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CIFF 2025 – Namir Abdel Messeeh, l’intime en partage : « La vie après Siham »

Un voyage à travers les festivals

Présenté pour la première fois à Cannes, dans la sélection de l’ACID, La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh a depuis entamé un long parcours international. Arrivé en Égypte, à El Gouna, le film a remporté deux distinctions – le Prix du meilleur documentaire et celui du meilleur documentaire arabe – avant d’être présenté hors compétition au Festival international du film du Caire, lors de sa 46ᵉ édition (12 au 21 novembre 2025), dans la section « Projections spéciales ».

D’une enfance entre Paris et l’Égypte à une œuvre profondément intime

Ce film profondément personnel, à la fois journal de deuil, geste de fidélité et exploration de la mémoire, prolonge la démarche d’un auteur qui, depuis ses débuts, n’a cessé de sonder la frontière entre la vie et le cinéma. Né à Paris en 1974 dans une famille copte égyptienne, formé à la FEMIS, Namir Abdel Messeeh a toujours fait dialoguer ses deux mondes : la France où il a grandi et l’Égypte dont il porte la mémoire.

Toi, Waguih et La Vierge, les Coptes et moi : les premières pierres d’un triptyque

Après le court métrage Toi, Waguih (2005), consacré à son père, il s’était fait connaître avec La Vierge, les Coptes et moi (2011), sélectionné à Cannes à l’ACID et récompensé du Tanit d’argent documentaire aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2012. Ce film, à la frontière du documentaire et de la fiction, posait déjà les questions qui traversent toute son œuvre : comment filmer ses proches, comment faire du cinéma avec eux, sans les trahir ni les enfermer.

Filmer les siens pour interroger la foi, le cinéma et l’héritage

Dans La Vierge, les Coptes et moi, Namir Abdel Messeeh filmait déjà sa propre famille. Parti dans le village de ses parents, il interrogeait les récits d’apparitions de la Vierge Marie tout en filmant sa mère, ses oncles, ses tantes et les habitants du village. En cherchant à comprendre ces phénomènes, il signait un film à la fois spirituel, drôle et lucide, où la quête de vérité religieuse se mêlait à une réflexion sur le cinéma lui-même. En mêlant documentaire et reconstitution, sérieux et humour, il s’y mettait déjà en scène, interrogeant sa place de cinéaste, de fils et d’héritier. Ce geste intime, où l’autodérision côtoie la tendresse, annonçait déjà La Vie après Siham.

La Vie après Siham, un récit de deuil et de transmission

Ce nouveau film s’inscrit dans cette même continuité. Huit ans après la mort de sa mère, Siham, puis celle de son père, Waguih, le cinéaste se retrouve face à un double deuil et à une promesse : raconter leur histoire. De ce serment naît un film de mémoire et de transmission, où le réalisateur convoque des images d’archives, des séquences filmées en Égypte et en France, et des extraits de films de Youssef Chahine pour tisser un récit à la fois intime et universel.

Au Caire, l’émotion d’un retour symbolique

Lors de la projection au Caire, l’émotion était palpable. Pour Namir Abdel Messeeh, montrer ce film dans le pays de ses parents avait une résonance particulière : « C’était la première fois que je voyais la version arabe de La Vie après Siham avec le public égyptien, et c’était angoissant pour moi », confie-t-il. « Chaque projection a été différente : en Égypte, en Espagne, en Allemagne, en France… À chaque fois, les réactions changeaient. »

Il se souvient : « Au Caire, le public a applaudi à plusieurs reprises, en plein milieu du film. C’est quelque chose que je n’avais jamais vécu ailleurs. En Allemagne, les gens m’ont dit qu’ils avaient aimé, mais leurs émotions restaient plus silencieuses. Et c’est ça, la force du cinéma : chaque projection a sa propre vie, influencée par le lieu, la taille de la salle, le nombre de spectateurs. »

Cette projection au Caire, entre compatriotes, amis et proches, avait valeur de retour symbolique. « Je suis né en France, mais je suis égyptien. Mon père et ma mère sont restés égyptiens même après avoir émigré en France. Ils n’ont jamais renié leur égyptianité, même s’ils ont été enterrés là-bas. Et moi aussi, je suis égyptien. C’est pour cela que j’ai voulu raconter cette histoire, cette hadouta masreya (clin d’œil à Youssef Chahine ?!). »

Une rencontre avec les étudiants : pourquoi et comment filmer ?

Après la projection, le réalisateur a animé une rencontre intitulée La vie après Siham : construire la mémoire à travers le documentaire (étude de cas), essentiellement destinée aux étudiants en cinéma, où il a livré un témoignage dense, empreint d’humour et d’émotion, sur sa relation au cinéma, à ses parents et à lui-même.

CIFF 2025
Namir Abdel Messeh

Des tournages insatisfaisants à la découverte de son véritable sujet

« J’ai étudié le cinéma en France et pendant mes études, j’ai tourné des films, mais je n’en étais jamais satisfait. J’ai compris qu’un film doit dire quelque chose de toi. Les miens ne disaient rien de moi. » Cette réflexion, à la fois simple et décisive, marque pour lui un tournant.

Il raconte ses débuts : « Même après l’école, j’ai fait un court métrage, mais je n’étais toujours pas content. J’ai senti qu’en filmant, j’avais face à moi quarante personnes que je ne connaissais pas. J’avais pris du temps pour écrire un scénario, et je me trouvais face à des étrangers, comme s’ils me volaient quelque chose. J’ai compris qu’il fallait que je filme des gens que j’aimais, des gens que je connaissais. »

Cette prise de conscience change son regard : « J’ai arrêté de me demander : qu’est-ce que je veux raconter ? et j’ai commencé à me demander : qui est-ce que je veux filmer ? La réponse m’est venue instinctivement : je voulais filmer mon père. »

Filmer le père : un refus, dix mois de supplications et un film de relation

Son premier film sur son père est né presque par hasard. « J’avais déposé un projet à un concours et je l’avais oublié. Un jour, j’ai appris que j’avais gagné un prix de 10 000 euros, à condition de livrer le film en un an. J’ai voulu faire un court documentaire, d’une trentaine de minutes. Mon père a refusé. Il ne comprenait pas pourquoi je voulais le filmer. »

Dix mois de discussions et de supplications s’ensuivent. « J’ai dû le supplier. Et puis, j’ai compris que je devais trouver un moyen de filmer quelqu’un qui refusait d’être filmé. La seule solution, c’était que le film soit sur nous deux. Notre relation devant la caméra. Je devais être là pour le rassurer. »

Cette décision donne naissance à un film d’une nature nouvelle : non plus un portrait, mais une conversation. Le cinéma devient une manière de recréer un lien. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le cinéma pouvait être un moyen d’aimer, de comprendre. »

Sa mère, apprenant le projet, ne cache pas sa jalousie. « Elle m’a dit : pourquoi lui et pas moi ? » racontera-t-il en souriant. Cette remarque, à la fois drôle et sincère, deviendra le point de départ d’un autre film, et d’une réflexion sur la manière de filmer ceux qu’on aime.

Un père cultivé, des désaccords de cinéma et une larme fondatrice

« Ma relation avec les films est plus importante qu’avec les êtres humains. Un film parle, un film communique, un film est émotions… un film est vivant. »
C’est à ce moment précis qu’il découvre ce qu’est un réalisateur : « Et c’est ainsi que j’ai compris qu’il existe quelqu’un qui s’appelle le réalisateur. C’est lui qui raconte cette histoire. Pourquoi et comment ? Un film est le portrait d’un réalisateur. C’est ce qui m’a fait aimer les films. »

Namir Abdel Messeeh évoque souvent son père avec admiration. « Mon père était très instruit : il lisait beaucoup, allait au théâtre, au cinéma. Mais nous n’aimions pas les mêmes films. »

Cette différence de goût nourrit leurs échanges, parfois leurs désaccords. « Il n’a pas aimé La Vierge, les Coptes et moi. Il ne comprenait pas qu’on puisse faire un film pour raconter une personne, ou une famille, ni comment ce film avait pu obtenir des prix. »

Et pourtant, c’est une scène muette de ce père cultivé et pudique qui devient le cœur de son inspiration. « Le jour de sa retraite, il devait faire un discours. Il n’avait pas pu. Une collègue a pris la parole à sa place. J’ai commencé à filmer notre famille et tous nos événements très tôt. Donc ce jour-là, j’étais là, je filmais la fête. Et j’ai filmé une larme qui a glissé sur sa joue. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais faire un film pour qu’il puisse dire ce qu’il n’avait jamais dit. »

CIFF 2025
Namir Abdel Messeh
CIFF 2025 – Namir Abdel Messeh lors de la rencontre avec les étudiants

La peur du ridicule et la décision d’assumer sa famille à l’écran

Le réalisateur, en préparant La Vierge, les Coptes et moi, et alors qu’il devait aller filmer sa famille dans leur village, décide d’appeler sa mère via Skype. « J’ai demandé à mon équipe de filmer la conversation sans qu’elle le sache. Elle posait plein de questions. Quand elle a su que j’allais filmer ma famille, elle s’est mise en colère. Elle m’a dit qu’elle allait leur dire de refuser de tourner, qu’elle porterait plainte contre moi s’il le faut. »

« Je ne savais plus quoi faire et je regarde le caméraman, il riait. »

Ce moment, aussi drôle que violent, révèle une peur enfouie. « Ma mère avait peur que les gens se moquent de sa famille, de leur pauvreté, de leur ignorance. » En revoyant les rushs, il comprend que cette peur est elle-même un sujet, et décide de garder cette scène pour son film. « J’ai pris cette responsabilité et j’accepte la réaction des spectateurs. Peut-être que certains se sont moqués d’eux. Peut-être que certains les ont détestés. Mais d’autres les ont aimés, parce qu’ils ont senti que moi, je les aimais. »

Pour lui, filmer quelqu’un, c’est avant tout une question d’amour. « J’ai demandé à Yousry Nasrallah s’il aimait ses acteurs. Il m’a répondu : oui, comme un père. Cet amour est essentiel. Moi, je ne peux filmer une personne que si je l’aime. »

« Je reviens à la question : pourquoi tu fais des films ? Si c’est pour que les gens t’aiment, c’est ton droit. Moi, je veux aimer mes films et les spectateurs sont libres d’aimer ou pas ! »

Cannes : une projection éprouvante, entre fatigue et panique

Quand il évoque La Vie après Siham, la voix du réalisateur se charge d’émotion. « Pendant la projection à Cannes, j’ai pleuré. C’était dans la section ACID, il y avait quatre cents exploitants de salles. C’était le troisième jour, tout le monde était fatigué. »

Il se souvient d’une scène censée être comique : personne n’a ri. Aucune réaction. Aucune réaction jusqu’à la fin. « J’étais assis, et je commençais à paniquer. J’avais ouvert les portes de chez moi et j’y ai invité des inconnus, et je me disais que je ne voulais plus les voir chez moi. Je pleurais aussi parce que pendant dix ans, j’avais travaillé mon film, il était mon bébé et en même temps je sentais ma mère avec moi. Mais c’était fini, je perdais le contrôle de mon film. Je devais accepter que c’était fini : ma mère est morte et le film ne m’appartient plus. Je devais dire adieu à un process, comme si j’avais un enfant qui venait d’atteindre dix-huit ans et qu’il fallait le laisser vivre sa vie, et accepter qu’il allait prendre ses propres décisions. »

Les films de Youssef Chahine comme mémoire collective et refuge

Il en tire une leçon : « Si ton film réussit, tant mieux. Sinon, il faut comprendre les raisons de son échec et apprendre pour mieux faire ensuite. Mon premier court, que j’ai détesté, m’a appris beaucoup de choses. »

Il raconte ensuite comment est née l’idée d’utiliser des extraits des films de Youssef Chahine. « Je ne me rappelle plus exactement comment j’ai eu cette idée, mais j’ai compris que les films de Chahine font partie de notre mémoire collective. En les utilisant, je créais une connexion entre ma mère et les spectateurs. »

Pendant le montage, il réalise que montrer trop de photos de sa mère ne produirait pas l’effet espéré. « Les spectateurs ne la connaissent pas. Ces images ne les toucheraient pas. Mais tout le monde connaît les films de Chahine. Ils font partie de notre inconscient collectif et ces scènes créent un lien et expriment des émotions. »

Il se souvient d’une scène bouleversante : « Ma mère était très malade. Sa bouche était enflée, elle avait du mal à articuler. Elle m’a dit : Namir, tu avais dit que tu irais à Cannes un jour. Tu n’as encore fait aucun film qui y soit allé. Si un jour tu y vas, sache que je serai avec toi et que je te ferai un signe de la main. »

Cette scène, son monteur et lui l’ont revue plusieurs fois, mais elle était insoutenable. « Son visage était trop enflé. Je ne pouvais pas la montrer ainsi. J’ai remplacé cette séquence par des images de Chahine. Elles disaient la même chose, sans la montrer diminuée. »

Dépression, doute et nécessité d’une équipe qui croit au film

Mais La Vie après Siham n’a pas été un film facile à faire. « Après avoir commencé le tournage, j’ai fait une dépression pendant trois ans. J’ai cru que le film ne se ferait jamais. »

C’est son monteur qui l’a poussé à continuer. « Il m’a dit : il te faut un producteur et un scénariste qui croient en toi. » Namir rencontre alors une productrice passionnée, prête à défendre le projet. « Il faut quelqu’un qui ait du recul, qui comprenne ton film et qui te soutienne. »

Faire un film personnel, dit-il, demande de la force et de la patience. « Ce genre de cinéma est difficile, pas seulement pour des raisons artistiques, mais parce qu’il t’oblige à te confronter à toi-même. Il faut accepter d’être fragile. »

Un homme, sa caméra et une famille qui le prend pour un idiot

Le sujet du film, c’est celui d’un type qui, depuis toujours, filme sa famille, toujours, et sa famille le traite d’idiot. C’est comme si la caméra, depuis toujours, était sa mémoire. Ce film a été difficile à trouver. Il a fallu trouver le personnage principal et, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ce n’est pas Siham, c’est Namir. C’est son histoire avec la caméra depuis de très longues années, avant même l’idée de ces films.

Au Caire, devant les étudiants, il parle de cette fragilité avec une franchise rare. « La Vie après Siham est un film douloureux, mais il est aussi plein de vie. Ce genre de sentiments, on passe souvent notre existence à essayer de les éviter. Le film m’a obligé à les affronter. »
Et il conclut simplement : « Filmer, c’est aimer. C’est comprendre. C’est dire adieu sans oublier. »

S’enraciner entre l’Égypte et la France, et transmettre cet héritage

À travers ses trois films, Namir Abdel Messeeh n’a cessé de creuser un même sillon : celui de la mémoire et de l’appartenance. En filmant son père, sa mère, sa famille égyptienne, son village, puis leur souvenir, il a voulu retenir ce qui risquait de s’effacer : les gestes, les voix, les visages, la langue d’un pays quitté mais jamais perdu. Son cinéma s’enracine dans cette Égypte intérieure, transmise par ses parents. Il la porte en lui, au plus profond de son être. Et il cherche à la préserver du temps, comme s’il craignait que ses racines se diluent.

Ce travail de mémoire est aussi une manière de se construire. Français par la naissance et par la vie, égyptien par le sang et par le cœur, il relie ces deux parts de lui-même pour en faire un lieu de passage : un pont entre deux histoires, deux imaginaires, deux façons d’exister. Il documente pour se souvenir, mais aussi pour ne pas rompre la chaîne – pour que le lien continue à vivre à travers les images.

Et lorsque La Vie après Siham referme ce long chapitre de deuil et de transmission, une autre question demeure, suspendue : cet héritage qu’il a sauvé, le transmettra-t-il à son tour ? Ses enfants poursuivront-ils cette œuvre de mémoire, ce dialogue ininterrompu entre les racines et le présent, entre l’Égypte et la France, entre la vie et ce qu’elle laisse ?

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Mohamed Abdelaziz, un demi-siècle de rires et de conscience sociale

Figure centrale du cinéma égyptien depuis les années 1970, Mohamed Abdelaziz a bâti une œuvre profondément populaire sans jamais renoncer à une exigence artistique rigoureuse. Réalisateur de comédies devenues cultes, mais aussi enseignant et homme de théâtre, il occupe une place unique dans l’histoire du cinéma arabe : celle d’un artiste qui a su concilier succès populaire, responsabilité sociale et fidélité absolue à une vision éthique du métier. Cette longévité exceptionnelle, nourrie par une connaissance intime des différentes générations de cinéastes depuis plus de soixante ans, fait de lui un témoin précieux de l’évolution du cinéma égyptien moderne.

À l’occasion de la 46ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), qui se déroule du 12 au 21 novembre 2025, le festival lui a rendu hommage lors de la cérémonie d’ouverture en lui décernant la Pyramide d’Or pour l’ensemble de sa carrière. Le lendemain, une conversation approfondie a été organisée avec lui, modérée par le critique Osama Abdel Fattah, en présence d’un public nombreux et de plusieurs artistes venus célébrer son parcours. Ce moment a permis de retracer une trajectoire d’une richesse exceptionnelle et de mettre en lumière, à travers ses propres mots, ce qui constitue l’essence de son œuvre : une comédie sociale sérieuse, structurée, engagée, au service de la société.

L’émotion d’un hommage : un public inattendu et un parcours reconnu

Mohamed Abdelaziz commence par revenir sur l’émotion qui l’a traversé lorsque Hussein Fahmy, président du CIFF, l’a informé qu’il recevrait la Pyramide d’Or. Il dit connaître Hussein Fahmy depuis des dizaines d’années : ils ont tourné ensemble de nombreux films, dont certains ont rencontré un immense succès. Il décrit cette annonce comme un moment de bonheur pur.

Mais c’est surtout l’accueil du public lors de la cérémonie d’ouverture qui l’a profondément bouleversé. Il avoue avoir été « effrayé » par cette chaleur inattendue :
« Je ne pensais pas mériter un tel hommage », confie-t-il.

Cette réaction du public lui a donné le sentiment que son parcours — ses 67 films, ses 20 feuilletons et ses pièces de théâtre, dont 3 dans le secteur privé — « n’avait pas été vain ».

Il insiste également sur une dimension essentielle de sa carrière : la transmission. Il se décrit comme l’élève d’une génération prestigieuse dont il a hérité un patrimoine artistique qu’il considère comme un devoir de transmettre à son tour. Cet engagement accompagne toute sa vie professionnelle. Il mentionne aussi qu’un livre a été édité par le CIFF à cette occasion et sera distribué aux festivaliers.

Une vie consacrée au cinéma, au théâtre et à l’enseignement

Depuis 1964, Mohamed Abdelaziz travaille simultanément dans le cinéma, le théâtre et l’enseignement. Le modérateur Osama Abdel Fattah rappelle qu’il est considéré comme l’un des enseignants de cinéma les plus anciens au monde, ayant vu défiler des générations de réalisateurs, à commencer par Daoud Abdel Sayed, Khairy Beshara, jusqu’aux jeunes cinéastes d’aujourd’hui.

Mohamed Abdelaziz confirme cette continuité et souligne l’importance qu’il accorde à l’enseignement. Il évoque sa rencontre avec Hussein Fahmy à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire dans les années 1960, où leurs professeurs leur avaient « inculqué l’amour du cinéma ».

En riant, Hussein Fahmy a pris la parole juste pour expliquer qu’il avait enseigné pendant une douzaine d’années avant d’arrêter « parce qu’il n’avait pas la patience », tandis que Mohamed Abdelaziz, lui, n’a jamais cessé d’enseigner.

Mohamed Abdelaziz a continué en affirmant que l’enseignement constitue pour lui une forme de création : transmettre à des jeunes talents, les voir évoluer, les voir réussir, lui procure un sentiment de joie et d’accomplissement. Il exprime toutefois un regret sincère : « Les étudiants ne présentent un film comique comme projet de fin d’études que tous les vingt ans », dit-il. La comédie, selon lui, demande une maîtrise particulière que trop peu de jeunes cinéastes osent aborder.

Les débuts dans la tragédie

Avant de devenir l’un des maîtres de la comédie sociale, Mohamed Abdelaziz s’est d’abord orienté vers la tragédie. Diplômé de l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, formé par les grands, dont Salah Abou Seif et Hussein Kamal, il réalise ses deux premiers films dans un registre dramatique : Images interdites (1972) puis Une femme du Caire (1973).

Mais après ces deux films, il se retrouve pendant deux années sans travail. C’est alors que son ancien professeur, le Dr Hatchman, lui apporte un scénario de comédie. Ironie du sort : ce professeur lui avait déjà dit, lorsqu’il était étudiant, qu’il finirait par faire de la comédie. Mohamed Abdelaziz accepte. Le film — Fil Seef Lazem Neheb (1974) — devient un immense succès, à la fois public et critique, au point que certains ont dit qu’il prendrait la suite du grand réalisateur Fatin Abdel Wahab.

Ce tournant le fait entrer durablement dans le monde de la comédie, même s’il insiste sur un point : « Je ne suis pas allé vers la comédie. C’est la comédie qui est venue vers moi. »

Tragédie et comédie : deux visions du monde

Mohamed Abdelaziz consacre un long moment à expliquer la différence profonde entre la tragédie et la comédie, une distinction essentielle à sa compréhension du cinéma.

La tragédie, dit-il, s’intéresse généralement à un cas particulier. Elle raconte l’histoire d’un personnage qui commet une seule erreur — une seule — et qui en paiera le prix toute sa vie. C’est un art centré sur l’individu, sur ses choix personnels, sur son destin.

La comédie, au contraire, regarde la société tout entière. Elle s’empare des comportements collectifs, des dérives sociales, de ce qui dysfonctionne dans la vie quotidienne. Elle ridiculise certaines attitudes, expose les contradictions et les déformations des relations humaines. Elle pousse à réfléchir sans même qu’on s’en aperçoive.

« La comédie traite de sujets sérieux », affirme-t-il. Elle parle de problèmes sociaux, de mauvaises habitudes, de comportements nuisibles. Et comme elle attire beaucoup de spectateurs, elle possède une influence considérable. Beaucoup plus, selon lui, que la tragédie, parce qu’elle touche un public immensément large.

Il renverse ainsi l’idée reçue qui voudrait que la comédie soit un art mineur : la comédie, pour lui, est plus sérieuse que la tragédie.

Une rigueur absolue : aucun gag gratuit, aucune improvisation

Son secret : « si tu veux faire de la comédie, il ne faut pas plaisanter ».

Mohamed Abdelaziz raconte ensuite comment il a instauré une discipline stricte sur ses plateaux. Pour lui, le rire n’est pas un but en soi. C’est une conséquence. Il faut donc bien réfléchir un film, bien le structurer, étudier toutes les scènes et ne pas céder à la facilité.

Il donne un exemple : dès son premier film comique, l’immense comédien Abdel Monem Madbouly propose de mettre sa veste à l’envers pour provoquer un gag immédiat. Il refuse catégoriquement : « ce n’est pas cela qui fait rire », dit-il.

Il insiste : il ne réalise jamais un film dans l’intention de provoquer le rire.
« Je ne fais pas un film pour faire rire », explique-t-il à Madbouly, qui reste stupéfait. Cette ligne de conduite marque une frontière claire : la comédie doit naître des situations, jamais de l’artifice.

À partir de là, il impose une règle fondatrice : aucune improvisation ne doit altérer le message. Que ce soit avec des comédiens de théâtre habitués à improviser, avec des stars ou avec de jeunes acteurs, il veille personnellement au respect absolu du texte et du rythme. Il raconte qu’au théâtre aussi, il se tenait chaque soir dans les coulisses pour vérifier que les comédiens ne modifiaient pas les scènes. Pour lui, cette rigueur est indispensable : « si l’on cède un peu, on ne peut plus contrôler le film, et il peut devenir une comédie sans intérêt ». La comédie, dit-il, exige une construction précise : « C’est une opération architecturale difficile à monter. »

Intabihu Ayuha Al-Sada: critique du libéralisme et confrontation morale

Parmi ses œuvres les plus importantes, Mohamed Abdelaziz cite Intabihu Ayuha Al-Sada (1978), un film qui critique ouvertement l’ « infitah » — le libéralisme économique — et le pouvoir écrasant de l’argent sur les valeurs morales.

Il raconte l’histoire réelle qui l’a inspiré : celle d’un voisin respectable dont la fille, diplômée de droit, s’est vue imposer un mariage avec un cousin non diplômé mais propriétaire d’un atelier de mécanique, donc très riche. Le mari, complexé, adopte un comportement horrible.

Avec ses collaborateurs, il transpose cette histoire en opposant un universitaire à un éboueur, montrant comment le matériel peut prendre le dessus sur la morale. Le film, financé en partie sur ses propres deniers, réalisé avec un petit budget, remporte un immense succès et plusieurs prix — pour lui-même et pour Hussein Fahmy, qui y joue l’un des deux rôles principaux avec Mahmoud Yassine. Tout le dialogue de ce film, en plus de faire rire, comportait une critique de la société. Et c’est bien ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que la comédie est très sérieuse.

Avec Adel Imam : confiance, discipline et un héritage de dix-huit films

Une grande partie de la conversation est consacrée à sa relation avec Adel Imam. Leur première rencontre remonte à l’époque où Mohamed Abdelaziz était assistant auprès de Med Salem sur un film pour la télévision avec Fouad El Mohandes : c’était d’ailleurs la toute première fois qu’Adel Imam se tenait devant une caméra de cinéma.

Plus tard, lorsqu’il réalise Dakkat Qalbi (1976), une comédie dans laquelle il engage des acteurs tragiques, dont Mahmoud Yassine, Adel Imam lui téléphone : « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? ». Mais il l’appellera plus tard, pour son film Juns Naeim (1977). Leur collaboration commence alors.

Ils tournent ensemble dix-huit films, parfois trois ou quatre par an.

Adel Imam arrivait du théâtre et voulait son propre espace mais Mohamed Abdelaziz a imposé des règles strictes. Ils travaillaient avec une méthode rigoureuse : lecture scène par scène du scénario, propositions de l’un ou de l’autre, accord final — puis interdiction absolue pour Adel Imam de changer la moindre phrase, règle que l’acteur, pourtant habitué à l’improvisation théâtrale, a respecté avec rigueur.

Mohamed Abdelaziz raconte les nuits où Adel Imam jouait au théâtre jusqu’à trois heures du matin, puis venait le rejoindre pour travailler sur un scénario. À neuf heures, lui-même donnait son cours à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, puis rejoignait le tournage à quatorze heures. Un rythme épuisant, mais passionnant.

Quand Adel Imam refusait Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn (1978)

Cette anecdote, racontée avec humour, est l’un des moments les plus savoureux de la conversation.

Mohamed Abdelaziz envoie le scénario du film Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn à Adel Imam. Celui-ci le lit et refuse catégoriquement : « Ce film ne réussira pas. »

Il pense à plusieurs acteurs, mais aucun ne le convainc ; il veut absolument Adel Imam.

Il apprend que celui-ci est à Alexandrie pour une pièce de théâtre. Il prend alors une décision inattendue : déplacer tout le tournage à Alexandrie.

Un soir, après la représentation, il va voir Adel Imam dans sa loge. C’est alors qu’un assistant entre avec la feuille de service du lendemain et la remet à Adel, qui s’écrie :
— « J’ai refusé ce film ! »

Mohamed Abdelaziz répond calmement :
— « Le tournage commence demain. »

Adel Imam finit par se rendre sur le plateau. Au troisième jour, il répète : « Le film sera un échec. »

Mais une fois sorti en salles, le film rencontre un immense succès. Un jour, ils assistent ensemble à la séance de 18 heures : la salle rit sans interruption.

Mohamed Abdelaziz lui dit : « Tu vois ? » Et Adel Imam, amusé, répond : « Ce n’est pas le scénario que tu m’avais donné ! »

Une plaisanterie devenue célèbre, symbole de leur complicité.

Témoignages des artistes : gratitude et reconnaissance

Lorsque Mohamed Abdelaziz termine de parler, deux artistes présentes prennent la parole.

L’actrice Lebleba se souvient que, dès leur première rencontre, il lui avait dit qu’elle deviendrait une star. Elle évoque leur travail commun : il lui a appris la précision dans le jeu comique, l’importance de ne pas « bouger la tête n’importe comment », la manière de regarder la caméra, et la nécessité de jouer avec naturel. Elle parle du film où elle joue une femme constamment enceinte pour garder son mari – Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn – puis de Khally Balak Men Giranak (1979), pour lequel elle a été choisie à la dernière minute après le désistement d’une autre actrice. Le film est resté trente-quatre semaines en salles et a lancé sa carrière de manière décisive.

Elham Chahine, quant à elle, raconte que leur relation est à la fois professionnelle et familiale. Elle se souvient qu’il lui avait envoyé une pièce comique comportant quatre grandes scènes musicales, alors qu’elle était connue pour jouer le drame et la tragédie. Cette pièce, jouée pendant cinq ans et présentée dans de nombreux pays arabes, a révélé au public et aux réalisateurs une facette d’elle que personne ne soupçonnait. Grâce à lui, elle a commencé à être prise au sérieux dans des rôles comiques et même dans des rôles de chanteuse.

En écoutant Mohamed Abdelaziz dérouler ces souvenirs, ces principes et ces scènes de travail, on comprend que sa carrière n’a jamais été seulement une succession de films, mais une manière de penser la société et de dialoguer avec elle. Chaque anecdote qu’il raconte, chaque détail qu’il restitue, révèle une philosophie du cinéma où la comédie n’est jamais un simple divertissement : elle devient une forme de militantisme, un engagement discret mais profond, orienté vers l’idée d’un monde meilleur.

Pour lui, faire rire n’est pas une échappée légère : c’est une stratégie pour faire réfléchir. Il insiste sur cette conviction, répétée comme un fil rouge : on transforme davantage les mentalités avec le rire qu’avec un discours direct et sérieux, qui risquerait de braquer le public. La comédie, parce qu’elle attire, désarme et rassemble, ouvre un espace où les sujets sensibles peuvent être abordés sans violence, où les contradictions sociales apparaissent avec clarté, où les comportements peuvent être questionnés sans accuser frontalement.

Ce qui frappe, au terme de cette rencontre, c’est l’extrême cohérence de son parcours. Le réalisateur qui refuse un gag facile, qui impose une discipline intransigeante, qui déplace un tournage entier pour convaincre un acteur, est le même qui continue d’enseigner, de transmettre, et de rappeler aux jeunes cinéastes que la comédie est un langage indispensable pour comprendre une société et la faire évoluer.

Et l’on se prend alors à imaginer ce que pourrait devenir la comédie égyptienne si davantage de jeunes réalisateurs acceptaient, comme lui, d’en faire un espace d’action, de réflexion et d’espoir. Peut-être est-ce là l’horizon que cette conversation ouvre : celui d’une génération qui, en revisitant les leçons de Mohamed Abdelaziz, redonnera à la comédie sa force première — faire rire pour mieux éclairer, mieux questionner, mieux transformer.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – 25 films égyptiens pour le centenaire de la FIPRESCI

Le Festival international du film du Caire (CIFF) a révélé, en partenariat avec la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) et l’Association égyptienne des critiques de cinéma (EFCA), la liste des 25 meilleurs films égyptiens du premier quart du XXIᵉ siècle. L’initiative, lancée à l’occasion du centenaire de la FIPRESCI, marque une étape majeure dans la collaboration historique entre les critiques internationaux et l’un des festivals les plus prestigieux du monde arabe et d’Afrique.

Les résultats de ce classement seront publiés dans un ouvrage spécial édité pour la 46ᵉ édition du festival, prévue du 12 au 21 novembre 2025. Ce volume comprendra des analyses critiques de chacun des vingt-cinq films retenus ainsi qu’une étude approfondie des grandes tendances esthétiques et de production qui ont marqué le cinéma égyptien depuis l’an 2000. En complément, une table ronde sera organisée durant le festival pour présenter l’ouvrage et en débattre avec le public, les critiques et les professionnels.

L’idée de ce sondage est née d’une séance de réflexion réunissant les trois partenaires – FIPRESCI, CIFF et EFCA – avec l’objectif de documenter plus d’un siècle de cinéma égyptien, tout en valorisant les réalisations récentes à travers un regard critique rigoureux. L’annonce officielle du projet avait été faite en mai 2025 au Pavillon égyptien du Marché du Film de Cannes, lors de la 78ᵉ édition du festival.

Une méthodologie précise

Pour établir ce classement, un formulaire de vote a été distribué à l’ensemble des membres de l’Association égyptienne des critiques de cinéma. Ceux-ci disposaient d’une liste de 881 longs-métrages sortis en Égypte entre le 1ᵉʳ janvier 2001 et le 31 juillet 2025. Si les cinq derniers mois de l’année en cours n’ont pas été pris en compte, ce choix permettait de présenter les résultats en amont du festival. Les films éligibles incluaient aussi bien les sorties en salles que les œuvres directement diffusées sur les chaînes satellites ou les plateformes de streaming, garantissant une compétition équitable entre toutes les productions.

Soixante-trois critiques ont participé à ce vote, témoignant d’un fort engagement de la profession. Ce travail collectif offre désormais une référence précieuse pour les spectateurs, les chercheurs et les historiens du cinéma désireux de comprendre quelles œuvres ont marqué de façon décisive le paysage cinématographique égyptien des vingt-cinq dernières années.

CIFF 2025 FIPRESCI 
Cinéma égyptien

Le palmarès des 25 films retenus

Parmi les films les mieux classés, I Love Cinema d’Osama Fawzy illustre avec une délicatesse rare la manière dont le cinéma peut devenir un moteur de curiosité et de passion chez les jeunes générations. Le film met en scène un jeune garçon fasciné par les images et les histoires, offrant une réflexion implicite sur la relation intime entre le spectateur et l’art cinématographique, mais aussi sur la manière dont le cinéma peut incarner des repères culturels et sociaux dans l’Égypte contemporaine. Cette sensibilité se retrouve dans les œuvres de Daoud Abdel Sayed, dont Les messages de la mer explore avec profondeur la mémoire et l’identité à travers le récit d’un homme confronté à son passé. Ces films témoignent d’un cinéma qui, tout en racontant des histoires personnelles, engage une réflexion plus large sur la société et la culture égyptiennes.

La sélection met également en lumière des réalisateurs capables de combiner réussite critique et reconnaissance internationale. C’est le cas de Mawran Hamed avec Immeuble Yacoubian, qui a non seulement lancé sa carrière mais a également propulsé le roman d’Alla Al Aswany sur la scène mondiale. Le film a permis de donner une visibilité internationale à la littérature et au cinéma égyptiens, tout en abordant avec acuité les tensions sociales, politiques et économiques de l’époque. Cette capacité à toucher un public large tout en conservant une exigence artistique se retrouve chez Youssef Chahine et Khaled Youssef, dont la collaboration sur Le Chaos confirme l’influence durable de Chahine et sa manière de traiter les questions sociales complexes avec un style narratif affirmé.

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Le classement reconnaît aussi l’émergence de voix nouvelles et audacieuses qui expérimentent formes et esthétiques. Omar Zohairy, avec Plumes, incarne ce cinéma contemporain capable de surprendre et de provoquer, tant par sa présentation à Cannes que par la polémique qu’il a suscitée en Égypte. Ce décalage entre l’accueil international, marqué par la reconnaissance du film dans les festivals, et la réaction locale, souvent critique voire hostile, illustre la tension permanente entre modernité artistique et perception sociale en Égypte. De même, Microphone d’Ahmad Abdalla Elsayed s’intéresse à la culture underground et à la scène musicale alternative du Caire, révélant une jeunesse inventive et engagée. Ces œuvres montrent que le cinéma égyptien du XXIᵉ siècle n’est pas seulement tourné vers le divertissement ou la tradition : il cherche également à questionner, expérimenter et renouveler ses codes, en donnant voix à des récits jusqu’alors marginalisés. Il est à noter que ces deux films ont remporté le Tanit d’Or aux Journées Cinématographiques de Carthage.

La place donnée aux films explorant des problématiques urbaines et sociales, comme Les derniers jours d’une ville de Tamer El Said, démontre un intérêt pour l’espace contemporain et ses transformations. Le Caire devient alors un personnage à part entière, et les histoires qui s’y déroulent reflètent les mutations de la société, les tensions individuelles et collectives, ainsi que les nouvelles formes de vie dans la métropole. De même, Les femmes du Caire met en avant des perspectives féminines et des personnages marginalisés, soulignant que le cinéma égyptien contemporain accorde une importance croissante à la diversité des voix et à la représentation des réalités sociales complexes.

CIFF 2025 FIPRESCI 
Cinéma égyptien
CIFF 2025 FIPRESCI Cinéma égyptien

Enfin, ce classement met en évidence un équilibre entre films audacieux et œuvres accessibles, montrant que le cinéma égyptien du XXIᵉ siècle sait allier innovation artistique et dialogue avec le public. Cette sélection témoigne de la vitalité et de la diversité du cinéma égyptien, capable de naviguer entre tradition et modernité, entre succès national et reconnaissance internationale, tout en continuant à documenter et à interroger les transformations sociales et culturelles de la société contemporaine.

Une initiative qui s’inscrit dans l’histoire du festival et de la critique

Fondé en 1976, le Festival international du film du Caire reste le seul festival arabe et africain classé en catégorie « A » par la FIAPF (Fédération internationale des associations de producteurs de films), statut qu’il partage avec les plus grands rendez-vous cinématographiques mondiaux. Ce projet s’inscrit ainsi dans sa mission de valorisation du patrimoine cinématographique tout en accompagnant les évolutions du cinéma contemporain.

De son côté, la FIPRESCI, créée en 1925 à Bruxelles, regroupe aujourd’hui les associations nationales de critiques de plus de cinquante pays et des membres individuels d’une quarantaine d’autres. Sa vocation est de défendre la critique cinématographique et de promouvoir la culture du cinéma à l’échelle internationale.

Avec cette sélection, la FIPRESCI, l’EFCA et le CIFF offrent un panorama inédit du cinéma égyptien de ce début de siècle, un outil de mémoire et de transmission qui invite à relire un quart de siècle de création à travers le regard exigeant des critiques. L’ouvrage et les débats à venir devraient nourrir une réflexion approfondie sur la vitalité d’un cinéma en perpétuel dialogue avec son histoire et son présent.

Voici le classement complet établi par les critiques

  1. I Love Cinema (2004) — Osama Fawzy
  2. Les messages de la mer (2010) — Daoud Abdel Sayed
  3. Le Citoyen, l’indic et le voleur (2001) — Daoud Abdel Sayed
  4. La Porte du soleil (2004) — Yousry Nasrallah
  5. L’appartement d’Héliopolis (2007) — Mohamed Khan
  6. Nuits blanches (2003) — Hani Khalifa
  7. Les Meilleurs moments (2004) — Hala Khalil
  8. Microphone (2011) — Ahmad Abdalla Elsayed
  9. Ibrahim El Abyad (2009) — Mawran Hamed
  10. Immeuble Yacoubian (2006) — Mawran Hamed
  11. Le Magicien (2001) — Radwan El-Kashef
  12. Les derniers jours d’une ville (2016) — Tamer El Said
  13. Son Excellence le Ministre (2002) — Samir Seif
  14. Les femmes du Caire (2009) — Yousry Nasrallah
  15. Sortir au jour (2012) — Hala Lotfy
  16. Les Portes fermées (2001) — Atef Hatata
  17. Plumes (2021) — Omar Zohairy
  18. L’Aquarium (2008) — Yousry Nasrallah
  19. Chercher une issue pour M. Rambo (2025) — Khaled Mansour
  20. Hiyam, la fille de l’usine (2014) — Mohamed Khan
  21. Un-zéro (2009) — Kamlah Abu-Zikri
  22. Temps libre (2006) — Mohammed Moustafa
  23. L’Île (2007) — Sherif Arafa
  24. Abu Zaabal 89 (2025) — Bassam Mortada
  25. Le Chaos (2007) — Youssef Chahine & Khaled Youssef

Neïla Driss

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El Gouna 2025 – Cinq films égyptiens sélectionnés

Depuis sa création, le Festival de cinéma d’El Gouna (GFF) s’est imposé comme l’un des rendez-vous majeurs pour le cinéma arabe. À la fois vitrine internationale et espace de travail, il offre aux cinéastes la possibilité de présenter leurs films mais aussi de développer leurs projets grâce à CineGouna, sa plateforme dédiée. Pour cette 8ᵉ édition, qui se tiendra du 16 au 24 octobre 2025, le festival a dévoilé une sélection égyptienne variée qui reflète plusieurs tendances : l’émergence de jeunes auteurs qui signent leurs premiers longs-métrages, le retour de réalisateurs déjà remarqués sur la scène internationale, et la volonté de maintenir un équilibre entre fiction et documentaire.

Mohamed Siam et le passage à la fiction

Parmi les films en compétition, My Father’s Scent marque un tournant dans la carrière de Mohamed Siam. Le cinéaste s’est fait connaître par ses documentaires : Whose Country?, sélectionné à l’IDFA, et Amal, présenté à Locarno et primé à Thessalonique et aux Journées Cinématographiques de Carthage. Dans ses œuvres précédentes, il explorait souvent la jeunesse, la famille ou les rapports de pouvoir à travers des récits ancrés dans la société égyptienne contemporaine. Avec My Father’s Scent, il passe pour la première fois à la fiction, tout en restant fidèle à ses thématiques : le film met en scène une relation père-fils traversée par des rancunes accumulées et une nuit de révélations.

Le choix de Kamel El Basha, Lion d’or de Venise en 2017 pour The Insult de Ziad Doueiri, et d’Ahmed Malek, jeune acteur égyptien dont la carrière prend une dimension internationale (Clash de Mohamed Diab, The Furnace de Roderick MacKay), inscrit le film dans une volonté de croiser plusieurs générations d’interprètes. Le projet avait été repéré dès 2021 par CineGouna, qui lui avait accordé un soutien au développement. Sa sélection à El Gouna boucle ainsi un parcours entamé il y a quatre ans dans le cadre professionnel du festival.

Mohamed Rashad et une première fiction attendue

Avec The Settlement, Mohamed Rashad signe son premier long-métrage de fiction, après s’être illustré dans le documentaire. Son film Little Eagles (2016) avait été remarqué pour son approche politique et intime à la fois, en retraçant l’histoire d’un militantisme générationnel. The Settlement s’inspire cette fois d’un fait divers : la mort d’un ouvrier sur un chantier, que ses enfants refusent de considérer comme un accident. Le récit, mené comme un thriller, confronte les protagonistes à une vérité difficile à établir.

Soutenu en 2024 par CineGouna, le projet a rapidement trouvé des partenaires en France, en Allemagne, au Qatar et en Arabie saoudite. Le film a eu sa première mondiale à Berlin, dans la section Perspectives, avant d’arriver à El Gouna. Pour Mohamed Rashad, il s’agit d’un moment important : présenter son premier film de fiction dans un grand festival européen, puis le montrer en Égypte dans un cadre régional qui valorise aussi la production locale.

Yomna Khattab et l’autobiographie filmée

Dans la compétition documentaire, 50 Meters de Yomna Khattab poursuit une démarche profondément personnelle. La réalisatrice filme sa relation avec son père et la distance affective qui les sépare. Le titre renvoie à cette proximité géographique – à peine quelques dizaines de mètres – qui ne suffit pas à combler un éloignement intérieur. Loin d’un récit spectaculaire, le film se construit comme une tentative de rapprochement par l’image.

Présenté en première mondiale au CPH:DOX, dans la section NEXT:WAVE, 50 Meters s’inscrit dans une tendance du documentaire contemporain où la caméra devient un outil d’introspection et de réparation familiale. Le projet avait été soutenu par CineGouna dès 2021, ce qui témoigne de l’intérêt précoce du festival pour ce type de démarches intimistes, à contre-courant d’un cinéma plus frontal.

Namir Abdel Messeeh : retour après La Vierge, les Coptes et moi

Le deuxième documentaire en compétition, Life After Siham, est signé par Namir Abdel Messeeh. Cinéaste franco-égyptien, il avait été révélé par La Vierge, les Coptes et moi, présenté à Cannes à l’ACID et récompensé au Festival de Carthage en 2011. Ce film explorait déjà la mémoire familiale et religieuse, avec une mise en scène à la fois sérieuse et ludique.

Avec Life After Siham, il revient à un sujet plus intime : la mort de sa mère et les difficultés créatives qui en découlent. Le film, coproduit avec la France et soutenu par CineGouna en 2024, a été montré cette année à Cannes dans la section ACID. En retraçant son histoire familiale à travers la caméra, Abdel Messeeh poursuit un travail singulier sur le rapport entre mémoire personnelle et récit collectif.

Hors compétition : un premier film féminin

Hors compétition, El Gouna accueillera la première mondiale de Love Imagined de Sarah Rozik. La réalisatrice y entrecroise les parcours d’une étudiante, d’une femme en rupture sentimentale et d’un professeur confronté au deuil. Le film s’intéresse à la manière dont l’amour et la perte façonnent des existences ordinaires.

Le rôle du CineGouna

Un élément commun relie quatre des films sélectionnés en compétition : ils ont tous bénéficié du soutien de CineGouna, qu’il s’agisse de l’aide au développement ou à la postproduction. Depuis son lancement, cette plateforme est devenue un instrument clé pour accompagner les cinéastes arabes et égyptiens, leur permettant de trouver des financements internationaux et de structurer leurs projets.

Le fait que My Father’s Scent, The Settlement, 50 Meters et Life After Siham soient aujourd’hui terminés et circulent dans les festivals atteste de l’efficacité de ce dispositif. Cela montre aussi la capacité du GFF à se positionner non seulement comme un festival de diffusion mais aussi comme un acteur du développement du cinéma régional.

À ce sujet, Marianne Khoury, directrice artistique du festival, a déclaré :
« Nous sommes incroyablement fiers d’annoncer que quatre films de notre sélection, 50 Meters, Life After Siham, My Father’s Scent et The Settlement, sont tous des alumni de notre plateforme phare CineGouna Funding ! »

Un cadre pour le cinéma égyptien contemporain

La programmation 2025 confirme une orientation : valoriser un cinéma égyptien multiple, qui ne se limite pas aux genres populaires dominants mais explore aussi la mémoire, la famille, la justice et les sentiments à travers des formes plus personnelles. On y trouve des cinéastes confirmés, comme Siam ou Abdel Messeeh, des auteurs en transition, comme Rashad, et de nouvelles voix comme Rozik.

À propos de cette sélection, Andrew Mohsen, responsable de la programmation du GFF, a précisé : « La sélection de cette année est un témoignage puissant de la créativité vibrante et des voix diverses qui émergent d’Égypte. Nous sommes particulièrement heureux d’accueillir une première mondiale (Love Imagined), aux côtés de films réalisés tant par des cinéastes établis que par de nouveaux auteurs qui se font déjà remarquer sur la scène internationale. C’est un honneur de célébrer leur capacité à capter l’essence de l’expérience humaine. Avec le film d’ouverture de Sarah Gohar, Happy Birthday, nous sommes ravis de mettre en valeur la vitalité et la diversité du cinéma égyptien contemporain. »

Pour El Gouna, qui accueillera en ouverture Happy Birthday de Sarah Gohar, cette 8ᵉ édition est une manière d’affirmer son rôle central dans la circulation du cinéma arabe. Le festival se veut un carrefour entre productions locales et réseaux internationaux, entre premiers films et œuvres plus expérimentées.

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