir de l’argent, mais ne pas pouvoir importer. Le stockage doit être une stratégie nationale, pas un slogan destiné à calmer l’opinion publique.
Justement, que devraient être ces centres de stockage ?
Ils doivent garantir la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, les annonces de « centres de stockage » sont souvent des effets d’annonce. Or, il faut des infrastructures modernes, capables de conserver les céréales dans de bonnes conditions, avec une gestion transparente. Sans cela, nous risquons de perdre une partie de la récolte et de continuer à importer.
Le stockage est un pilier de la souveraineté, au même titre que la production.
Le financement agricole est-il adapté à ces enjeux ?
Non. Les crédits de campagne sont instables, parfois sans garantie, et les taux atteignent 12 % pour un secteur fragile.
En 2024-2025, seulement 3,4 % des crédits économiques ont été alloués à l’agriculture.
Les offices de l’État absorbent la majorité des financements, laissant les agriculteurs marginalisés. Pourtant, ce sont eux qui prennent les risques, face aux sécheresses et aux aléas climatiques. Il faut un accompagnement réel, avec des crédits accessibles et des indemnisations rapides en cas de pertes.
Il convient de rappeler que les agriculteurs contribuent, de leurs propres ressources, à un Fonds censé les protéger contre les aléas climatiques. Pourtant, la promesse d’accompagnement reste largement théorique : les indemnisations tardent, parfois ne viennent jamais, et ceux qui devraient être soutenus se retrouvent seuls face aux pertes.
Autrement dit, un mécanisme pensé comme un filet de sécurité s’est transformé en mirage, laissant les producteurs dans une vulnérabilité accrue.
Qu’en est-il des semences locales et de la recherche scientifique ?
Nous avons un Institut national des grandes cultures, financé par les taxes des agriculteurs. Il faut valoriser les semences sélectionnées – cette année, 517.000 quintaux – et investir dans la recherche pour améliorer la productivité. Sans OGM, mais avec des variétés adaptées à notre climat.
Si nous passons de 14 à 20 quintaux en moyenne sur un million d’hectares, nous atteignons déjà 6 millions de quintaux supplémentaires. C’est une équation simple : améliorer les rendements, c’est réduire les importations.
Les agriculteurs réclament aussi des indemnisations pour les aléas climatiques…
C’est un droit. Ils cotisent à un fonds, mais les compensations annoncées pour 2023-2024 n’ont pas été versées. L’État doit respecter ses engagements, sinon la confiance s’effondre.
Les agriculteurs sont les premières victimes des sécheresses et des aléas climatiques. Sans accompagnement, ils ne peuvent pas investir ni améliorer leurs rendements. La souveraineté alimentaire passe par eux.
En résumé, quelles sont les priorités pour la Tunisie ?
Il faut axer sur volets :
- Exploiter les terres domaniales pour produire du blé tendre et réduire notre dépendance.
- Construire de vrais centres de stockage, modernes et transparents, pour sécuriser les récoltes.
- Accompagner les agriculteurs, avec des financements accessibles, des indemnisations rapides et une recherche scientifique adaptée.
La sécurité alimentaire n’est pas un luxe pour la Tunisie, c’est une condition de stabilité nationale. Dans un pays exposé aux aléas climatiques et dépendant des marchés internationaux, garantir l’accès régulier à des céréales de qualité relève autant de la souveraineté que de la dignité.
Les crises récentes – pandémie, guerre en Ukraine, sécheresses – ont montré que l’argent seul ne suffit pas : sans production locale, sans centres de stockage fiables et sans stratégie claire, le pays reste vulnérable.
Assurer la sécurité alimentaire, c’est protéger la population contre les ruptures, préserver l’équilibre social et donner aux agriculteurs la place qu’ils méritent dans le projet national.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
EN BREF
- La campagne 2024-2025 atteint 12 millions de quintaux, mais reste loin de l’autosuffisance.
- La Tunisie importe 75 % du blé tendre et demeure vulnérable aux crises internationales.
- Le stockage, encore limité, doit devenir un axe stratégique pour sécuriser la récolte.
- Les agriculteurs manquent d’un financement accessible et d’indemnisations rapides.
- La recherche et l’augmentation des rendements sont essentielles pour réduire les importations.
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