Entre Pékin et Washington : l’impossible indépendance financière des pays du Sud
Derrière les discours sur la souveraineté économique africaine, une réalité demeure : les pays en développement restent prisonniers d’un système financier international qu’ils contestent sans parvenir à s’en affranchir. Entre l’hyperdépendance au FMI, l’influence grandissante de la Chine et les failles internes des États, l’indépendance financière des pays du sud ressemble davantage à un slogan qu’à un projet structuré.
Le paradoxe est dans l’attitude des pays du Sud vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale, les deux institutions financières dénommées « institutions de Bretton Woods ». En effet, depuis pratiquement 30-40 ans, les pays du Sud dénoncent inlassablement l’ingérence des institutions de Bretton Woods. Pourtant, dès que les marchés s’effondrent, les mêmes capitales africaines frappent à la porte du FMI, qui reste le seul acteur capable de mobiliser des liquidités en urgence.
Les “alternatives” brandies à longueur de discours — prêts chinois, Banque des BRICS, financements Sud-Sud — restent lentes, conditionnées ou limitées. Aucun acteur n’a secouru le Ghana, le Pakistan ou l’Argentine lorsqu’ils étaient au bord du gouffre. Le mythe de l’indépendance financière se heurte au réel.
FMI : stabilisateur financier ou machine de contrôle politique ?
Derrière le mécanisme technique des Droits de tirage spéciaux, le FMI conserve une arme redoutable : sa capacité à imposer des réformes en échange de ses prêts. Privatisations, coupes budgétaires, gel des salaires, retrait de l’État : autant de recettes déjà appliquées dans les années 1980-1990 et qui ont laissé des cicatrices profondes en Afrique de l’Ouest, par exemple.
Le Sénégal en est un exemple brûlant. Quarante ans après les ajustements structurels, le pays se retrouve encore pris dans des négociations interminables, bloquées par des « inexactitudes » sur la dette. Pour les autorités sénégalaises, l’ingérence du FMI frôle le chantage financier. Pour le FMI, Dakar maquille ses chiffres, comme le souligne BBC Afrique.
Entre les lignes, c’est une bataille de crédibilité et de souveraineté qui se joue.
Alors, l’Afrique peut-elle rompre avec les institutions financières internationales ? Des économistes tentent d’apporter quelques éléments de réponse.
Pour le Dr Seydou Bocoum, « l’Afrique n’a pas besoin du FMI. La BCEAO pourrait jouer le rôle de prêteur de dernier recours si elle assumait pleinement sa mission », rapporte BBC Afrique.
À l’inverse, l’éditorialiste Jean-Claude Kouadio n’est pas d’accord avec ce diagnostic. Il juge impossible une rupture entre plusieurs pays africains et les institutions de Bretton Woods. Parce que « les budgets africains reposent sur une base fiscale trop étroite pour financer les fonctions essentielles de l’État ».
En clair, derrière le débat technique, il existe une réalité crue : « L’autonomie financière exige une capacité de mobilisation fiscale et monétaire que la plupart des pays ne possèdent pas ».
La Chine, faux sauveur ou véritable alternative ?
Depuis une vingtaine d’années, certains pays africains – soit par nécessité, soit par naïveté – pensent avoir trouvé la solution miracle à leur manque de financement. Ainsi, les prêts chinois financent routes, stades, chemins de fer. En somme, toutes sortes d’infrastructures. Mais à y regarder de plus près, ils créent de nouvelles dépendances, parfois plus opaques que celles du FMI.
À cette différence près : en Asie comme en Afrique, Pékin n’annule pas, il renégocie, restructure… et accroît son influence.
Autrement dit, pour les pays du Sud, l’autonomie vis-à-vis du FMI peut se transformer en dépendance vis-à-vis de la Chine.
Quid de l’Afrique ?
Plus d’un analyste estime que la souveraineté financière africaine constitue « un mot d’ordre sans stratégie ». En effet, les appels à rompre avec le « consensus de Washington » se multiplient, mais peu de pays construisent une alternative crédible, en ce sens qu’il n’y a pas de réforme profonde des banques centrales; pas d’intégration financière régionale solide; ni de stratégie monétaire autonome.
In fine, sans transformation structurelle, la souveraineté reste et restera un slogan. Et la dépendance, elle, continue et continuera de se réinventer.
À bon entendeur, salut !
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